L’actualité catholique romaine, en particulier sous le pontificat de François, est utile pour comprendre la dynamique actuelle de l’Église romaine et mettre en lumière certains éléments à même de révéler le fonctionnement véritable du magistère romain. Aussi, je commenterai occasionnellement celle-ci afin de donner à nos lecteurs des clés de compréhension du catholicisme contemporain.
Ministeria Quædam est une “lettre apostolique” du 15 août 1972 par laquelle Paul VI réforma la discipline des ordres mineurs dans l’Église romaine. Cette lettre établit et qualifie les fonctions de lecteurs et d’acolytes dans l’Église romaine. Ce 10 janvier 2021, François a modifié ce que le droit canon disait au sujet de ces fonctions, afin de permettre aux femmes d’y accéder. Anticipant les polémiques, celui-ci a affirmé que ces ministères institués étaient substantiellement distincts de ceux reçus par le sacrement de l’ordre, c’est-à-dire ceux du diacre et du prêtre. Son discours se veut rassurant sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un pas vers l’ordination des femmes. Nous verrons dans cet article pourquoi la question est plus complexe et pourquoi la réponse du pape ne satisfait pas tous les catholiques.
Les rôles des lecteurs et acolytes
Les lecteurs et acolytes ont un rôle principalement liturgique de soutien aux prêtres et aux diacres lors de la Messe. Nous ne pourrons faire mieux que citer Ministeria quædam :
Le lecteur est institué pour la fonction qui lui est propre de lire la parole de Dieu dans l’assemblée liturgique. C’est pourquoi il doit proclamer, au cours de la messe et des autres offices, les lectures tirées de la Sainte Écriture (excepté toutefois l’Évangile) ; lire, en l’absence du psalmiste, le psaume entre les lectures ; donner, lorsqu’il n’y a ni chantre ni diacre de disponible, les intentions de la prière universelle ; diriger le chant et la participation du peuple fidèle ; prendre enfin les dispositions nécessaires pour que les fidèles reçoivent dignement les sacrements. Il pourra aussi, s’il en est besoin, veiller à la préparation des autres fidèles qui, occasionnellement, doivent lire la Sainte Écriture au cours des célébrations liturgiques.
Paul VI, Ministeria Quædam, V.
Ce ministère implique, en outre, de méditer les saintes Écritures de façon régulière.
L’acolyte est institué pour aider le diacre et servir de ministre au prêtre. Il lui revient donc de s’occuper du service de l’autel, d’aider le diacre et le prêtre dans les fonctions liturgiques et principalement dans la célébration de la messe ; il lui appartient en outre de distribuer la sainte communion, en tant que ministre extraordinaire, chaque fois que les ministres dont il est question au canon 845 du Code de droit canonique, manquent ou en sont empêchés en raison de leur état de santé, de leur âge avancé ou de leur ministère pastoral, ou encore chaque fois que le nombre des fidèles qui s’approchent de la sainte Table est tellement important que la célébration de la messe en serait prolongée. Dans les mêmes cas extraordinaires, on pourra lui confier le soin d’exposer publiquement le saint Sacrement à l’adoration des fidèles et de le reposer ensuite, mais non de donner la bénédiction au peuple. Il pourra aussi, s’il en est besoin, veiller à la préparation des autres fidèles qui seraient occasionnellement appelés à aider le prêtre ou le diacre dans les fonctions liturgiques, en portant le missel, la croix, les cierges, etc. ; ou en exerçant d’autres charges de ce genre.
Paul VI, Ministeria Quædam, VI.
Ce ministère implique, en outre, de méditer sur le sens de l’Eucharistie de façon assidue.
On le comprend, ces ministères renvoient l’un à l’autre, le lecteur correspondant au service de la Parole et l’acolyte au service de la Table (ou de l’Autel). Ils proviennent tous deux d’une réforme du sous-diaconat.
Les ministères institués comme préparation aux ordres majeurs
Une fonction notable de ces rôles et une des raisons de leur institution selon Paul VI est de servir de préparation aux ordres majeurs. En réalité, il s’agit d’un passage obligatoire : tout diacre et tout prêtre doit avoir tout d’abord exercé ces ministères, habituellement durant six mois minimum.
