Découvrez le manifeste des néo-évangéliques
8 janvier 2021

Suite à mon dernier article, « The Gospel Coalition, ou l’angle mort des néo-évangéliques » j’ai eu des remarques quant à l’utilisation du terme «néo-évangélique » qui est totalement inconnu en France. Je publie donc ici ma note de lecture du manifeste des néo-évangéliques : The Uneasy Conscience of American Fundamentalism [La conscience embarassée du fondamentalisme américain] de Carl F.H. Henry, qui date de 1947. Le mouvement néo-évangélique est une réforme du fondamentalisme qui a pris son essor dans les années 50, grâce notamment au ministère de Billy Graham. Il vise à conserver le meilleur du fondamentalisme —orthodoxie et centralité de l’Evangile — tout en rejetant le pire — sectarisme et anti-intellectualisme — en bâtissant une coalition de tous les évangéliques, pour interagir à nouveau avec la culture contemporaine. C’est le mouvement qui alimente The Gospel Coalition, comme vous vous en rendrez compte. Découvrez maintenant le manifeste initial de ce projet théologique. Pour plus de détails historiques je vous renvoie vers mon article : « Une histoire très rapide des évangéliques du XXe siècle ».

Billy Graham (à droite) : le plus connu des néo-évangéliques et Carl F.H. Henry (à gauche), auteur du manifeste des néo-évangéliques, dont cet article est un compte-rendu.

The uneasy conscience of American Fundamentalism est le manifeste des néo-évangéliques, qui sont un mouvement de réforme des fondamentalistes.

Chapitre 1 : L’évaporation de l’humanitaire fondamentaliste

Carl F.H. Henry ouvre son livre sur le grand embarras ressenti par les fondamentalistes eux-mêmes quant à l’absence totale d’éthique collective et sociale dans l’immédiat après-guerre : ils ne disent tout simplement rien sur les grands problèmes sociétaux de leur époque. Ils ne veulent pas joindre les mouvements caritatifs et de réforme sociale, car ce serait entrer en contact avec des libéraux.

Certaines actions organisées ont été tentées à travers des organisation comme l’Association nationale des évangéliques ou le Conseil américain des Églises. Les baptistes du Sud ont en quelque sorte un meilleur résultat, accompagné d’un rejet du conseil fédéral. Mais l’action sociale évangélique est difficile à voir et généralement pour répondre à une urgence. La situation est même pire. La grande majorité des pasteurs fondamentalistes, au cours de cette dernière génération qui a vu la destruction du monde, est devenue de moins en moins engagée dans les maux sociaux. Il est rare de trouver un prédicateur conservateur qui s’occupe vraiment des problèmes du monde.

Henry, Carl F.H., The Uneasy Conscience of Americain Fundamentalism.

En conséquence, d’un point de vue extérieur, il s’est imposé une image très négative des fondamentalistes : les évangéliques, ce sont ceux qui n’en ont rien à faire de la corruption du monde et qui passent leur temps à se taper dessus entre eux et insulter les non-évangéliques. Or, ce n’est pas le projet fondamentaliste au départ ! Les fondamentalistes devraient même être les plus concernés par les péchés sociaux, eux qui ont une vision si claire de la corruption innée de l’homme. Sauf qu’au lieu de se tourner vers les péchés sociaux, ils se concentrent exclusivement sur les péchés individuels. Et dans ce domaine, ils en font des tonnes.

Il n’est pas équitable de dire que l’éthique de toutes les Églises conservatrices s’est coagulée autour de platitudes comme « ne buvez pas, n’allez pas au cinéma, ne dansez pas, ne jouez pas aux cartes, ne fumez pas ». Mais il y a des multitudes de congrégations fondamentalistes dans lesquelles ces injonctions sont les principaux points de références dans les recherches éthiques. Dans une grande université chrétienne, un aumônier a récemment exprimé son étonnement de voir le journal du campus consacrer autant d’espace au très important problème de savoir s’il est juste de jouer un « roque » aux échecs alors que les nations alentours jouent avec le feu1.

