Après avoir soigneusement défendu la définition des personnes divines, et établi le vocabulaire trinitaire, il n’y a plus d’obstacle à l’étude de chaque personne prise à part. Cette semaine, nous allons donc voir la personne du Père. Nous sommes dans la Summa Theologiae Prima pars, Q33.
- Convient-il au Père d’être qualifié de « principe » ? Oui.
- Le nom de « Père » est-il le nom propre de cette personne ? Oui.
- Est-ce, en Dieu, un nom de personne avant d’être un attribut de l’essence ? Oui.
- Est-il propre au Père d’être inengendré ? Oui.
Article 1 : Convient-il au Père d’être qualifié de « principe » ?
S. Augustin dit que “ le Père est le principe de toute la déité ”.
Le mot “ principe ” signifie simplement : ce dont procède quelque chose. Toute chose, en effet, dont une autre procède de quelque manière que ce soit, prend le nom de principe, et réciproquement. Et puisque le Père est quelqu’un de qui procède un autre, il s’ensuit qu’il est Principe.
Il y a dans les objections deux citations intéressantes pour nous :
Contre l’Eternelle Subordination du Fils
Si, en donnant au Père le nom de Principe, nous lui reconnaissons une sorte d’“ autorité ”, du moins nous avons soin de ne donner au Fils ou au Saint-Esprit aucune qualification qui évoque tant soit peu sujétion ou infériorité : cela, pour éviter toute occasion d’erreur. Le même souci inspirait S. Hilaire, quand il disait : “ Par son autorité de Donateur, le Père est plus grand ; mais le Fils n’est pas moins grand, lui qui reçoit en don l’être même du Père .”
Q33, a1, r2
« Ne confondons pas la signification d’un mot avec son étymologie »
L’appellation de “ principe ” se fonde sur une propriété. Or, selon S. Athanase, il n’y a en Dieu ni avant ni après. Il ne faut donc pas user de ce terme de “ principe” à propos des personnes divines. Réponse : Il est vrai que le mot “ principe ”, à considérer son étymologie, paraît venir d’une priorité cependant il ne signifie pas priorité mais origine. Ne confondons pas la signification d’un mot avec son étymologie, comme on l’a dit plus haut.
Objection et réponse 3
Voilà un rappel utile pour tous les férus d’exégèse, qui confondent l’étymologie avec le sens du mot, et qui nous vient droit du XIIIe siècle.
Article 2 : Le nom de « Père » est-il le nom propre de cette personne ?
On lit dans le Psaume (89,27) : “ Il m’invoquera : Tu es mon Père.”
Le nom propre d’une personne signifie ce qui la distingue de toute autre. En effet, de même que la définition de l’homme comprend une âme et un corps, ainsi, au dire d’Aristote, la définition de “ tel homme ” comprend telle âme et tel corps ; c’est-à-dire cela même qui distingue cet homme de tout autre. Or, ce qui distingue des autres la personne du Père, c’est la paternité. Le nom propre de cette Personne est donc bien celui de Père, qui signifie la paternité.
Ah bon ce n’est pas un nom de relation à la place ?
Le nom de “ père ” signifie une relation, alors que la personne est une substance individuelle : “ Père ” n’est donc pas un nom propre de personne. Réponse : En nous, la relation n’est pas une personne subsistante ; aussi, quand il s’agit de nous, le nom de “ père ” ne signifie pas la personne, mais une relation de la personne. En Dieu, il en est autrement, quoi qu’en aient pensé certains théologiens, qui ont erré sur ce point : la relation signifiée par le nom de “ Père ” est une personne subsistante. En effet, nous avons dit qu’en Dieu le mot “ personne ” signifie la relation en tant que subsistant dans la nature divine. –
Objection et réponse 1
Pour un commentaire sur ce point, je vous renvoie vers mon article : « Pourquoi n’y a-t-il que trois personnes dans la Trinité ? »
Article 3 : Le nom de « Père », dit de Dieu, signifie-t-il en première intention une propriété personnelle ?
L’éternel a priorité sur le temporel. Or, c’est de toute éternité que Dieu est Père de son Fils ; et seulement dans le temps qu’il est Père de la créature. Donc en Dieu la paternité se vérifie premièrement envers le Fils, et secondairement envers la créature.
Le sed contra est assez clair pour se passer de commentaires. Je relèverai simplement une « hiérarchie de paternité » que Thomas présente dans le corps de sa réponse :
- Paternité parfaite, de la Personne du Père à celle du Fils.
- Paternité de Dieu selon la similitude de gloire : C’est selon ce mode qu’il est le père des saints. « Nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des fils de Dieu. » (Romains 5.2 VULGATE)
- Paternité de Dieu selon la similitude de grâce : c’est selon ce mode qu’il est le père des élus. « L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers » (Romains 8.16-17)
- Paternité de Dieu selon l’image de Dieu : c’est selon le mode qu’il est le père des hommes « N’est-il pas ton père, ton maître ? N’est-ce pas lui qui t’a formé, et qui t’a affermi ? » (Deutéronome 32.6)
- Paternité selon une similitude de vestige : c’est selon le mode qu’il est dit être le père de choses inanimées. « La pluie a-t-elle un père ? Qui fait naître les gouttes de la rosée ? » (Job 38.28)
Pour ma part, je rejette la distinction entre paternité selon la gloire et paternité selon la grâce.
- Parce que Romains 5.2 ne porte pas « des fils de » dans le texte biblique. C’est une erreur de la vulgate.
- Parce qu’il n’y a pas de distinction entre l’amour de Dieu pour les élus dans ce monde et l’amour pour les élus dans le monde suivant. Dans Romains 8.17, les deux sont confondus : « Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu, et cohéritiers de Christ, si toutefois nous souffrons avec lui, afin d’être glorifiés avec lui. »
Article 4 : Est-il propre au Père d’être inengendré ?
S. Hilaire écrit : “ L’Un procède de l’Un, c’est-à-dire que l’Engendré procède de l’Inengendré, chacun ayant en propre l’un l’innascibilité, l’autre l’origine. ”
De même que dans les créatures on distingue “ premier principe ” et “ second principe ”, ainsi dans les Personnes divines, où il n’y a ni avant ni après, on distingue un “ Principe qui n’a pas de principe ” : c’est le Père ; et un “ Principe qui a un principe ” : c’est le Fils. […]en tant que “ Principe qui n’a pas de principe ”, il se notifie par ceci qu’“ il n’est pas d’un autre ” ; et voilà précisément la propriété d’innascibilité, celle que signifie le nom d’“ Inengendré ”.
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