Un héritage réformé baptiste — Taylor DeSoto
22 septembre 2021

Comme j’ai pu l’expliquer ailleurs sur le blog, je pense que le fédéralisme baptiste ou baptisme confessant la Confession de foi baptiste de Londres de 1689 est erroné non seulement parce qu’il n’est pas conforme aux Écritures, mais aussi parce qu’il souffre d’incohérences internes, en particulier dans ses définitions floues et changeantes des termes substance, administration et promesse selon l’alliance considérée. Autrement dit, indépendamment du débat exégétique, la position en question ne peut pas être vraie à mes yeux tout simplement parce qu’elle est contradictoire. Cette position jouit néanmoins, selon ses défenseurs les plus audibles, d’un pédigrée remarquable.

Mais si cette position est véritablement si ancienne, on explique mal pourquoi les réformés ne l’ont jamais abordée avant une époque relativement récente. En effet, la lecture qu’ils proposent de la 1689 et de Nehemiah Coxe semble n’avoir été suivie par personne à l’époque : ni par ceux représentés par John Gill qui articulent les alliances sensiblement de la même manière que les réformés, ni par ceux qui, comme Philip Cary auquel John Flavel répond dans son Vindiciæ Legis et Fœderis, assimilent purement et simplement l’alliance abrahamique à une alliance des œuvres parallèle à l’alliance de grâce. Aussi, c’est avec grand intérêt que nous proposons la traduction de l’article suivant de Taylor DeSoto qui vient questionner le récit que font ces baptistes dits “fédéralistes” du développement de leur propre tradition. DeSoto est lui-même baptiste et adhère à la Confession de Londres, qu’il interprète autrement. Il n’écrit donc pas dans un objectif polémique contre la position baptiste et ses propos ne correspondent donc pas toujours à la ligne doctrinale réformée de notre blog. Ces précisions étant faites, je vous souhaite une bonne lecture et remercie Fabien Garat pour son travail de traduction.


Introduction

Ces dernières années, il y a eu un grand intérêt pour la « redécouverte » de l’héritage réformé baptiste en ce qui concerne la théologie de l’alliance. Des érudits comme Pascal Denault et Samuel Renihan ont beaucoup œuvré pour présenter ce que l’on appelle le « fédéralisme 1689 » comme le point de vue des rédacteurs de la Confession de foi baptiste de Londres de 1689. Cette vision de la théologie de l’alliance est devenue assez populaire dans les Églises réformées baptistes grâce au livre de Denault intitulé Une alliance plus excellente, en plus du travail de Renihan, ses vidéos et son livre The Mystery of Christ, His Covenant, and His Kingdom. Bien que le fédéralisme 1689 soit plus populaire, il existe un autre point de vue sur la théologie de l’alliance baptiste appelée « covenantalisme classique ». Les fédéralistes 1689 l’appellent par le nom de « vanille » (Vanilla) ou « XXe siècle » (20th Century). Dans cet article, j’aimerais démontrer que le covenantalisme classique est mieux fondé historiquement et mieux compris à partir de la confession que le fédéralisme 1689. 

Avant d’aborder les particularités de chaque position, il est important de noter ce qui était considéré comme orthodoxe à l’époque de la rédaction de la confession1 en 1689. Étant donné que les rédacteurs ont largement utilisé la confession de foi de Westminster (CFW) comme modèle, j’utiliserai la théologie de l’alliance de Westminster comme point de départ et de référence.