Ibid., p.21.

Le problème est rendu plus embarrassant encore par le fait que ces standards même varient selon les régions, ce qui décrédibilise la rigidité morale des fondamentalistes :

En plus, le problème de l’éthique individuelle est rendu plus complexe par les standards mouvants selon les parties du pays, au sein même des fondamentalistes. Parmi les évangéliques par exemple, fumer est à peine une peccadille dans les états du Sud produisant du tabac, alors que c’est un grand péché dans le nord. Mais le pasteur baptiste du Nord qui irait avec sa femme dans une piscine publique mixte serait convoqué devant son conseil d’Église dans beaucoup d’Églises du Sud.

Ibid, p.21.

Cette insistance sur l’éthique individuelle a conduit à apporter des demi-réponses aux problèmes sociaux, qui pourraient pourtant être tellement pertinentes si elles étaient pleinement développées ! Ainsi, la doctrine fondamentaliste sur le divorce (seuls la mort ou l’adultère peuvent mettre fin à un mariage) tient pour acquise la doctrine de la sainteté du mariage et de l’intégrité de la famille, qui serait une réponse intéressante à la solitude et la délinquance des jeunes… si seulement on s’intéressait à ce problème de société. Mais ce fossé n’est pas franchi, et le monde croit faussement que les évangéliques ne s’intéressent pas au bien ou à l’éthique.

Chapitre 2 : Protestation contre l’échec annoncé

Ce n’est pas que les fondamentalistes ne croient pas qu’il faille réformer la société de ses maux. C’est qu’ils considèrent — à tort — que cela sera nécessairement un échec. Ils en sont embarrassés pourtant : comment peut-on dire que l’Evangile peut intégralement changer le cœur de l’homme individuel, mais pas les sociétés humaines ? Carl F.H. Henry fait appel à l’exemple de l’Église primitive :

Pourtant le rejet des solutions non évangéliques n’implique pas — du moins logiquement — une perte de la pertinence sociale de l’Évangile. L’Église primitive était caractérisée par un ardent désir de changer le monde, qui était conçu majoritairement selon un schéma de rédemption centré sur l’expiation substitutive de Christ et sur sa résurrection corporelle. S’il n’en avait pas été ainsi, le christianisme n’aurait pas été la religion du monde d’alors en trois siècles. Quelque chose dans ce désir pour le monde a rendu le message chrétien suffisamment pertinent pour les dirigeants pour qu’il désirent que leurs sujets y soient amenés. Un christianisme sans ce désir brûlant de renverser le monde ne reflète pas le christianisme apostolique.

Ibid., p.27.

Les fondamentalistes sont embarrassés : ils savent que les libéraux ont tort de vouloir réformer sans le Christ, mais ne savent pas expliquer comment on peut réformer la société avec le Christ. Leur incapacité vient de leur pessimisme, qui vient de leur eschatologie (prémillénariste ou amillénariste, selon la variété de fondamentalisme). Ce n’est pas que l’Évangile n’a pas le pouvoir de transformer la société : c’est que la société n’est pas prête à écouter l’Évangile.

Pourtant, il fut un temps où les fondamentalistes avaient la même eschatologie, mais s’engageaient tout de même dans la société. Mais leurs adversaires libéraux ont commencé à déconnecter l’éthique individuelle pour ne garder que l’éthique publique : ils ont prêché un évangile qui ne condamnait que les péchés publics (la guerre, l’exploitation, etc.) mais ne faisait aucune condamnation des péchés individuels (l’inconduite sexuelle était totalement couverte). Alors, en (sur)réaction, les fondamentalistes ont doublement insisté sur la gravité des péchés individuels, et exprimé leur pessimisme quant aux chances de succès des réformes libérales. Puisque les libéraux prêchaient un progrès social sans Christ, ils ont prêché un Christ sans progrès social, et ont gardé le pli.

C’en est au point où ils ont abandonné leurs propres mouvements de réforme de la société, comme les ligues de tempérance ! La lutte contre l’alcoolisme, un des grands combats des évangéliques conservateurs du XIXe siècle était désormais une distraction inutile, détournant de l’Évangile.

