La notion même de mariage a connu des transformations très importantes au XIXe siècle, lorsque nous sommes passés des « mariages de raison » aux « mariages d’amour ». C’en est au point où il est impossible de trouver un film historique qui ne condamne pas la conception ancienne du mariage, aussi anachronique que cette condamnation puisse être. Cependant, même le « mariage d’amour » meurt aujourd’hui. Quelle est la place pour le mariage dans notre société séculière aujourd’hui ? Et surtout quelle définition ?
Comment le 7e commandement peut-il encore être actuel au XXIe siècle ?
La mort du « mariage de raison »
Le paradoxe du mariage de raison, c’est qu’il est apparu en même temps que sa contestation, à l’époque moderne. Depuis les temps anciens, le mariage était vu comme un pacte légal, commercial, et éthique à la fois. Cependant, il est vrai que les considérations légales et commerciales ont bien souvent dévoré le reste, particulièrement dans les hautes classes de la société. C’est dans ce contexte que s’épanouissent des critiques comme celles qu’ont apportés Jane Austen ou les sœurs Brontë (XIXe siècle).
Cependant, ces critiques philosophiques n’auraient jamais portés, s’il n’y avait pas eu aussi des changements économiques majeurs qui les rendaient audibles. La révolution industrielle au XIXe siècle a amené à une gigantesque concentration des richesses, si bien que se marier pour des questions de patrimoine était de moins en moins pertinent, puisque pour la grande majorité des familles, il n’y avait plus de patrimoine.
De même, se marier pour « monter dans la société » était moins pertinent alors que d’autres mécanismes de montée se mettaient en place. L’exemple qui me vient en tête est le roman Au Bonheur des Dames : Octave Mouret –modelé sur Aristide Boucicaut– doit sa montée dans la société uniquement à ses talents d’entrepreneurs et sa richesse nouvelle, au point où il peut se marier avec Denise, qui n’a rien d’autre que son cœur à offrir.
Enfin, se marier pour « être à l’abri » financièrement n’avait plus de sens à partir du moment où il est possible d’être salarié et avoir ainsi un revenu indépendant de toute famille, surtout au XXe siècle.
Au final, le mariage de raison est mort aussi bien à cause de ses abus, qu’à cause des critiques culturelles et des changements économiques. A la place est venu le « mariage d’amour ».
L’agonie du « mariage d’amour »
Nous vivons aujourd’hui le dernier souffle du « mariage d’amour », alors que cette idée a été la reine toute-puissante des représentations des relations hommes-femmes pendant plus d’un siècle. Mais après la Seconde Guerre Mondiale, alors que le monde se modernisait encore plus vite, s’individualisait et se globalisait, il a été mortellement atteint par la libération sexuelle des années 60. Vidé de sa force vitale par la montée des divorces au cours de ces dernières décennies, il a subsisté malgré tout parce à cause de l’idée du « prince charmant » – c’est-à-dire : l’idée qu’il y a un individu du sexe opposé qui vous est spécialement destiné, et qu’il faut l’attendre/l’identifier. Si vous rencontrez cet individu, alors mariez-vous avec et vivez ensemble à perpétuité.
Depuis les années 2000, le dernier bastion d’exclusivité est tombé : il est à présent obligatoire d’être sceptique concernant les relations amoureuses, et de refuser de croire au « prince charmant ». On ne sait plus quoi faire du mariage, au point où il y a plus de naissances hors-mariages que dans le mariage. Et malgré un rejet relatif de la culture de divorce, les jeunes générations ne se marient pas plus que cela : en réalité, elles préfèrent la solitude à une quelconque forme de relation durable. Et le monde se fragmente de plus en plus.
L’autre modèle du « mariage d’alliance »
Présenté ainsi, on croirait que je regrette l’époque du « mariage d’amour », mais en réalité il n’en est rien. Cette idée était incapable de supporter les contraintes d’un vrai mariage, et de donner une bonne raison de persévérer dans une union perpétuelle quand venaient les difficultés. L’idée de « Prince charmant » inventée pour le justifier est parmi les plus ineptes inventées par l’être humain, et ne colle pas non plus à la réalité d’une humanité déchue, où « l’élu de votre cœur » sera de toute façon un misérable indigne d’être aimé. Cette vision faisait des enfants une récompense pour les parents, plutôt qu’une vocation et une mission. Qu’on achève donc le mariage d’amour, oui qu’on l’enterre.