Comparaison des chapitres 7

Les fédéralistes 1689 envisagent les différences entre le chap. 7 de la CFW et de la CFBL comme un système d’alliance entièrement nouveau. Plutôt que d’affirmer le covenantalisme classique, qui dit qu’il y a une seule alliance de grâce, unifiée sous deux administrations, le fédéralisme 1689 envisage une seule alliance de grâce, et c’est la nouvelle alliance. L’ancienne alliance, selon le fédéralisme 1689, est une alliance des œuvres. Au lieu que l’alliance de grâce ait été conclue en Genèse 3.15, le fédéralisme 1689 suggère qu’elle ait été seulement promise et révélée sous une alliance des œuvres. Il est donc clair que le modèle de la théologie de l’alliance du fédéraliste 1689 est très différent du point de vue orthodoxe de l’époque. Il faut donc répondre à deux questions. La confession enseigne-t-elle réellement ce système ? Les rédacteurs ont-ils voulu présenter ce point de vue dans la confession ? Pour ce faire, nous devons examiner la confession elle-même, puis les écrits des rédacteurs dans le contexte de l’orthodoxie réformée du XVIIe siècle. Nous examinerons d’abord les différences entre les confessions, puis, dans la dernière partie, nous étudierons Nehemiah Coxe à la lumière de ces différences. Toutes les citations seront tirées de l’édition Kindle de « Covenant Theology : From Adam to Christ », sauf indication contraire (malheureusement, mon édition Kindle ne comporte pas de numéros de page)2.

Qu’enseigne la confession ?

Nous pouvons commencer par faire une brève comparaison entre les confessions. La CFBL a trois paragraphes et la CFW en a six. Je ferai ici une brève analyse des différences entre les deux.

Paragraphe 1

Le premier paragraphe des deux confessions commence en déclarant la nécessité de la condescendance volontaire de Dieu et la distinction entre créature et Créateur. Les deux sont d’accord pour dire que la condescendance de Dieu se fait par le moyen d’une alliance. Les théologiens baptistes de Londres ont supprimé entièrement le paragraphe 2, qui nomme explicitement l’alliance conclue avec Adam dans le jardin « alliance des œuvres ». Toutefois, le chapitre 20 au paragraphe 1 de la CFBL nomme cette première alliance comme l’alliance des œuvres ; nous pouvons donc dire sans risque que la CFBL enseigne la même structure jusqu’à présent. Il est difficile de déterminer pourquoi les rédacteurs de la CFBL ont omis le paragraphe 2, mais on peut dire sans risque de se tromper que ce n’était pas pour rejeter l’alliance des œuvres, car elle est clairement affirmée plus loin dans la confession. Puisque la CFBL a supprimé le paragraphe 2, nous allons comparer le paragraphe 3 de la CFW au paragraphe 2 de la CFBL.

Paragraphes 2 (CFBL) et 3 (CFW)

Le paragraphe 2 de la CFBL et le paragraphe 3 de la CFW affirment la même chose : ils traitent de ce que l’on pourrait appeler le « point focal » et la « mise en œuvre » de l’alliance de grâce et enracinent la nécessité de l’alliance de grâce dans la Chute. Les deux affirment que l’alliance de grâce a été conclue dans la Genèse et que la rédemption est appliquée dans l’offre gratuite du salut en Jésus-Christ par l’appel efficace.

La différence majeure, c’est que la CFBL évite la terminologie « une seconde alliance ».

« le Seigneur a bien voulu en conclure une seconde [alliance], généralement nommée “l’alliance de grâce”. Dans cette alliance, il offre gratuitement aux pécheurs la vie et le salut par Jésus-Christ. » (CFW, chap. 7, § 3)

« Il a plu au Seigneur de faire une alliance de grâce, dans laquelle il offre gratuitement aux pécheurs la vie et le salut par Jésus-Christ. » (CFBL, chap. 7, § 2)

La seule différence, autre que celle-ci, est l’inversion d’une virgule et d’un point-virgule.

Paragraphe 4 (CFBL)

La confession baptiste de Londres omet entièrement le paragraphe 4, qui stipule que : « Cette alliance de grâce est fréquemment désignée dans l’Écriture par le nom de Testament. » Il est possible que les rédacteurs aient omis ce paragraphe parce que, comme le note Dabney, il n’y a qu’un seul endroit dans l’Écriture où l’alliance est assurément appelée un testament. Il n’y a sans doute rien de perdu dans la CFBL avec l’omission du paragraphe 4 de la CFW. Puisque le paragraphe 4 est supprimé de la CFBL, nous allons comparer les paragraphes 5 et 6 de la CFW avec le paragraphe 3 de la CFBL.

