La chrétienté fait toujours partie des confessions de foi réformées
6 avril 2024

L’article de ce jour aborde une question interne aux réformés confessants, attachés à la confession de foi de la Rochelle. Parmi ces articles, on retrouve les articles 39 et 40, qui définissent l’attachement à une chrétienté et le devoir de soumission aux magistrats.

Nous croyons que Dieu veut que le monde soit dirigé par des lois et des gouvernements, afin qu’il y ait quelques freins pour réprimer les appétits désordonnés du monde. Nous croyons donc que Dieu a institué les Royaumes, les Républiques et toutes autres sortes de Principautés, héréditaires ou non, et tout ce qui appartient à l’état de la justice, et qu’il veut en être reconnu l’auteur. Dans ce but, Dieu a mis le glaive dans la main des magistrats pour réprimer les péchés commis non seulement contre la seconde Table des commandements de Dieu, mais aussi contre la première. Il faut donc, à cause de Dieu, non seulement qu’on supporte que les autorités exercent la souveraineté de leur charge, mais aussi qu’on les honore et les estime d’un profond respect, les considérant comme ses lieutenants et officiers, qu’il a établis pour exercer une charge légitime et sainte.

Confession de la Rochelle, article 39.

Nous affirmons donc qu’il faut obéir à leurs lois et règlements, payer taxes, impôts et autres charges, et consentir à cette obéissance d’une bonne et franche volonté – quand même ils seraient infidèles – pourvu que la souveraineté absolue de Dieu demeure entière. Ainsi, nous réprouvons ceux qui voudraient rejeter toute hiérarchie, établir la communauté et le mélange des biens et renverser l’ordre de la justice.

Confession de la Rochelle, article 40.

Or, dans la dernière adaptation en français modernisé du texte de la confession, le pasteur Pierre-Charles Marcel1 ajoute la note suivante :

L’article 39 et la première partie de l’article 40 supposent l’existence d’États où l’autorité est exercée dans le respect de la souveraineté absolue de Dieu, les Autorités se considérant elles-mêmes comme les lieutenants de Dieu, établis pour exercer une charge légitime et sainte . Ce n’est guère le cas à présent. Les Églises réformées ne considèrent pas, aujourd’hui, que le second paragraphe de l’article 39 et le premier de l’article 40 expriment leur foi. Ces deux paragraphes devraient être profondément remaniés, pour ne pas légimiter et favoriser l’intervention d’un pouvoir dictatorial non chrétien de l’autorité civile dans les affaires ecclésiastiques, et légitimer, au yeux d’un pouvoir athée, toutes sortes de persécutions contre les chrétiens. Dans l’impossibilité de faire accepter, selon la discipline synodale, une nouvelle rédaction aux Églises réformées à travers le monde, le mieux est de considérer que ces deux paragraphes ne lient pas notre conscience.

Cette position est répandue chez les réformés confessants français à ce jour, et j’en connais personnellement. Dans cet article, je vais défendre pourquoi, malgré tout le respect que je dois au pasteur Marcel, je considère que l’article 39 et 40 devraient toujours lier la conscience des réformés confessants.

Argument 1 : L’article 39 n’est pas fait pour des régimes sans chrétienté

La France catholique n’était pas plus favorable que la République laïcarde

Le premier et principal argument est que l’article 39 ne peut pas s’appliquer dans un régime de laïcité, puisqu’il est conçu pour des chrétientés.

Je réponds à ceci que l’article 39 a été écrit et ratifié dans le contexte d’une chrétienté catholique, où il n’y avait pas le respect de la souveraineté absolue de Dieu, et les magistrats étaient censés être les lieutenants de l’Église. C’est par la foi, et à cause du témoignage des Écritures, que nos pères ont ratifié l’article 39 de la confession de La Rochelle. Pourquoi ne ferions-nous pas de même ? Si nous ne pouvons pas confesser l’article 39 parce que le régime actuel n’est pas favorable, pourquoi ne s’en sont-ils pas privés dans le contexte catholique de la France ?

Une objection peut surgir : certes la France n’était pas protestante, mais c’était tout de même un régime de chrétienté au XVIe siècle. Mais le magistrat appliquait-il vraiment toutes les lois de la première table, comme l’interdiction des images ? Nos pères réformateurs avaient-ils vraiment notre irénisme vis-à-vis des catholiques, eux qui parlaient de l’Antichrist et de la grande prostituée en parlant de Rome ? Ils étaient plus ulcérés et vitupérants contre Rome que nous ne sommes aujourd’hui opposés à l’athéisme. Et pourtant ils ont signé l’article 39. C’est donc qu’il ne dépend pas de l’existence d’une chrétienté protestante, même si c’est une chrétienté protestante qui est l’objectif.

