Qui a tué Goliath ? – un exercice en critique textuelle
3 avril 2020

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1 Samuel 17 nous dit que David tua Goliath.

2 Samuel 21:19 nous dit que Elchanan tua Goliath.

1 Chroniques 20:5 nous dit que Elchanan tua Lahmi, frère de Goliath.

Il est bien entendu évident que, pour une personne qui soutient l’inerrance des textes bibliques, une contradiction si évidente nécessite une explication. C’est ce que je me propose d’apporter ici.

Le texte

Rappelons rapidement ce que dit le texte puis rapportons le texte hébreu pour que la solution proposée soit plus compréhensible :

Et Elchanan, fils de Jaaré-Oreguim, de Bethléhem, tua Goliath de Gath, qui avait une lance dont le bois était comme une ensouple de tisserand.

2 Samuel 21:19b

וַיַּ֡ךְ אֶלְחָנָן֩ בֶּן־יַעְרֵי אֹרְגִ֜ים֙ בֵּ֣ית הַלַּחְמִ֗י אֵ֚ת גָּלְיָ֣ת הַגִּתִּ֔י וְעֵ֣ץ חֲנִית֔וֹ כִּמְנ֖וֹר אֹרְגִֽים׃

Et Elchanan, fils de Jaïr, tua le frère de Goliath, Lachmi de Gath, qui avait une lance dont le bois était comme une ensouple de tisserand.

1 Chroniques 20:5b

וַיַּ֞ךְ אֶלְחָנָ֣ן בֶּן־(יָעוּר) [יָעִ֗יר] אֶת־לַחְמִי֙ אֲחִי֙ גָּלְיָ֣ת הַגִּתִּ֔י וְעֵ֣ץ חֲנִית֔וֹ כִּמְנ֖וֹר אֹרְגִֽים׃

On remarque qu’en hébreu comme en français, seule une partie du texte diffère entre ces deux passages. Pour le reste, tout est identique.

Une dittographie

Ma suggestion est que la divergence entre ces deux passages s’explique par une erreur scribale appelée dittographie. Elle consiste dans le fait d’écrire deux fois le même mot ou la même lettre.

Le mot incriminé ici serait oregim (אֹרְגִ֜ים֙) dans Jaaré-Oreguim. Une répétition de ce mot par le scribe est probable, non seulement parce qu’elle permettrait de réconcilier ces deux passages, mais aussi pour les raisons suivantes :

  1. Oreguim n’est utilisé nulle part ailleurs comme un nom propre.
  2. oregim est le mot pour « lance » utilisé dans la suite du verset.
  3. Ce mot n’apparait deux fois dans un même verset uniquement en 2 Samuel 21:19.
  4. Les deux dernières lettres des deux mots précédant les deux Oreguim auraient été les mêmes s’il y avait effectivement eu dittographie, ce qui explique assez bien comment l’œil du scribe a pu sauter d’un mot à l’autre et commettre l’erreur.

Recopions donc le texte de 1 Chroniques (qui serait donc le « bon » texte) et copions deux fois oregim, à la place où il se trouve en 2 Samuel (je mets les oregim en gras).

וַיַּ֞ךְ אֶלְחָנָ֣ן בֶּן־יָעוּר אֹרְגִ֜ים֙ אֶת־לַחְמִי֙ אֲחִי֙ גָּלְיָ֣ת הַגִּתִּ֔י וְעֵ֣ץ חֲנִית֔וֹ כִּמְנ֖וֹר אֹרְגִֽים׃

Une fois qu’oregim se retrouve après Jaïr, le mot n’a plus de sens et la lecture la plus naturelle est alors de le rattacher au mot précédent en le prenant pour un nom propre : Jaaré-Oreguim.

De Lahmi à Bethlehem

La répétition d’oregim rend le reste de la phrase incompréhensible. Lahmi qui était un nom propre, celui du frère de Goliath, se trouve signifier aussi « mon pain ». Or, Bethléhem, que l’on retrouve en 2 Samuel, signifie « maison du pain » et les mots hébreux sont donc assez similaires.

Ainsi, il est assez naturel d’aboutir, à cause de la dittographie, à une phrase incompréhensible (littéralement : Jaaré-Oreguim tua mon pain Goliath) et d’en conclure qu’il faille lire « Jaaré-Oreguim, de Bethléhem ».

Du frère de Goliath à Goliath

Cela laisse alors le frère de Goliath sans nom et favorise une deuxième erreur scribale, faisant passer אחי (signifiant frère, en Chroniques) à את (nota accusativi, en 2 Samuel). Ce dernier mot, rattaché à Goliath, ne signifie plus « frère de Goliath » mais signifie alors que Goliath est l’objet de l’action.

Il faut donc conclure que Chroniques a gardé la bonne leçon, que David a tué Goliath et que Elchanan a tué le frère de Goliath, Lahmi.

Réflexion sur l’inerrance et les difficultés

Il est fort probable que, sans le texte de Chroniques pour comparer, la reconstruction de l’erreur scribale eût été difficile. Et pourtant, cela ne voudrait pas dire que le texte original de 2 Samuel eut contenu une contradiction avec ce que rapporte 1 Samuel 17 sur la mort de Goliath, tué par David.

Ce fait doit affermir notre confiance en l’inerrance. En effet, la déclaration de Chicago la définit en référence aux textes originaux. À la lumière de cet exemple biblique, nous comprenons pourquoi une contradiction dans un texte actuel n’implique pas que l’inerrance soit à rejeter. En effet, les erreurs scribales expliquent une partie de ces contradictions. Mais ces erreurs sont intervenues après le texte original qui fut recopié. Pour le cas abordé dans l’article, nous avons la chance de pouvoir comparer et déceler facilement l’erreur. Mais il y a fort à parier que si nous n’avions pas cette chance, nous ne trouvions jamais la solution. Les critiques de l’inerrance avanceraient alors ce texte comme s’opposant à notre doctrine alors qu’en réalité il n’en est rien.

Autrement dit, que nous ne trouvions pas une solution n’implique pas qu’il n’y en ait pas ni que l’inerrance soit à rejeter. Sans texte pour comparer, la solution est parfois humainement impossible à atteindre et la contradiction demeurera entière, sans que cela ne porte atteinte à la doctrine de l’inerrance.

En illustration : David et Goliath (sans doute entre 1599 et 1605), du Caravage (1571-1610) avec ce magnifique clair-obscur qui participa à sa célébrité.

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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