J’ai récemment lu l’excellent ouvrage de Michael Horton sur les alliances, Introducing Covenant Theology, que je ne peux que recommander. Au début de l’ouvrage (p. 21-24), l’auteur tente de justifier l’utilisation d’une grille de lecture alliancielle par les réformés pour approfondir les richesses de l’Écriture. Leur théologie des alliances ne peut s’empêcher de s’immiscer dans les moindres sujets théologiques. «Mais quels sont donc les avantages d’une telle approche ? » se demande-t-il. Sa réponse peut être résumée et commentée en huit points.
Premièrement, Horton affirme que,
cette structure d’alliance peut être considérée comme découlant naturellement de la lecture ordinaire des Écritures de la Genèse à l’Apocalypse. Quand nous commençons par un dogme central, nous pouvons facilement exploiter les Écritures à sa recherche et les laisser ensuite de côté, n’en ayant plus besoin en elles-mêmes, mais simplement de la déduction logique, pour établir tout le reste comme conséquence.
En effet, c’est l’ensemble de la Révélation – cohérente, non contradictoire – qui doit être considérée pour l’interprétation d’un quelconque sujet. Il est important de nous placer dans « un cadre que l’Écriture elle-même nous fournit ; autrement, nous servirons le caprice de nos propres hypothèses sur ce qui devrait ou ne devrait pas être vrai, étant donné notre point de départ ».
Deuxièmement, « la reconnaissance du cadre d’alliance de l’Écriture unifie ce qui, sans cela, est trop souvent divisé ou confus à notre époque. » Horton s’attache à démontrer ce qu’il avance par quelques exemples :
- Dieu et sa création peuvent être confondus ou, à l’inverse, séparés. Une emphase trop importante sur la transcendance de Dieu mènera à une absence de relation entre le Créateur et sa création. Un accent trop fort mis sur l’immanence de notre Dieu réduira son caractère incomparable et la différence entre lui et nous ne sera plus que quantitative. « Ironiquement, dans les deux cas, Dieu est rendu insignifiant : soit en étant trop éloigné de nous, soit en étant absorbé en nous – notre volonté, notre intellect, nos émotions, notre expérience. » Mais la Bible prend le contre-pied de ces deux idées en présentant la relation entre le Créateur et ses créatures comme une alliance, étant ainsi « à la fois un pont que le déisme ignore et un obstacle à toute confusion du Créateur avec sa création ».
- Les hommes et le reste de la création peuvent aussi voir leur relation pâtir d’une mauvaise compréhension du rôle spécifique de l’être humain. Une mauvaise soumission de la création par l’homme la fait crier de douleur. Mais, à l’inverse, relativiser la responsabilité confiée à l’homme tend à confondre l’humanité avec le reste de la création. La Bible, elle, présente une alliance de rédemption qui « place l’humanité dans une position privilégiée afin de conserver et de guider le reste des créatures de Dieu pour sa gloire et leurs bonnes fins ».
- C’est encore l’interaction individu-communauté qui peut se voir malmener par un individualisme occidental toujours plus prononcé ou, en réaction, une absorption de l’individu dans la collectivité. Les deux pôles existent mais c’est le premier dont l’Église est actuellement le plus imprégnée. Les slogans « Ma relation personnelle avec Dieu » et « Ma Bible et moi » tendent à oublier la solidarité alliancielle que la Bible nous présente : « celle du Père, du Fils et du Saint-Esprit dans l’alliance de la rédemption ; notre solidarité avec toute la création et surtout notre être « en Adam » en vertu de l’alliance de la création et « en Christ » dans l’alliance de grâce. »
- Une autre séparation, liée aux précédentes, s’opère aujourd’hui dans l’homme même : celle du corps et de l’esprit. C’est cette idée que le monde promeut et sur laquelle son éthique se fonde ; Nancy Pearcey le montre remarquablement bien dans son livre Love Thy Body. Mais l’Église n’est pas non plus épargnée par une conception du salut comme libération de ce monde-ci pour habiter dans « un autre monde qui est supérieur en ce qu’il est spirituel plutôt que physique. » La Bible ne décrit pas les choses ainsi et n’a pas peur d’affirmer que nous serons pleinement sauvés lorsque nos corps seront ressuscités et que la création sera « affranchie de la servitude de la corruption » (Rm 8:21).
Troisièmement, « un autre avantage de la grille alliancielle est la manière dont elle donne une place appropriée aux préoccupations doctrinales et pratiques sans simplement s’abandonner à l’une au détriment de l’autre ». L’Écriture ne nous décrit pas une connaissance détachée de la pratique ni une pratique détachée de la connaissance. Une connaissance véritable sera toujours jointe à un amour et à une obéissance véritables. En effet, « connaître Dieu, c’est en fait, dans la langue hébraïque, le reconnaître – c’est-à-dire, marcher après Dieu de la même manière qu’un serviteur marchait derrière un roi dans une procession solennelle, reconnaissant sa souveraineté ». Le cadre même de ce schéma d’alliance est pratique : « une vie communautaire concrète encadrée, critiquée, normalisée et corrigée par un modèle d’existence divinement prescrit. »
Quatrièmement, la relation entre justification et sanctification se trouve ainsi mieux articulée. Notre justification, verdict de Dieu basée sur la « loyauté alliancelle » de Christ, ne peut être séparée des conséquences de cette déclaration dans la vie du chrétien. La tâche n’est pas aisée, mais le schéma d’alliance de l’Écriture permet de comprendre comment ces deux réalités se retrouvent liées :
Avec sa distinction entre le « commandement » et la « promesse » de Dieu, le type d’alliance conditionnelle que Dieu a conclu avec l’humanité en Adam et au Sinaï et le serment inconditionnel qu’il a prêté au Fils éternel, à Adam et Ève après la chute, à Abraham, à David et maintenant à nous en Christ, la théologie de l’alliance est capable d’articuler les nuances subtiles mais importantes que nous trouvons dans l’Écriture. Elle le fait sans divorcer la loi de l’Évangile ni les confondre.