Paragraphes 3 (CFBL) et 5-6 (CFW)

Les différences entre le paragraphe 3 de la CFBL et les paragraphes 5 et 6 de la CFW sont la principale source de désaccord d’interprétation la confession. Comme nous l’avons noté, l’omission du paragraphe 2 ne signifie pas nécessairement la réfutation ou le rejet d’une doctrine. Par conséquent, nous tâcherons de considérer le paragraphe 3 de la CFBL à la lumière des paragraphes 5 et 6 de la CFW, plutôt que de mettre en opposition le chapitre 7, paragraphe 3 de la CFBL avec la CFW. La principale affirmation des fédéralistes 1689, c’est que le paragraphe 3 de la CFBL n’affirme pas l’unité de substance de l’alliance de grâce, les poussant à identifier l’alliance de grâce comme étant la nouvelle alliance. Malgré cela, la CFBL affirme véritablement l’unité de l’alliance de grâce lorsqu’elle déclare que : « Ce n’est que par la grâce de cette alliance que tout membre de la postérité d’Adam déchu a jamais été sauvé, et a obtenu la vie ». (CFBL, chap. 7, § 3)

De plus, la CFBL chapitre 8, paragraphe 6 déclare que : « Bien que le prix de la rédemption n’ait en fait été payé par le Christ qu’après l’incarnation, les avantages, l’efficacité et les bienfaits qui en découlent ont été successivement communiqués aux élus de tous les temps, dès le commencement du monde. Cela s’est fait dans et par des promesses, des types et des sacrifices qui révélaient et signifiaient que le Christ, qui est le même hier, aujourd’hui et éternellement, est la postérité qui écraserait la tête du serpent, et l’Agneau immolé depuis la fondation du monde. »

La différence entre le covenantalisme classique et le fédéralisme 1689, c’est que les fédéralistes 1689 soutiennent que tout cela ne se fait pas sous l’administration de l’ancienne alliance, mais plutôt en vertu, ou par la promesse, de la nouvelle alliance. Cela semble contredire la CFBL, chapitre 8, paragraphe 6 qui dit que : « Les bienfaits qui en découlent ont été successivement communiqués aux élus de tous les temps, dès le commencement du monde. Cela s’est fait dans et par des promesses ». Par conséquent, les fédéralistes 1689 appelleront parfois la nouvelle alliance, la « nouvelle alliance de grâce ». Pascal Denault écrit : « Les baptistes voyaient une unité de substance dans l’alliance de grâce depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse, mais ils ne voyaient pas une unité de substance entre l’ancienne et la nouvelle alliance. Ils n’acceptaient donc pas l’idée que ces deux alliances soient deux administrations d’une même alliance. » (Pascal Denault, Une Alliance plus excellente, p. 75-76). La question est donc de savoir si les rédacteurs avaient l’intention de rejeter le point de vue réformé de la théologie de l’alliance lorsqu’ils ont rédigé le paragraphe 3.

Les fédéralistes 1689 soutiennent que le terme « révélée » indique qu’aucune alliance n’a été conclue en Genèse 3,15, mais seulement promise. Pourtant, nous voyons Nehemiah Coxe utiliser ce langage de manière interchangeable :

En effet, bien que l’alliance de grâce conclue avec Abraham ait à tous égards (du point de vue du temps et de l’excellence) la préséance sur l’alliance conclue avec sa postérité charnelle dans la lignée d’Isaac, cependant, dans le sage conseil de Dieu, les choses ont été ordonnées de telle sorte que la pleine révélation de l’alliance de grâce, l’accomplissement réel de ses grandes promesses, et son accomplissement par les ordonnances qui lui sont propres, devaient succéder à l’alliance faite avec Israël selon la chair, et la remplacer lors de sa dissolution, lorsqu’elle devint vieille et disparut. 