Les fondamentalistes étaient tout à fait sûrs que l’interruption du trafic d’alcool ne mettrait pas fin à l’immoralité, et ils en sont venus à considérer que les campagnes contre l’ivresse étaient une distraction inexcusable pour un mal secondaire; les ligues pour la tempérance ont découvert parfois qu’il était plus difficile de présenter leur travail dans les Églises fondamentalistes que dans les Églises libérales. Les Églises évangéliques ont vu dans de tels mouvements moralistes la proclamation subtile d’une façon de vivre plus haute et plus respectable, qui reste cependant bien inférieur à la nouvelle naissance salvifique du Nouveau Testament, que l’Église doit proclamer aux nations. Le moralisme des idéaux païens semble s’être substitué à la « bonne nouvelle » biblique.

Ibid., p.31.

Cette posture réactionnaire crée un malaise devenu insupportable (en 1947). Certes, les libéraux vivent leur propre malaise après de l’échec de leurs rêves dans les deux guerres mondiales, mais les fondamentalistes se demandent comment ils peuvent avoir un Évangile qui sauve le monde sans changer le monde :

La conscience du libéral moderne, qui est née d’un optimisme superficiel, est profondément embarrassée dans ces temps modernes. Mais il en va de même pour la conscience troublée du fondamentalisme américain, alors qu’aucune voix ne parle comme l’apôtre Paul, que ce soit aux sessions des Nations unies, ou dans les conflits sociaux, ou dans les très stratégiques classes d’université, que ce soit au Japon, ou en Allemagne, ou en Amérique.

Ibid., p.34.

Chapitre 3 : Le divorce évangélique le plus embarrassant

Pour la première fois de son histoire, le christianisme évangélique a complètement rompu avec les grands mouvements de réforme de la société.

Ibid., p.35.

Certes, l’Église n’a pas toujours été l’avant garde de ces mouvements, loin de là, mais elle n’en a jamais été exclue non plus. Elle a a minima fourni l’atmosphère d’optimisme et de conscience morale qui a permis les réformes de la société que l’Occident a connues. En rejetant le zèle réformateur des libéraux, les fondamentalistes se retrouvent à l’écart de toute amélioration sociétale.

Cet isolement n’est pas conforme à l’héritage historique du christianisme : les maux de la société ont toujours été la faute des hommes aux yeux de l’Église, et non celle de Dieu ou de « la grande apostasie ».

L’idéal de société judéo-chrétienne a lancé un défi à la culture dominante de sa génération, condamnant avec une force salvatrice les maux sociaux tolérés, car le message du salut était la lumière du monde et le sel de la terre. Il ne suffisait pas d’insister sur le pur schéma doctrinal ; il était toujours couplé avec les attaques les plus vigoureuses contre les maux, comme si le monde se tenait déjà devant le trône du jugement de Christ. Tel était le christianisme apostolique ; tel est aussi l’esprit des discours apologétiques qui suivront. Les empereurs devaient faire la paix avec Jésus, sinon dans cette vie, du moins dans l’autre. Si le royaume de Dieu n’était pas réalisé sur Terre, la faute n’était pas celle de Dieu, ou de la métaphysique du salut, mais de l’homme pécheur.

Ibid., p.37.

Il en va de même dans la Bible, où la condamnation des maux sociétaux et individuels vont de pair, d’Adam aux apôtres. Croire en Jésus, c’est aussi nourrir les pauvres et réprimander les puissants.

Quelle que soit leur vision du royaume, les premiers chrétiens ne leur ont pas permis d’interférer avec leur zèle pour changer le monde; ils n’étaient pas embarrassés du fait que leurs opposants les suspectent de vouloir renverser le monde. Cela ne voulait pas dire que le christianisme primitif a tracé la voie des réformes sociales ; à la place, il en a fourni les premiers principes et l’élan moral d’une telle réforme, et s’est concentré sur la régénération [ou nouvelle naissance. NdT] comme garantie d’un meilleur environnement.

