Il n’y a pas de GPA vertueuse
23 octobre 2020

Pendant les débats autour de la dernière révision de la loi bioéthique — sur laquelle nous nous sommes déjà exprimés — Marc-Olivier Fogiel a fait une interview remarquée sur les enfants qu’il a obtenus par gestation pour autrui1 et a décrit comment il avait eu recours à une « GPA éthique » : Il a passé un accord libre et consenti avec une mère porteuse pour avoir ses deux filles.

Cet article a deux buts : le premier est de traiter directement de la question : une GPA peut-elle être éthique ? Cette question a déjà été traitée de nombreuses fois par d’autres, mais il est toujours bon d’articuler les raisons de nous y opposer. La deuxième est de montrer l’intérêt de l’éthique de vertu qui a été le fond de toute l’éthique chrétienne pendant des siècles, de Thomas d’Aquin jusqu’à l’avènement du rationalisme. Je vais donc développer un argumentaire de type séculier dans un premier temps, puisque cette méthode le permet, puis en fin d’article je soulignerai les éléments proprement chrétiens qui s’y rajoutent.

Introduction rapide à ce que peut vouloir dire « GPA vertueuse »

Dans son Éthique à Nicomaque, Aristote décrit le genre d’action qui peut être décrite comme bonne, vertueuse. Pour résumer en une phrase : il s’agit du juste milieu (médiété) entre deux extrêmes (défaut et excès). Par exemple, le courage est une vertu, parce qu’il est en juste milieu entre la lâcheté et la témérité.

Cela dit, Aristote fait remarquer que toutes les actions ne rentrent pas nécessairement dans cette description : il n’y a pas de « viol éthique », dans le sens où il y aurait de justes circonstances dans lesquelles pratiquer un viol, à l’équilibre entre manque et excès. Voici ce qu’il dit :

Toute action n’admet pas la médiété [un juste milieu], ni non plus toute affection, car pour certaines d’entre elles, la simple dénomination implique immédiatement la perversité, par exemple, la malveillance, l’impudence, l’envie et dans le domaine des actions, l’adultère, le vol et l’homicide, et ce n’est pas seulement leur excès et leur défaut que l’on condamne, mais elles constituent toujours des fautes. On ne peut pas non plus, à l’égard de telles choses, dire que le bien ou le mal dépend des circonstances du fait par exemple, que l’adultère est commis avec la femme qu’il faut, à l’époque et de la manière qui conviennent, mais le simple fait d’en commettre un, quel qu’il soit, est une faute.

Aristote, Éthique à Nicomaque, II.6.

La GPA est donc tout le temps mauvaise car :

  1. Il n’y a pas de « manque » de GPA.
  2. Il n’y a pas de juste milieu dans la GPA (GPA « éthique »).
  3. Il n’y a pas d’excès dans la GPA.

Il n’y a pas de manque dans la GPA

Cela apparaît facilement dans le fait que l’absence de GPA n’est pas un vice. L’admettre reviendrait à dire : « Si tu n’as pas obtenu tes enfants par mère porteuse, c’est mal ! ». Ce qui n’est défendu par personne.

Certes, les défenseurs du recours aux mères porteuses se plaignent du manque de liberté dans le recours à la GPA, comme si la situation était mauvaise. Cela dit, pour eux le problème n’est pas un problème moral (comme si empêcher la GPA étaient mauvais) mais un problème légal (empêcher la GPA est une atteinte à leur liberté). Il s’agit davantage d’une faute de raisonnement que d’une faute morale : si réellement la République défend les libertés de ses citoyens, alors elle devrait aussi défendre cette liberté (raisonnement que je ne partage pas). Cela ne porte donc aucune objection à notre conclusion : il n’y a pas de vice dans le manque de GPA.

Il n’y a pas de juste milieu dans la GPA

C’est ce point qui est le cœur de la question, et qui a été défendu par Marc-Olivier Fogiel. Selon lui, il existe des GPA vertueuses avec la femme qu’il faut, à l’époque et de la manière qu’il faut. S’il n’y a pas de lien de dépendance, de domination entre mère porteuse et couple récepteur ; s’il n’y a pas de profit tiré de cette transaction ; si cette grossesse est librement consentie par la mère porteuse et qu’elle ne met pas en danger sa santé ; si cette transaction a lieu dans un esprit de bienveillance et de respect réciproque… alors la GPA est éthique. Souvent, on réfutera ces arguments en disant que ces circonstances sont chimériques, et n’arrivent jamais dans la réalité. J’aimerais aller plus loin et montrer qu’en réalité, ces circonstances ne conviennent pas pour rendre éthique la GPA.

Nous devons d’abord considérer de plus près la définition de la GPA, et sa différence avec l’adoption.

Dans l’adoption, l’abandon de l’enfant par ses parents biologiques est indépendant de son adoption par des parents adoptifs. Il n’est pas né pour devenir l’enfant de ses parents adoptifs. En conséquence, la seule chose que l’on demande au magistrat, c’est de transférer les responsabilités légales (déjà dégagées) aux parents adoptifs.