Nehemiah Coxe, Covenant Theology : From Adam to Christ, p. 91.

Coxe affirme donc que l’alliance de grâce a bien été conclue, et non seulement promise. Il l’affirme encore lorsqu’il dit : « Un temps considérable avant que cette transaction ne soit enregistrée dans Genèse 17, l’alliance de grâce a été confirmée par Dieu à Abraham dans le Christ Jésus. » (op. cit., p. 107)

Le point de Coxe ici est d’affirmer qu’il y a une différence entre ce qu’il appelle « l’alliance de la circoncision » et « l’alliance de grâce », qui « fut confirmée à Abraham avant qu’il ne soit circoncis. » Coxe n’affirme pas que l’alliance de grâce n’était pas conclue, mais il fait plutôt une distinction entre celle-ci et ce qu’il appelle « l’alliance de la circoncision ». 

Il affirme que « l’alliance de la circoncision » était une dispensation temporaire et subordonnée à l’alliance de grâce :

De plus, l’alliance de la circoncision n’était pas assez complète en elle-même pour amener l’Église à la perfection prévue dans les conseils éternels de la grâce souveraine de Dieu. Elle n’était pas capable de rendre quoi que ce soit parfait par elle-même et devait être établie comme typique et subordonnée à l’alliance de grâce dans une dispensation temporaire qui ouvrirait et laisserait place à l’Évangile dans la plénitude des temps. »

Op. cit., p. 137.

C’est un argument contre le pédobaptême et non une réfutation du fait que l’alliance de grâce a été conclue avec Abraham. Il fait référence à la trichotomie de John Owen :

Nous devons reconnaître l’une de ces trois choses : (1) Que soit l’alliance de grâce était en vigueur sous l’Ancien Testament ; ou, (2) que l’Église a été sauvée sans elle, ou sans aucun bénéfice de Jésus-Christ, qui en est le seul médiateur ; ou, (3) qu’ils ont tous péri éternellement. Et aucune de ces deux dernières hypothèses ne peut être admise.

John Owen, Covenant Theology : From Adam to Christ, p. 179.

Ainsi, Coxe ne rejette pas réellement le fait que l’alliance de grâce ait été conclue dans l’Ancien Testament, comme le font les fédéralistes 1689. Son problème, comme pour Owen, c’est le langage de l’orthodoxie de l’époque :

Sur cette considération, il est dit que les deux alliances mentionnées, la nouvelle et l’ancienne, n’étaient pas vraiment deux alliances distinctes, quant à leur essence et à leur substance, mais seulement différentes administrations de la même alliance, appelées deux alliances à cause de certaines solennités extérieures et devoirs de culte qui les accompagnent différents… Et en effet, il y a tellement d’accord sur ce point, que ce qui reste semble plutôt être une différence par rapport à l’expression de la même vérité, que des contradictions réelles sur les choses elles-mêmes.

John Owen, op. cit., pp. 180-181.

En supposant que Coxe est d’accord avec la section d’Owen qu’il inclut dans son livre, nous pouvons donc dire qu’il est d’accord avec ce dernier en ce qui concerne l’alliance de grâce et la nouvelle alliance :

Quand nous parlons de la “nouvelle alliance”, nous n’entendons pas l’alliance de grâce de manière absolue, comme si elle n’avait pas été antérieure dans son existence et son efficacité, avant l’introduction de ce qui est promis en ce lieu. Car elle a toujours été la même, quant à sa substance, dès le commencement. Elle a traversé toute la dispensation des temps avant la loi et sous la loi, de la même nature et de la même efficacité, inaltérable. »

John Owen, op. cit., pp. 184-185.