Ibid., p.42.

Voilà le malaise évangélique des années 40 :

Le fondamentalisme actuel ne décrit pas explicitement les implications sociales de son message pour le monde non-chrétien ; il ne s’oppose pas aux injustices des totalitarismes, des sécularismes de l’éducation moderne, les maux de la haine raciale, les torts dans les relations patrons-salariés, les mauvaises bases des politiques internationales. Il a cessé de défier César et Rome, pour une résignation futile et la soumission à l’esprit triomphant de la Renaissance. L’Évangile apostolique est divorcé de son zèle pour rectifier le monde. L’impératif social chrétien est aujourd’hui entre les mains de ceux qui le comprennent dans des termes sous-chrétiens.

Ibid., p.43.

Il faut réparer cette séparation entre Évangile et progrès social chrétien.

Chapitre 4 : L’appréhension quant à la prédication du Royaume

Paradoxalement, les plus gros zélotes du millenium sont les libéraux, qui ont travaillé dur pour faire venir le « royaume de Dieu » sur terre. En comparaison, les fondamentalistes sont unifiés sur l’idée qu’il faut d’abord que Christ revienne pour qu’il y ait un quelconque âge d’or. Mais c’en est au point où ils n’enseignent plus sur le Royaume de Dieu.

Certes, ils n’ont jamais prêché que la démocratie américaine était le royaume de Dieu, mais ils sont en réalité embourbés dans des fausses prophéties de fin de temps honteuses, et des querelles eschatologiques qui les fatiguent et les vident de leur énergie.

Plus grave encore : certains acteurs fondamentalistes ont remplacé la familiarité avec les enseignements prophétiques de la Bible par des efforts agressifs de proclamer Christ comme réponse efficace à la dissolution de la culture du monde. En conséquence, ils ont entraîné des spectateurs éclairés, plutôt que des ambassadeurs équipés. Leur principal outil était la conférence prophétique plutôt que le défi de la Pentecôte.

Ibid., p.47.

En réaction, on voit dès les années 40 un retour au prémillénarisme historique, voire un abandon complet du prémillénarisme pour l’amillénarisme2. C’est le moment de reconsidérer l’eschatologie évangélique pour avoir quelque chose de moins élaboré et plus utile pour l’Église. Il fait alors une rapide étude eschatologique sur le royaume de Dieu : tout d’abord, il est central dans le prêche de Christ.

  • Il n’est pas tout entier dans le futur: il est décrit comme partiellement réalisé et commencé dans cette vie pour les chrétiens.
  • Il a aussi une gloire future, et une transition nette et tranchante entre ce présent et le futur glorieux.

En conséquence les évangéliques devraient :

Les Églises évangéliques contemporaines ont besoin (1) de redécouvrir la pertinence du message du salut pour la situation globale ; (2) insister sur les grands points communs évangéliques pour former un front commun contre le monde ; (3) rejeter les éléments du message qui vont à rebours de la charité en tant qu’éléments contradictoires avec le génie intrinsèque du christianisme ; (4) réétudier ses convictions eschatologiques pour acquérir une juste perspective qui ne dissipera pas inutilement l’énergie évangélique en controverses sur des points secondaires, alors les problèmes primaires sont internationaux3.

Ibid., p.54.

Chapitre 5 : Le brigand fondamentaliste sur la croix

Les deux brigands sur la croix sont à l’image des libéraux et fondamentalistes face à Christ : l’un se moque de son Seigneur en faisant valoir uniquement ses accomplissement terrestres, et l’autre aime son Seigneur et lui demande de se souvenir de lui à son règne. À ce dernier, Jésus dit: « Aujourd’hui tu seras avec moi au paradis. »

Le but de Carl F.H. Henry est de démontrer que le fondamentaliste a le droit à la parole, et qu’il a lui aussi une vision sérieuse à proposer au monde. L’aspect surnaturel sur lequel insistent les fondamentalistes n’est pas un handicap, mais son plus précieux trésor :

Le schéma surnaturaliste du christianisme historique est ici présenté comme la seule solution aux problèmes modernes. Cette solution n’est pas la renonciation du naturalisme au nom d’un idéal platonique, ou l’existentialisme de Kierkegaard, mais la réaffirmation du salutisme judéo-chrétien. Quand le fondamentalisme classique est convenablement différencié des autres points de vue, l’accent ne tombe plus sur des excès ou des accrétions inacceptables à l’esprit évangélique dans sa globalité.