Mais que ce ne soit pas pour le remplacer par la fornication post-moderne.
Le sujet du mariage est une des questions les plus abondamment retournées et traitées dans la littérature chrétienne contemporaine. J’ai assez confiance dans la sagesse des meilleurs d’entre ces livres. Je félicite l’Église d’être aussi consciente et active dans la recherche du « mariage biblique ». Nous sommes même arrivés à un point où nous comprenons que la quête de « l’homme spécial/la femme spéciale » est une idolâtrie. C’est inattendu et très bienvenu. Et très timidement, mais réellement, nous voyons à nouveau des exhortations au célibat de Dieu revenir.
Le « mariage de raison » était basé sur l’appétit matériel, et a été justement jugé par Dieu. Le « mariage d’amour » était basé sur l’appétit sexuel et romantique, et a été justement jugé par Dieu. Il n’est remplacé par aucune conception particulière, ce qui signifie que nous avons l’espace pour proposer à la société une vision du mariage qui n’est plus basé sur les sentiments/appétits, mais sur la volonté et l’alliance.
Le mariage d’alliance a les caractéristiques suivantes :
- Il est allianciel : c’est une union perpétuelle et sacrée, indissoluble.
- Il est basé sur le service rendu l’un à l’autre, et non sur la satisfaction de ses besoins par l’autre.
- Il est en vue d’un projet, et non de la satisfaction des pulsions sexuelles. En l’occurrence : engendrer et élever des enfants (pour le Seigneur, si vous êtes chrétiens).
- Il n’est pas pour l’épanouissement personnel, mais pour l’épanouissement des autres.
Ce n’est pas une idée nouvelle : c’est tout simplement ce que la Bible et la sagesse des hommes enseigne depuis la nuit des temps. L’heure est venue d’aller plus loin encore dans cette logique que toutes les sociétés qui nous ont précédé.
Car oui, nous ne devons pas seulement vivre le « mariage biblique » dans les murs de nos églises.
Nous devons aussi défendre le « mariage allianciel » dans le cadre de notre société.
Dans la société
En effet, le mariage fait partie de l’ordre créationnel (Genèse 2:24-25), et il concerne donc davantage le magistrat que le pasteur. Il est nécessaire pour la stabilité de la société et pour la croissance optimale de nos enfants. Il est le principal pacte/alliance que les gens contractent dans leur vie, et à ce titre est un modèle de notre loyauté à notre nation et au reste de la société. Il est enfin une protection contre la pauvreté et la solitude, s’il est convenablement soutenu et protégé. J’écris ici à des chrétiens : je ne pense pas avoir besoin de défendre en détails ces propositions. La question qui nous préoccupe est plutôt : comment faire « déborder » notre conception chrétienne sur la société ?
Celui qui réfléchit en système intellectuel pourra se dire que c’est impossible. Le charismatique voudra peut-être lier les esprits de l’athéisme. Contre cela, je pense qu’il faut d’abord savoir limiter son regard à ce qu’on peut faire, et considérer que le problème est avant tout pratique. Personne ne réfléchit froidement à la question du mariage : en réalité nous nous imitons tous les uns les autres, et nous suivons les modèles qui nous sont proposés. Voilà pourquoi chaque chrétien peut faire partie de la prochaine vague culturelle.
En vivant à fond selon le modèle biblique du mariage, nous ne faisons pas qu’accomplir une belle œuvre chrétienne. Nous participons à une réforme sociétale telle qu’aucun stratège ne peut la calculer, aucun ambitieux ne peut la détourner. Nous contredisons les philosophes bien plus sûrement que dix mille livres de dix millions de mots. Nous faisons taire les critiques par la réalité concrète du mariage selon Dieu. Sans Académie, sans philosophes, sans hautes études ni hautes positions, les chrétiens ont entre leurs mains les moyens de redéfinir l’avenir de notre nation en agissant sur son mécanisme d’entrée (l’engendrement d’enfants dans le mariage). Nous n’avons plus de concurrents : profitons-en, et que le Seigneur nous assiste.
En illustration : Le mariage de Ruth et Booz, Jean-Baptiste Auguste Leloir (1837).
0 commentaires