C’est ici que Coxe s’écarte de l’orthodoxie de l’époque : « À cette fin, nous devons reconnaître deux alliances distinctes, plutôt qu’une double administration de la même alliance. » (John Owen, op. cit., p. 187)

Ainsi chez Coxe, nous voyons deux choses : (1) Coxe est d’accord sur le fond avec ce qui est dit par les orthodoxes de l’époque, mais (2) il est en désaccord avec le vocabulaire, car il le considère contradictoire avec le langage simple de l’Écriture qui décrit deux alliances distinctes. Il est donc établi que Coxe est en désaccord avec les orthodoxes réformés de son époque dans leur terminologie « une alliance sous deux administrations », mais qu’il est toutefois d’accord sur le fond avec leur argument. Il affirme que l’alliance de grâce a bien été conclue avec Abraham, mais il fait une distinction entre cette alliance et « l’alliance de la circoncision ».

Coxe rejette l’affirmation que la nouvelle alliance soit absolument l’alliance de la grâce. À cet égard, il est beaucoup plus proche des théologiens de Westminster que des fédéralistes 1689 des temps modernes. Son point de vue à ce sujet c’est que « l’alliance de grâce en Christ n’est conclue qu’avec l’Israël de Dieu, l’Église des élus. » (John Owen, op. cit., p. 238) En d’autres termes, il affirme l’exclusivité de l’alliance de grâce aux élus dans la nouvelle alliance et l’ancienne alliance. Dans ce contexte, Coxe affirme que l’ancienne alliance était une alliance des œuvres, à ne pas confondre avec l’alliance des œuvres conclue avec Adam. C’est ici le principal désaccord entre Coxe et les réformés de son époque, qui affirment, eux, que l’ancienne alliance était une alliance de grâce. La question à laquelle nous devons maintenant répondre est la suivante : la confession enseigne-t-elle la même chose ?

L’enseignement de la confession sur l’alliance 

Il est important de noter que la CFBL de 1689 ne reprend pas en intégralité ce qui se trouve dans les écrits de Coxe. Elle n’affirme pas, par exemple, que la loi donnée au mont Sinaï était une alliance des œuvres et ne présente pas non plus « l’alliance de la circoncision » comme faisant partie de l’ancienne alliance plutôt que de l’alliance de grâce. En ce sens, elle adopte plutôt une position médiane. C’est le défi majeur de la CFBL, qui, plutôt que de formuler positivement les différences avec la CFW en ce qui concerne les structures de l’alliance, les omet simplement et laisse au lecteur la tâche d’interpréter la confession dans le contexte de l’orthodoxie historique. Autrement dit, la confession ne présente pas expressément l’enseignement de Coxe sur les alliances bibliques, même si les omissions laissent la place à son interprétation.

Ceci étant établi, il nous faut se poser une autre question importante. Nehemiah Coxe a-t-il enseigné ce que les fédéralistes 1689 enseignent aujourd’hui ? Si l’on peut démontrer que ce n’est pas le cas, alors on peut également démontrer qu’il ne peut pas être utilisé comme une grille d’interprétation pour déduire, à partir de la CFBL, les enseignements du fédéralisme 1689. Comme je l’ai fait remarquer ci-dessus, Coxe et les fédéralistes 1689 ne sont, en fait, pas entièrement d’accord. Pour commencer, Coxe rejette l’idée selon laquelle la nouvelle alliance est, de manière absolue, l’alliance de grâce et que l’alliance de grâce n’a pas été conclue avec Abraham. On peut donc dire que si Coxe partage certaines opinions avec les fédéralistes 1689 (comme le fait que l’ancienne alliance était une alliance des œuvres), il est également en désaccord avec eux sur plusieurs points importants. 