La vraie différence rentre en plein conflit avec la pensée moderne. Le fondamentalisme insiste sur un univers avec un but et un ordre moral, contre l’univers purement mathématique ; il insiste sur un Dieu personnel, contre les absolus impersonnels, soit de l’espace temps soit d’une espèce d’élan vital; il insiste sur une création divine contre l’évolution naturaliste ; il affirme que les accomplissements de l’homme sont des dons de Dieu et non des exploits humains ; il affirme que l’état actuel de l’homme n’est pas l’héritage des animaux ou une nécessité de nature, mais la conséquence de sa révolte volontaire contre Dieu ; il insiste sur le fait que le salut ne peut être offert que par Dieu, contre l’idée que l’homme peut se sauver lui-même ; il insiste sur le fait que les Écritures sont une révélation qui éclaire le chemin vers l’incarnation en Jésus-Christ le sauveur de l’humanité, contre l’idée qu’elles ne sont qu’un récit parmi d’autres d’expérience religieuse ; il rappelle que l’Histoire dépend de l’acceptation ou du rejet du Dieu-homme, contre l’idée que l’histoire soit avant tout ce qu’il se passe parmi les nations ; il insiste sur le fait que le futur n’est pas une question ouverte, mais que le monde va vers sa consommation finale lors du jugement futur de tous les peuples.

Ibid., pp.56-57.

Certes il y a des évangéliques qui confessent moins que cela, mais il y a aussi des platoniciens qui ne croient pas en un monde platonique. Certes les évangéliques croient en davantage d’articles que ceux-là, mais il est absolument vital que l’on fasse la distinction entre doctrines principales et secondaires. Henry appelle à un grand effort d’unité entre évangéliques, quels que soient les désaccords dans les détails. Ce n’est pas trop tard pour racheter ce monde séculier : pour Lazare aussi Jésus est arrivé « trop tard » jusqu’à ce qu’il lui dise « sors de ta grotte ! »

Chapitre 6 : La lutte pour l’esprit moderne

Il faut développer une doctrine complète, y compris sur les sujets sociaux:

Si le christianisme historique doit rivaliser à nouveau en tant qu’idéologie incontournable, les églises évangéliques doivent offrir une solution aux problèmes les plus pressants du monde. Elles doivent offrir une formule pour l’esprit de ce nouveau monde, qui inclut des fins spirituelles. Cela inclut des positions évangéliques dans le domaine politique, économique, sociologique, éducationnel, local et international. Le message du salut a des implications dans l’ensemble de la vie; un message tronqué donne une vie tronquée.

Ibid., p.62.

Pour cela le fondamentalisme doit à nouveau croire que le Royaume est à portée. Il doit aussi maintenir que l’homme est mauvais à cause de ses propres décisions, et non d’une mauvaise nature. Ce qui bloque le royaume n’est pas la nature humaine, mais le refus de Dieu. Il a un optimisme modéré : l’Évangile peut transformer le monde, mais non le conquérir.

En conséquence, les Églises évangéliques peuvent voir le futur avec un sobre optimisme, fondé non seulement sur l’assurance du triomphe final de la justice, mais aussi dans la conviction que le salut divin est un facteur agissant à n’importe quelle époque. Les Églises évangéliques ne créeront peut-être pas une civilisation pleinement chrétienne, mais cela n’empêche pas de chercher à gagner autant de domaines que possible par le pouvoir rédempteur de Christ ; elles peuvent engendrer une réforme ici, renverser le paganisme là ; elle peut gagner des avant-postes pour le salut qui est en Jésus-Christ, rappelant les triomphes apostoliques. Si le christianisme ne peut pas amener une vie nouvelle en Russie, cela ne veut pas dire qu’il en est incapable en Chine ; s’il ne peut pas apporter une réforme en Espagne, il n’y a aucune raison qu’il ne puisse pas le faire en Amérique du Sud. Une seule voix qui parle pour Jésus dans des conférences mondiales peut être une voix déterminante.