Les candidats au diaconat et au sacerdoce doivent recevoir, si cela n’a déjà été fait, les ministères de lecteur et d’acolyte, et les exercer pendant un temps convenable, afin de mieux se préparer à leurs futures fonctions de la Parole et de l’Autel. Pour ces candidats, la dispense de la réception de ces ministères est réservée au Saint-Siège.
Paul VI, Ministeria Quædam, XI.
La tradition de l’Église
“Être institué lecteur et acolyte, conformément à la vénérable tradition de l’Église, est réservé aux hommes”, affirme Paul VI dans cette même lettre. Comment peut-il faire référence à la tradition de l’Église pour un rôle qu’il vient d’instituer ? Le point précédent l’explique : ces rôles de lecteurs et d’acolytes, s’ils sont distincts des ordres majeurs, n’en sont pas moins toujours exercés en lien avec ceux-ci voire en vue de ceux-ci. Ainsi, toute la tradition chrétienne sur l’ordination exclusive d’hommes au diaconat et au sacerdoce pèse pour Paul VI dans cette décision. Il faut aussi noter que Paul VI n’a évidemment pas inventé ces rôles liturgiques. Il a simplement fusionné et re-qualifié sous le nom de “ministères institués” les anciens ordres mineurs du même nom et l’ordre majeur de sous-diacre. Or, ce dernier avait aussi pour but de préparer au ministère presbytéral et était réservé aux hommes.
L’écrivain et diacre catholique Nick Donelly explique ainsi1 :
Même si les filles et les femmes ont joué le rôle de lectrices et de servants d’autel pendant des décennies dans certains pays, ce n’est pas la même chose que l’institution formelle dans les ministères du lecteur et de l’acolyte. Selon une ancienne tradition de l’Église, l’institution de ces ministères est réservée aux hommes, ce qui reflète le choix explicite du Christ de choisir des hommes pour apôtres. Dès les premiers jours de l’Église, les ministères de lecteur et d’acolyte ont été intimement associés aux ministres sacrés de l’autel : évêques, prêtres et diacres.
Cette association étroite entre ces ministères institués et la prêtrise ou le diaconat est rendu manifeste, toujours selon Donelly, par la nécessité d’exercer l’un pour pouvoir exercer l’autre.
Conclusion
Cette décision, si elle peut paraître anodine, ne l’est pas après examen. On ne peut simplement écarter le débat en prétendant que ces fonctions sont substantiellement distinctes de la prêtrise et du diaconat comme l’a fait François, dans le mesure où elles existent en relation à ces ministères, voire en préparation pour ces ministères. Dans le contexte d’un pontificat largement perçu comme progressiste et des récentes revendications en faveur d’une prêtrise féminine à l’occasion du synode de l’Amazonie, on ne peut pas manquer de constater une certaine trajectoire, très lente et progressive (et ça ne peut être autrement pour un pareil paquebot) vers l’ordination féminine. C’est d’ailleurs parce que cette trajectoire est perceptible que les conservateurs s’émeuvent de cette réforme du droit canon.
Mais cette décision questionne aussi le rapport à la tradition qu’a cette Église. L’Église romaine prétend en effet couramment la tenir en haute estime et lui reconnaître une certaine autorité. On constate ici que cette autorité ploie devant l’ère du temps2 et surtout devant la décision du Magistère du moment. Que Paul VI ait compris cette “vénérable tradition” chrétienne comme impliquant que ces fonctions soient réservés aux hommes n’empêche pas le pape suivant de penser autrement : pourquoi en serait-il différemment de la fonction sacerdotale ? L’avis du dernier représentant du magistère ayant la parole prime, puisque c’est lui qui est chargé de dire ce que la tradition implique et que le magistère d’hier fait partie de la tradition. Cette situation n’est pas théorique puisque, comme nous le verrons dans un prochain article, l’interprétation de la tradition que François propose sur le sujet de la peine de mort ou celle qu’il propose ici sur ces fonctions liturgiques sont directement contraires à l’interprétation qu’en faisaient plusieurs de ces prédécesseurs.
Illustration en couverture : La Messe catholique, Fyodor Bronnikov, 1869.
- DONELLY Nick pour LifeSiteNews.[↩]
- Selon les mots du docteur catholique Peter Kwasniewski.[↩]
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