De plus, la référence à John Owen démontre que Coxe considérait sa position sur la théologie de l’alliance comme médiane, relevant tantôt plusieurs désaccords importants avec les orthodoxes de l’époque, notamment quant à la terminologie, tout en affirmant aussi en substance ce qu’ils disaient. L’objectif semble être de démontrer que les non-croyants n’appartiennent pas à l’alliance de grâce — c’est une alliance réservée aux élus, et ce depuis Abraham. Il utilise ce système spécifiquement pour réfuter la pratique du pédobaptême comme une porte d’entrée dans l’alliance de grâce. C’est pourquoi il note qu’Abraham a cru, puis a été circoncis, et non l’inverse. Selon Coxe, il y a deux alliances qui interviennent ici, et non pas une administrée sous l’autre. La référence de Coxe à Owen souligne la réalité historique du développement d’une position médiane à cette époque, cherchant à apporter des nuances à l’orthodoxie en vigueur. On peut donc dire que Coxe se considérait lui-même comme apportant de la clarté, dans une perspective baptiste, à la structure établie. Son désaccord avec l’orthodoxie doit être reconnu, mais son désaccord n’est pas nécessairement celui de la confession, comme nous le verrons bientôt.

Le covenantalisme classique, Nehemiah Coxe et le fédéralisme 1689

Le point important qu’il faut souligner est qu’il y a effectivement une différence entre le covenantalisme classique, Nehemiah Coxe et le fédéralisme 1689. Le covenantalisme classique affirme que l’alliance de grâce a été administrée à travers diverses dispensations. Le fédéralisme 1689 affirme que l’alliance de grâce est la nouvelle alliance, et qu’elle n’a pas été administrée à travers diverses dispensations. Ce que nous voyons chez John Owen et Nehemiah Coxe est une position médiane qui essaie de donner un sens au langage clair de l’Écriture concernant l’ancienne et la nouvelle alliance. Ce que l’on peut dire aisément, c’est que le fédéralisme 1689 est une évolution par rapport à Coxe, et encore plus par rapport à la CFBL. Par conséquent, il est plus facile de déduire le covenantalisme classique de la CFBL du fait qu’elle omette ses divergences plutôt que de les formuler positivement. La raison probable est qu’ils souhaitaient « ne pas avoir la démangeaison d’encombrer la religion de mots nouveaux. » (The London Baptist Confession of Faith of 1689, préface, p. 4) En d’autres termes, même si le fédéralisme 1689 était la position exacte de Nehemiah Coxe, ce n’est pas la position présentée dans la confession elle-même.

Il y a maintenant une question importante à nous poser, à savoir si les rédacteurs de la confession souhaitaient, ou non, importer l’intégralité de l’argumentation de Coxe dans la confession. Si nous prenons en considération la Lettre au lecteur, et le fait que la CFBL préfère l’omission à la formulation de nouvelles idées, nous découvrons qu’en réalité, la confession ne sert pas de véhicule à la structure d’alliance de Coxe. Au contraire, elle agit davantage comme un document intermédiaire qui permet de nuancer la conversation qui avait eu lieu à la fin du XVIIe siècle. La chose importante à noter est que la CFBL ne présente pas positivement le fédéralisme 1689 , et Nehemiah Coxe non plus. C’est ce qui qui m’amène à mon dernier point, à savoir que le fédéralisme 1689 présente une structure beaucoup plus proche de Wayne Grudem que les positions médianes de Coxe et Owen. Les fédéralistes 1689 rejettent très ouvertement la théologie de la nouvelle alliance (TNA), et pourtant ils sont davantage d’accord avec les articulations conservatrices de celle-ci, à plusieurs endroits stratégiques.

Dans son ouvrage Théologie systématique, Wayne Grudem présente cette structure d’alliance : 

  • 1.         L’ancienne alliance est une alliance des œuvres.
  • 2.         La nouvelle alliance est l’alliance de grâce. 
  • 3.         Les saints de l’ancienne alliance sont sauvés en vertu de la nouvelle alliance. 