Il faut aussi se tailler une place dans l’Académie et le monde de l’Éducation, car c’est un grand obstacle. Pour cela, deux aspects :

  • Il faut une philosophie et une contribution académique pleinement évangélique, qui soit digne d’enseignement. Il n’y a pas de raisons qu’on enseigne Aristote et Nietzche, mais pas Christ.
  • À cause de l’influence mauvaise de l’école publique, il ne suffit pas que l’Église et les maisons d’édition soient chrétiennes : il faut aller capturer ou fonder des écoles chrétiennes. Ce n’est plus tant de missionnaires à l’étranger dont nous avons besoin, mais d’enseignants à domicile. Henry propose de mettre à profit les bâtiments d’église pour en faire des écoles la semaine.

De manière générale, il ne s’attend pas à une chrétienté, mais plutôt à une influence bénéfique des évangéliques sur la société.

La vie chrétienne doit être vécue parmi les nés de nouveaux, dans chaque domaine d’activité, jusqu’à ce que même les non-régénérés soient mûs par les standards chrétiens, reconnaissant leur force. Ils ne seront pas sauvés pour autant, mais ils seront plus facilement atteints pour Christ que ceux qui s’éloignent délibérément des standards chrétiens, parce qu’ils peuvent se rappeler que l’éthique chrétienne ne peut pas être séparée de la métaphysique chrétienne. Plus une société a de levain chrétien, plus elle devient un environnement favorable à l’expansion chrétienne. L’humeur évangélique ne doit pas se retirer de la scène politique de demain. On peut croire en la séparation de l’Église et de l’État, comme le font les baptistes, sans sacrifier la conduite de l’État aux mains d’hommes athées. L’Église catholique romaine a entraîné ses candidats aux postes diplomatiques mondiaux avec une vision unique ; dans le monde d’aujourd’hui, le ministère des affaires étrangères n’est pas moins important qu’un autre.

Ibid., p.66-67.

Chapitre 7 : La « formule de protestation » évangélique

Les fondamentalistes n’aiment pas plus que les libéraux les corruptions de notre société. Et pourtant, ce sont les libéraux qui ont le contrôle de toutes les réformes.

Pourtant le fer de lance des attaques contemporaines contre les immoralités n’est pas dirigé par des forces évangéliques. À la place, les mouvements humanistes non-évangéliques dirigent les efforts d’amélioration du monde. Le programme social est largement construit par des groupes non-évangéliques.

Ibid., p.70

Sauf que l’évangile social des libéraux est en crise et en mutation dans les années 40. Du coup, l’initiative peut revenir à nouveau aux conservateurs, pour peu qu’ils trouvent un moyen de le faire chrétiennement. Comment faire ? Tout d’abord, il existe des œuvres chrétiennes conservatrices, même si elles ne sont pas fondamentalistes. Mais dans des œuvres plus larges il faut agir différemment : 1. Si les évangéliques sont en majorité, affirmer la nature chrétienne de leur opposition au mal ; 2. S’ils sont en minorité, exprimer la même opposition avec une technique qui précise l’arrière-plan proprement chrétien de leur opposition.

Contre le séparatisme commun chez les fondamentalistes, Carl F.H. Henry fait remarquer qu’on ne devrait pas pousser le souci de pureté jusqu’à rester passif face aux maux de la société. D’autre part, dans une société en majorité non chrétienne, ils sont obligés de travailler avec les non-chrétiens. L’action indépendante ne devrait être envisagée que s’il est impossible d’adhérer et de s’exprimer en tant que chrétien dans une association. Bref, il n’y a pas de raison de ne pas s’engager culturellement.

