C’est une caractéristique de la méthode scolastique que de porter une grande attention aux définitions. À divers moments de sa carrière, le pape Urbain IV a sollicité Thomas pour qu’il fasse une recension du traité que ledit pape écrivait en vue de réconcilier les Églises d’Orient avec l’Église romaine. Dans son opuscule Contra errores Graecorum (Contre les erreurs des Grecs) Thomas explique qu’une grande partie des confusions vient du fait que l’on utilise des mots différents à cause des traductions, mais que si l’on prenait la peine de définir précisément chaque terme, les causes de division dans le christianisme disparaîtraient. Cette semaine, nous allons étudier les termes qui évoquent l’unité ou la pluralité en Dieu : « Trinité », « seul », « autre ». Comment doit-on les utiliser pour parler de la Trinité ? Nous sommes dans la Prima Pars, question 31.
- Y a-t-il une trinité en Dieu ? Oui.
- Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ? Oui.
- Peut-on utiliser « seul » à côté d’un terme désignant l’essence ? Oui.
- Peut-on utiliser « seul » à côté d’un terme désignant une personne ? Non.
Article 1 : Y a-t-il une Trinité en Dieu ?
Saint Athanase écrit : « On doit adorer l’unité dans la trinité et la trinité dans l’unité. »
Réponse : Quand il s’agit de Dieu, le terme trinité évoque le nombre précis des personnes. Donc, de même qu’on reconnaît une pluralité de personnes en Dieu, il y a lieu de faire appel au mot trinité ; car cela même que pluralité signifie en général, le terme trinité le signifie de manière précise et déterminée.
Et pour ceux qui se demandent d’où vient le mot lui-même :
Étymologiquement, le mot trinité paraît signifier l’unique essence des trois Personnes, trinitas étant mis pour triumunitas. Mais ce qu’il signifie à proprement parler, c’est plutôt le nombre des personnes de l’unique essence ; aussi ne peut-on pas dire : « le Père est la trinité », car il n’est pas les trois personnes. En outre, il ne signifie pas les relations en tant que telles, mais plutôt le nombre des personnes en relation les unes avec les autres, et c’est pourquoi il ne se construit pas grammaticalement comme un relatif.
Article 2 : Peut-on dire que le Fils est autre que le Père ?
On lit dans le De fide ad Petrum : « Unique est l’essence du Père et du Fils et du Saint-Esprit ; en cette essence, le Père n’est pas une chose, le Fils une autre, le Saint-Esprit une autre, bien que personnellement le Père soit un autre que le Fils, etc. »
Thomas fait remarquer que nous avons deux erreurs à éviter :
- Dire, avec Arius, qu’il y a une « trinité de substance ».
- En conséquence, évitons de dire que le Fils est différent du Père.
- Dire, avec Sabellius (modaliste), qu’il y a une « unité de personne ».
- En conséquence, évitons de dire que Dieu est solitaire, ou bien que les personnes sont confuses.
Mais le mot « autre » appliqué aux personnes est parfait : il exclut la confusion des personnes, mais ne remet pas en cause l’unité de l’essence. Voilà pourquoi il faut l’utiliser.
Article 3 : Le terme exclusif « seul » peut-il se dire de l’essence divine ?
On lit dans la première épître à Timothée (1:17) : « Au roi immortel des siècles, invisible, seul Dieu… »
Thomas fait une distinction linguistique dans l’usage du mot « seul » :
- L’usage « catégorématique » : le terme s’applique purement et simplement au nom qualifié. L’homme blanc est une caractéristique intrinsèque de cet homme. Dans cet usage, dire que Dieu est seul ne convient pas, car ce serait nier la Trintié.
- L’usage « syncatégorématique » : le terme s’applique à un prédicat du sujet et non le sujet directement. Par exemple : « Macron seul dirige » ne signifie pas que Macron est isolé, mais qu’il est le seul à avoir ce prédicat : action de diriger. C’est ainsi qu’il faut comprendre : Dieu est le seul Éternel.
Article 4 : Le terme exclusif « seul » peut-il se dire des noms des personnes ?
La proposition « Le Père seul est Dieu » se résout en deux autres qui l’expliquent : « Le Père est Dieu » et « Nul autre que le Père n’est Dieu. » Mais cette dernière est fausse, car le Fils, qui est Dieu, est un autre que le Père. Donc la proposition « Le Père seul est Dieu » est fausse, ainsi que toute autre de ce genre.
Reprenons la distinction précédente :
- Dans l’usage catégorématique, dire « Le Père seul est Dieu » (Jean 17:3) est faux, parce que le Père n’est pas tout seul, il y a le Fils et le Saint-Esprit.
- Dans l’usage syncatégorématique, ça dépend :
- On peut utiliser « seul » dans un sens détourné, pour mettre l’accent sur le Père (par exemple) sans exclure le Fils et le Saint-Esprit. C’est ainsi qu’un cantique du temps de Thomas disait : « Toi le seul Très-Haut, Jésus-Christ ».
- Mais si on est rigoureux, « seul » signifie une exclusion, et c’est son usage le plus courant. De plus, c’est l’exclusion de quelque chose d’autre, d’une essence différente. Les risques d’erreur sont donc grands.
Bref, à moins que vous ne souhaitiez faire des distinctions interminables à chaque fois que vous dites : « Toi seul, ô Fils, est grand », mieux vaut éviter de dire « seul » et un nom de personne divine dans la même phrase.
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