Cette position partage un chevauchement substantiel avec la position fédéraliste 1689, de telle sorte que j’ai du mal à trouver une différence significative entre eux et Grudem. Il y a une nuance subtile chez Coxe, et dans la confession, qui évite une interprétation à partir de la CFBL d’une telle différence. En premier lieu, la confession et Coxe affirment contre les fédéralistes 1689 que l’alliance de grâce a été conclue en Genèse. En second lieu, la confession n’affirme pas que l’ancienne alliance était une alliance des œuvres, bien que Coxe l’affirme. Ce qui veut dire que si les omissions trouvées dans la CFBL permettent un certain niveau de divergence interprétative, elle est plus facilement utilisable pour déduire le covenantalisme classique que le fédéralisme 1689. C’est pourquoi j’ai affirmé que la CFBL présente plutôt une position médiane au lieu d’affirmer des « mots nouveaux » qui se développaient à la fin du XVIIe siècle. L’objectif était de rejeter le pédobaptême et le gouvernement d’Église presbytérien, et non d’établir un nouveau système de théologie de l’alliance. Ceci étant, elle en affirme juste assez pour que le covenantalisme classique puisse être soutenu, tout en fournissant suffisamment d’ambiguïté dans ses omissions pour que les développements intermédiaires puissent être pris en compte. Comme je l’ai démontré, les fédéralistes 1689 poussent leur système plus loin que Coxe, et très certainement, plus loin que John Owen. 

Conclusion

La simple réalité est que la confession baptiste de Londres elle-même ne formule pas positivement le système fédéraliste 1689. Comme je l’ai dit, cela est dû au fait que les rédacteurs ont préféré l’omission à l’addition. En raison de cette réalité, les parties qui restent dans la CFBL de 1689 reflètent davantage Westminster que Coxe, comme nous le voyons dans la CFBL chap. 8, § 6. Afin de déduire le fédéralisme 1689 de la confession, il faut d’abord y lire Coxe comme s’il était le seul contributeur et signataire, et ensuite prolonger le développement de la confession et de Coxe. Lorsque l’on considère l’objectif et l’intention de la confession à partir des documents préliminaires, ce n’est tout simplement pas quelque chose que nous pouvons faire de manière responsable si nous voulons maintenir le fait que la structure actuelle du fédéralisme 1689 est la position expresse énoncée dans la CFBL. De plus, nous constatons que les baptistes particuliers étaient très diversifiés et que les développements de la théologie de l’alliance baptiste n’ont pas abouti uniformément à ce que l’on appelle aujourd’hui le fédéralisme 1689. Cela est particulièrement évident si nous observons Gill ou Dagg, qui emploient volontiers le langage du covenantalisme classique pour décrire l’alliance de grâce. 

Cela m’amène à un dernier point. Si nous essayons de trouver une uniformité parmi « les » baptistes particuliers, nous ne la trouverons absolument pas. Si nous essayons de trouver le fédéralisme 1689 ligne par ligne chez Coxe ou Keach, nous ne le trouverons pas. Si nous essayons de trouver le fédéralisme 1689 dans la CFBL, nous ne le trouverons certainement pas, en raison de la méthode utilisée par les rédacteurs, celle de l’omission plutôt que de l’addition. Le fédéralisme 1689 est une évolution par rapport à Coxe, même si ces évolutions sont considérées comme la suite logique de ses pensées. Si nous reconnaissons que des positions médianes se sont développées à la fin du XVIIe siècle, alors il est compréhensible que nous ne puissions pas trouver une position distinctive des baptistes particuliers. Si nous reconnaissons cette réalité, je pense qu’il est plus approprié d’errer du côté des orthodoxes réformés de l’époque, et d’adopter le covenantalisme classique, qui a un pédigrée beaucoup plus long et plus riche que le système moderne du fédéralisme 1689. Pour citer Joël Beeke : « La théologie réformée, c’est la théologie de l’alliance ». Donc si notre revendication en tant que réformés baptistes est de trouver notre héritage dans la tradition réformée, alors il est bien plus approprié d’adopter le covenantalisme classique plutôt qu’une adaptation moderne de Nehemiah Coxe, qui se trouve bien plus proche de la structure d’alliance de Wayne Grudem que d’Herman Witsius.