Chapitre 8 : L’aube d’une nouvelle réforme

Le besoin d’engagement culturel de la part des chrétiens est grand, et son succès n’est pas hors de portée. Il déconseille de se marier à une idéologie particulière, et de se concentrer plutôt sur l’expression des valeurs chrétiennes :

Les Églises évangéliques contemporaines n’ont pas besoin de viser d’abord la construction de la « civilisation supérieure ». Le faire revient à tomber dans l’erreur du libéralisme d’hier. Son but suprême est la proclamation de la grâce salvatrice à l’humanité déchue ; il n’y a pas besoin que le fondamentalisme embrasse l’évangile social mort du libéralisme. L’ordre divin implique un principe surnaturel, une force créatrice qui amène la société en dehors de ses sources naturelles d’amélioration, et régénère l’humanité. C’est dans ce renversement divin de la nature pécheresse de l’homme que se situe la véritable réponse à nos problèmes — qu’ils soient politiques, économiques, ou sociologiques. Y-a-t-il une tension politique ? Cherchez d’abord, non pas une victoire des républicains, ou du parti socialiste, mais le royaume de Dieu et sa justice. Alors le reste sera ajouté — pas nécessairement une victoire du parti socialiste ou républicain, mais le repos politique. Y-a-t-il des tensions économiques ? Cherchez d’abord, non une augmentation des salaires avec moins d’heures, avec sa probable conséquence du chien qui court après sa queue des prix qui montent. Cherchez la justice divine ; cette dernière norme impliquera de l’équité pour les travailleurs comme l’encadrement. Mais il sera ajouté non seulement la solution aux problèmes de l’homme économique, mais aussi ceux de l’homme spirituel. Il n’y a pas de concorde satisfaisante dans la civilisation moderne en proie à une tension spirituelle.

Ibid., p.78.

Il ne faut se refuser aucun sujet:

Les implications de ceci pour les Églises évangéliques semblent claires. La bataille contre le mal sous toutes ses formes doit être engagée sans répit. Nous devons poursuivre l’ennemi, en politique, en économie, en science, en éthique – partout, dans tous les champs, nous devons le poursuivre sans répit. Mais lorsque nous avons acculé l’ennemi – lorsque nous l’avons arraché de ceux qu’il gardait captif et qu’il trompait- nous devons affronter l’adversaire frontalement, vêtu de l’armure de l’Évangile. D’autres peuvent lui résister avec des armes inadéquates; ils ne comprennent pas la vraie nature de l’ennemi, ni ce qu’il faut pour vaincre. Nous devons les rejoindre dans la bataille, tout en cherchant à mieux cerner l’ennemi, ou plus précisément, mieux élaborer la doctrine du salut.

Ibid., p.79.

Il ne s’agit pas de se détourner de l’Évangile pour traiter les problèmes sociétaux, mais de vivre le plein Évangile en ajoutant l’engagement culturel.

La tâche évangélique est la prédication de l’Evangile, en vue de la régénération individuelle par la grâce surnaturelle de Dieu, d’une telle façon que le Salut de Dieu puisse être reconnu comme la meilleure solution à nos problèmes individuels comme sociaux. Cela produit dans l’histoire, à travers l’œuvre de régénération du Saint-Esprit, une société divine qui transcende les lignes nationales et internationales. Le témoignage commun des croyants, avec la pureté de leur vie, doit fournir au monde un exemple de la victoire de Dieu sur le mal dans tout domaine. Les problèmes sociaux de notre époque sont beaucoup plus complexes que dans les temps apostoliques, mais il ne sont pas différents dans leurs principes.

Ibid., p.81.
  1. En 1947, c’est la grande peur atomique, alors que l’URSS et les Etats-Unis s’équipent à toute vitesse de suffisamment d’armes nucléaires pour faire disparaître la terre plusieurs fois.[]
  2. À noter : C.F.H. Henry revendique son appartenance au prémillénarisme historique à la page 48 et rejette le dispensationnalisme page 49.[]
  3. Pour rappel : En 1947, nous sommes alors au début de la guerre froide.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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