L’autorité des articles ne vient pas de notre contexte.

Autre réponse : il n’y a rien, ni dans la Bible ni dans la Confession de foi de la Rochelle qui présuppose que l’environnement est « favorable » à tel article, et que tel article de foi tient parce qu’il est dans un contexte favorable. Si l’on devait appliquer la logique de Charles Marcel à l’article 12 (notre élection en Jésus Christ) : l’article 12 lie-t-il notre conscience, dans un monde où les chrétiens sont minoritaires, et les chrétiens prédéstinationnistes minoritaires au sein de la minorité ? Si non, alors pourquoi les articles 39 et 40 seraient-ils les seuls à ne plus s’appliquer ? Le principe des confessions de foi réformées, c’est qu’elles font autorité à cause des Écritures, et non de notre contexte.

Là encore, on pourra émettre une objection : certes, mais l’article 12 est essentiel, tandis que l’article 39 est secondaire. Comment, cependant, ferais-je la distinction contre la confession de foi ? Le principe même d’une confession de foi, c’est que nous nous alignions sur cette série d’articles doctrinaux, et que nous bâtissions notre unité dessus. Je peux tout à fait admettre qu’un synode ultérieur édite cette confession de foi pour la retirer et je pourrais accepter ce mouvement (sans l’approuver)2. Mais prétendre adhérer à cette confession de foi, pour ensuite suspendre de notre propre initiative l’article qui ne nous convient pas, c’est renverser le principe même d’une confession de foi.

Argument 2 : Il légitimerait des interventions tyranniques de l’État dans l’Église.

C’est ce que Charles Marcel semble indiquer par la phrase Ces deux paragraphes devraient être profondément remaniés, pour ne pas légimiter et favoriser l’intervention d’un pouvoir dictatorial non chrétien de l’autorité civile dans les affaires ecclésiastiques, et légitimer, au yeux d’un pouvoir athée, toutes sortes de persécutions contre les chrétiens.

Première réponse : l’article 39 ne favorise, ni ne légitimise un pouvoir dictatorial non chrétien. Il appelle les magistrats des officiers de Dieu. Non pas « à être » des officiers de Dieu, mais ils sont déjà des officiers de Dieu. Autrement dit : si l’État moderne agit sans reconnaître l’autorité de Dieu, et en s’opposant activement à l’application des deux Tables, il se déclare rebelle et ennemi de Dieu. Charles Marcel a pris peur devant la soumission aux autorités en pensant qu’elle était inconditionnelle. Or, comme le montre l’exemple de l’apôtre Pierre, nous obéissons aux hommes parce qu’ils obéissent à Dieu. Si le magistrat autorise la persécution contre les chrétiens, l’article 39 nous autorise à chanter contre lui toute la panoplie des psaumes imprécatoires.

Deuxième réponse : suspendre l’article 39 nous prive au contraire d’une base solide pour s’opposer aux gouvernements impies, en ne nous laissant rien d’autre qu’une laïcité qui neutralise l’Église, en la vidant de toute vision propre. Charles Marcel avait peur que la soumission aux autorités s’appliquât sans nuance, alors il a supprimé la soumission des autorités à Dieu. Ce faisant, il obtient strictement l’inverse de ce qu’il recherche.

Charles Marcel a raison de craindre ce qu’il craint, mais la réponse ne consiste pas à suspendre l’article 39, mais à le réaffirmer énergiquement. Notre propre tradition nous fournit toute la vision et toutes les nuances dont nous avons besoin. Prenons-en connaissance, et nous aurons nous aussi la résilience de nos pères.

  1. Fondateur de la Revue Réformée, et disciple d’Auguste Lecerf, le pionnier du néo-calvinisme français. S’il existe aujourd’hui des réformés confessants en France, c’est grâce à lui.[]
  2. Cela a par exemple été le cas dans les Églises réformées néerlandaises, qui ont amendées leur confession de foi sous l’impulsion d’Abraham Kuyper ; ou en Amérique, où les réformés ont réécrit le chapitre correspondant de la confession de foi de Westminster.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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