Enfin, je suis sûr que mon auditoire sera d’accord avec moi lorsque je dis que nos conclusions finales sur la théologie de l’alliance ne devraient pas s’accorder avec une confession ou une autre, mais plutôt avec ce que dit l’Écriture. Lorsque notre confession est en accord avec l’Écriture, nous sommes d’accord avec la confession. Dans le cas de la théologie de l’alliance, je suis convaincu que le covenantalisme classique est en accord avec les enseignements de l’Écriture, et la CFBL 1689 propose un langage qui s’accommode à une telle position doctrinale. Un facteur crucial qui n’est que très peu considéré par les fédéralistes 1689 est la méthodologie des rédacteurs, qui a consisté à omettre plutôt qu’à ajouter de nouveaux mots. Si le désir des rédacteurs était vraiment de formuler la doctrine de Nehemiah Coxe dans la confession, ils auraient pu le faire aisément. La méthodologie des fédéralistes 1689 ignore complètement la méthodologie des rédacteurs baptistes et interprète la confession à la lumière de Coxe plutôt qu’à la lumière des intentions déclarées des rédacteurs eux-mêmes. C’est pour cette raison que nous pouvons dire a minima que le fédéralisme 1689 n’est pas explicitement enseigné par la confession. De plus, le fédéralisme 1689 est indéniablement nouveau et inédit. Les érudits l’expliquent en disant qu’ils ne font que « redécouvrir » l’héritage baptiste, alors qu’il serait plus approprié de dire qu’ils « réinventent » l’héritage baptiste.

Pour conclure, je répondrai aux questions que j’ai posées au début de ce papier.

La confession enseigne-t-elle le fédéralisme 1689 ? 

Non, elle n’énonce pas expressément la doctrine fédéraliste 1689 en raison de l’intention des rédacteurs d’omettre plutôt que d’ajouter de nouveaux mots. Elle n’enseigne pas que l’alliance de grâce est la nouvelle alliance. Elle n’enseigne pas que l’ancienne alliance est une alliance des œuvres. Elle n’enseigne même pas explicitement contre la notion que l’alliance de grâce a été administrée dans des dispensations diverses et variées.

Les rédacteurs de la CFBL de 1689 ont-ils présenté le fédéralisme 1689 dans la confession ? 

Non, ils ne l’ont pas fait. Comme ils le déclarent dans la lettre originale au lecteur, ils ne souhaitaient pas « encombrer la religion de mots nouveaux ». En conséquence, la CFBL tend à être interprétée comme une position médiane, bien qu’elle n’enseigne clairement pas le fédéralisme 1689. 

Nous n’avons pas besoin de mener une étude approfondie de tous les écrits existants des baptistes particuliers pour interpréter la CFBL. Les rédacteurs ont exposé leur méthodologie dans la lettre originale au lecteur, et cette méthodologie nous empêche « d’encombrer la religion de mots nouveaux ». Il est même logique que cette clause ait été ajoutée dans le but précis de dire que les rédacteurs ne souhaitaient pas incorporer les développements de la théologie de l’alliance dans la confession. La réalité est que la CFBL n’énonce pas expressément le fédéralisme 1689, comme le prétendent ceux qui adhèrent à ce système. En réalité, il y a plusieurs endroits dans la confession, comme nous l’avons vu, qui contredisent directement la réinvention moderne de la théologie de l’alliance. 


Illustration en couverture : Abraham se rendant dans le pays de Canaan, Gustave Doré, 1866.

  1. Dorénavant abrégée CFBL.[]
  2. NDT. Les sources des citations ont été ajoutées par les traducteurs[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

3 Commentaires

  1. Laurent Dang-Vu

    Où est l’article original ? Merci.

    Réponse
    • Maxime Georgel

      Si je l’ai bien compris, il a écrit cet article directement pour notre blog.

      Réponse
      • Laurent Dang-Vu

        Ah ok merci.

        Réponse

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