Dans la GPA, l’abandon de l’enfant est le fondement de la démarche, et il s’agit de l’enregistrer dès le départ comme enfant de ses « parents d’intention ». La maternité naturelle a pour but d’être minimisée autant que possible. On demande alors au magistrat d’ignorer le statut légal des parents biologiques pour l’attribuer automatiquement aux parents d’intention. C’est ce que prévoit la loi ukrainienne par exemple. Au Royaume-Uni, seule la GPA « éthique » (sans intermédiaire, ni publicité, ni rémunération lucrative) est autorisée, mais la seule différence est une question de délai. Passé six semaines où la mère porteuse peut se rétracter, un nouvel acte de naissance est émis où les parents d’intention sont désignés comme les vrais parents, sans passer par l’adoption

Or, le magistrat n’a pas le pouvoir ni l’autorité de définir qui sont les parents premiers. Si réellement il avait la légitimité d’inscrire l’enfant d’entrée de jeu comme enfant de ses « parents d’intention », alors cela revient à dire que la maternité est attribuée (et non reconnue) par le magistrat. En gros, vous devenez maman lorsque l’état civil donne l’acte de naissance. Auparavant, on ne sait pas à qui est ce bébé qui est sorti de votre propre ventre. Vous pouvez rire, mais c’est la logique de la GPA.

Si l’acte même du magistrat n’est pas légitime, alors cela ne sert à rien de discuter de ses conditions : il n’existe pas de « femme qu’il faut, d’époque et de manière qui conviennent ».

Il n’y a pas d’excès dans la GPA

S’il n’y a pas de juste milieu, alors il est difficile de trouver un « trop » de GPA.

Cependant, les défenseurs de la GPA « éthique » reconnaissent eux-mêmes qu’il y a des circonstances où la GPA est effectivement illégitime, suggérant un état d’excès à cette pratique. Ils ciblent notamment :

  • L’aspect lucratif de la transaction (lorsqu’elle est rémunérée au-delà des frais médicaux associés à la grossesse), qui réduit la femme à un outil de production.
  • Le consentement amoindri par des motifs de détresse économique (le fameux problème de la volonté conditionnelle traité par Aristote dans le livre III de l’Éthique à Nicomaque).
  • Les conditions parfois dégradantes dans lesquelles se déroulent certaines GPA (et notamment la perte d’autonomie de certaines femmes qui sont sous la coupe de l’hôpital et des parents d’intention le temps de la grossesse).

L’argument est le même que précédemment : le premier problème de la GPA, c’est qu’elle présuppose un pouvoir que le magistrat n’a pas : il ne fait que reconnaître la maternité, il ne l’attribue pas. Dès lors, aborder ces points revient à se demander si tuer avec un couteau est plus naturel que tuer avec un pistolet. Dans les deux cas, l’acte est mauvais.

Mais admettons que l’acte soit légitime le temps de l’argument. Alors même ces critères sont flous et il n’y a pas de vraie différence avec une GPA « éthique ».

  • La loi britannique — qui ne veut permettre que la GPA « éthique » — admet qu’entre 5 000 et 10 000€ peuvent être versés à la mère porteuse, pour faire face à ses frais médicaux. Mais ne devrait-on pas aller plus loin ? Payer également la fatigue et le temps perdu engendré par l’état de grossesse ? Payer l’effort fourni par la mère porteuse à l’accouchement ? Il n’y aucune raison de ne pas l’inclure dans l’indemnité, qui devient pour le coup un vrai profit.
  • Personne ne se pose de questions sur la volonté conditionnelle dans le cas du salariat de masse : le patron peut se passer de l’employé, l’employé est dépendant du patron. Pourtant, les contrats signés par le salarié sont considérés comme pleinement valides et leur moralité n’est mise en doute par personne.
  • Cette malveillance est tout à fait accidentelle, et ne peut pas être incluse dans la définition de la GPA.

Autrement dit : il n’y a pas de différence réelle entre une GPA « éthique » et une « mauvaise » GPA : la différence est purement accidentelle.

Par conséquent, suivant l’éthique d’Aristote, nous concluons que la GPA est mauvaise en soi.

Un traitement plus chrétien

D’un point de vue chrétien, nous pouvons rajouter quelques points :

  1. La maternité est instituée par Dieu à travers le mandat créationnel (Gn 1:26-28). Le magistrat ne peut donc intervenir que sous l’angle de son inclusion dans la société organisée. Il n’a jamais et en aucun cas le pouvoir de déterminer qui sont les parents. Il ne peut qu’enregistrer cette filiation.
  2. La loi naturelle ne sépare pas parentalité et gestation. Être parent ne vient pas de notre volonté, mais de notre nature. Ignorer cette réalité, c’est s’adonner à un caprice de bourgeois moderniste.
  3. En éditant des actes de naissance qui ignorent délibérément la mère biologique, le magistrat se met en position où il prétend connaître mieux que Dieu le Créateur qui est le procréateur de l’enfant. Il risque de connaître le même sort que Koré à usurper ainsi l’acte de Dieu : être englouti vivant dans le séjour des morts.
  4. L’exemple d’Abraham et de Sarah est plutôt un contre-exemple : bien que ce fils soit vraiment d’Abraham, Dieu a totalement ignoré la légitimité d’Ismaël, ne regardant que le fils biologique de Sarah, et non son « enfant d’intention ».

Conclusion

Outre ma contribution au débat, je souhaite faire remarquer au lecteur chrétien tout l’intérêt de l’éthique de vertu qui forme la base de la tradition éthique protestante historique. J’ai pu ainsi articuler une position conforme à la Bible, sans citer la Bible, et d’une manière pertinente pour un lecteur séculier. J’encourage mon lecteur à découvrir donc les concepts-clé de cette approche comme la loi naturelle, et d’autres notions de base en philosophie que nous utilisons souvent sur ce blog.

  1. Dorénavant GPA.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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