Cinquièmement, la théologie des alliances permet d’aborder sûrement la relation entre action divine et action humaine. Elle ne penche pas vers l’arminianisme et son emphase sur les textes relatifs au rôle de l’homme. Mais elle ne penche pas non plus vers l’hypercalvinisme et sa « conception déformée de la souveraineté de Dieu qui relègue tout le reste à la marge ». Il n’est pas nécessaire de faire un choix entre deux types de passage biblique, il n’est pas même nécessaire de chercher à les opposer. « Lorsque la théologie réformée voit l’Écriture enseigner à la fois la souveraineté divine et la responsabilité humaine, l’élection divine et l’offre universelle de l’Évangile, elle affirme les deux, même si elle avoue ne pas savoir précisément comment Dieu les coordonne en coulisses. » Elle parvient à affirmer les deux puisqu’elle compose avec l’alliance dévoilée dans l’֤Écriture. Et c’est dans l’alliance que « le Seigneur et le Serviteur sont tous deux mis à l’épreuve pour leur fidélité », c’est dans l’alliance qu’ils s’engagent réciproquement. Les actes du Seigneur et du serviteur sont tous deux considérés dans l’alliance qui les lie l’un à l’autre.
Sixièmement, elle « nous aide à lire l’Ancien et le Nouveau Testaments ensemble, sans les confondre ». La diversité des livres qui constituent la Bible est un défi posé à son unité. Divers personnages, prescriptions, décors, politiques, manifestations divines composent l’Écriture. Des discontinuités semblent se dessiner de toutes parts et il est tentant de fractionner plus ou moins nettement l’histoire du salut. Nous sommes conscients que la Révélation est l’œuvre d’un Révélateur, d’un être intelligent, raisonnable et miséricordieux, laquelle il donne au monde. Elle ne saurait être un agrégat de pensées, de récits spontanés, détachés les uns des autres, sans organisation ni dessein d’ensemble. La lecture de cette Révélation nous dévoile un fil rouge, conservé et tendu malgré une kyrielle de circonstances différentes. Mais quels sont les brins qui, s’entremêlant, forment ce fil rouge ? C’est cette question qui trouve une diversité de réponses au sein du christianisme. Suivant les réponses, la définition de cette continuité – et par conséquent des discontinuités – sera plus ou moins élargie. Le dispensationalisme, par exemple, aura tendance à effiler ce fil rouge en cloisonnant, plus ou moins strictement, les étapes de l’histoire du salut. La théologie alliancielle, elle,
se fonde sur la continuité plutôt que sur la discontinuité, non pas en raison d’un quelconque parti pris a priori, mais parce que l’Écriture elle-même passe de la promesse à l’accomplissement, et non pas d’un programme distinct à un autre, puis à nouveau en sens inverse. En même temps, la théologie des alliances reconnaît dans l’Écriture elle-même une distinction entre des types spécifiques d’alliances […]. Elle nous aide à voir la continuité fondamentale entre l’ancienne et la nouvelle alliances sous la forme d’une seule alliance de grâce qui s’étend d’un bout à l’autre, ainsi que la discontinuité au sein même de l’Ancien Testament lorsqu’il s’agit du principe d’une promesse divine unilatérale et d’un arrangement dépendant de l’obéissance personnelle à tout ce que Dieu commande.
Septièmement, la théologie des alliances nous aide à articuler convenablement la Parole et le Sacrement. Ces deux éléments sont inséparables puisque l’Écriture nous montre qu’« une déclaration verbale de l’alliance, y compris ses bénédictions et ses malédictions, est promulguée, scellée et ratifiée par des rituels publics et visibles ». Comprendre cela nous aidera à définir avec sagesse ce que doit comporter notre culte pour le rendre agréable à Dieu en alliant fidèlement « le renouvellement verbal de l’alliance et la confirmation visuelle de notre participation à celle-ci ».
Enfin, la dernière relation que la théologie des alliances permet de mieux définir est, selon Michael Horton, celle entre le développement de l’Église et sa mission dans le monde :
Parallèlement à l’accent mis sur la communauté de l’alliance et donc sur la dimension intergénérationnelle de la formation des disciples par le biais du rassemblement public, il y a l’appel à élargir la famille par le biais du témoignage personnel et collectif.
Voilà donc de belles motivations pour une plongée dans le monde merveilleux de la théologie des alliances. Pour cela, de nombreux articles sur le sujet sont mis à disposition.
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