Apprendre à raisonner (7) : Les propriétés des concepts
14 octobre 2021

Cet article est le septième d’une série consacrée à la logique classique (ou aristotélicienne, c’est-à-dire développée par Aristote). Vous trouverez ici tous les articles de cette série. Le sixième expliquait d’où viennent les concepts et à quoi ils servent. Cet article parle de leurs propriétés. Comme d’habitude, je reprendrai énormément le contenu du livre de Peter Kreeft, Socratic Logic des pages 37 à 40.


I. Les concepts sont immatériels         

Les concepts ne sont pas détectables et accessibles par nos sens. Tout simplement parce qu’ils n’ont aucune propriété matérielle. Par exemple, une pomme a une taille, un poids, une masse, une couleur, une énergie cinétique, une quantité de matière, une forme, une étendue (la place qu’elle prend dans l’espace), etc. Mais le concept d’une pomme n’a aucune de ces caractéristiques. C’est pour cette raison qu’on dit que les concepts sont immatériels, non-matériels ou spirituels (tous des synonymes).

On peut donc dire que les concepts ne sont pas limités par l’espace (ils le transcendent, le dépassent). Deux (ou plusieurs) choses matérielles ne peuvent se trouver au même endroit en même temps mais cela est possible pour deux (ou plusieurs) concepts. Si je vous demande de me dire quelle est la meilleure ville entre Paris et Londres, vous arrivez à penser en même temps à Paris et à Londres au même endroit (là où vous vous trouvez en ce moment même). Dit autrement, nous arrivons à penser à plusieurs choses en même temps.

II. Les concepts sont abstraits

Schéma de l’abstraction

Un concept est un aspect d’une chose concrète1 qu’on a extrait et séparé de tous les autres aspects de cette chose. Par exemple, je peux penser à une fleur (un coquelicot par exemple) de différentes façons. En pensant à plusieurs de ses caractéristiques en même temps : elle est petite, de couleur rouge avec une tige verte. Mais je peux aussi juste penser à sa couleur et ignorer le reste. Ou alors penser à sa taille à la place de la couleur et l’ignorer avec tout le reste.

Dans ces deux cas, on dit que j’ai « fait abstraction » de tout, sauf de la couleur du coquelicot (premier cas) ou de tout sauf sa taille (deuxième cas). En gros, l’abstraction, c’est extraire une qualité de quelque chose, se concentrer uniquement là-dessus et enlever toutes les autres.

Vous remarquerez que dans la vie, il y a des coccinelles, de la viande, des tobogans rouges, des cahiers rouges, des ballons rouges mais pas de rouge « tout seul ». Ces deux propriétés générales (couleur et taille) n’existent que dans des choses individuelles et particulières (qu’on appelle « substances ») comme ici le coquelicot. Mais jamais en dehors d’elles. Il y a des “choses rouges” mais jamais de “rouge” tout seul. Le “rouge” est tout le temps mélangé à quelque chose d’autre qui est rouge. De même, il y a plein de “chiens” (Fido, Rover et Spot) mais il n’y a pas d’idée générale de “chien” tout seul. Dans le monde, il n’y a pas de chien abstrait mais que des chiens concrets.

On en conclut que les concepts n’existent pas dans le monde en tant que choses indépendantes. Ils existent de manière indépendante seulement dans notre esprit en tant qu’abstractions. En gros, des choses universelles ou générales qu’on a extrait de choses particulières (comme on a extrait la couleur rouge d’un coquelicot).

Plus exactement, ce sont les essences universelles (les points communs comme le “rouge” de plusieurs choses) et non pas les concepts qui n’existent pas en dehors de nos pensée à un état séparé. Mais elles existent de cette façon sous une forme mentale (sous forme de concepts) dans des pensées (celles d’un homme, d’un ange ou de Dieu).

III. Les concepts sont universels

Schéma de la différence entre universel et particulier

Universel signifie « qui peut s’appliquer et est commun à plusieurs choses ». Par exemple, comme nous l’avons vu juste avant, la couleur rouge (un concept) s’applique à plusieurs choses : les tomates, les tobogans rouges, les coccinelles, les vêtements rouges, etc. C’est le point commun de toutes ces choses. Donc la couleur rouge est universelle. Comme deuxième exemple, on peut prendre le concept « arbre » qui s’applique à tous les arbres peu importe leurs différences : les cerisiers, les chênes, les sapins, etc.

L’exemple par excellence, c’est le concept « d’être2 car il s’applique à tout ce qui existe et il est par conséquent le concept le plus général. Tout ce qui existe est un « être ». La discipline qui étudie toutes les choses qui existent sous cet aspect le plus général (« l’être », le fait d’exister) et non pas sous un aspect spécifique (la vie comme la biologie, le déplacement comme la physique, la matière comme la chimie ou la quantité comme les mathématiques) s’appelle la métaphysique.

Les concepts sont universels parce que par définition, ils sont les moyens que nous avons de connaître les essences, qui sont elles-mêmes universelles. Par nos sens, nous n’avons directement accès qu’à des choses individuelles et matérielles mais pas aux choses générales immatérielles (les essences). Cela ne veut pas dire que les sens ne jouent aucun rôle dans l’abstraction mais qu’à eux seuls ils ne suffisent pas pour atteindre ce qui est universel/général. Les sens ne font que donner les données (particulières) à l’intelligence qui en fera ressortir quelque chose d’universel (une essence) sous la forme d’un concept (voir plus haut le schéma sur l’abstraction).

IV. Les concepts ont des relations entre eux qui sont nécessaires

Schéma des relations nécessaires entre des concepts

Les concepts ressemblent plus à des personnes qui aiment passer du temps ensemble et créer des liens qu’à des personnes qui restent toutes seules dans leur coin. Plus précisément, quand on pense à un concept, on pense forcément à d’autres concepts (on les déduit du premier). Un concept peut être la cause ou la conséquence d’un autre concept. C’est inévitable. En langage plus technique, on dit que les concepts ont des relations nécessaires. Par exemple, le concept de « triangle » implique nécessairement le concept de « côté » et plus précisément celui de « trois côtés » car : « Chaque triangle a nécessairement trois côtés ».

V. Les concepts sont immuables

Schéma de la différence entre immuable et muable

Les concepts sont immuables tout comme les essences (ou les natures) qu’ils permettent de connaître. C’est-à-dire qu’ils n’ont jamais changé, qu’ils ne changent pas et qu’ils ne changeront jamais. La nature d’une chose universelle (ex : la couleur rose) connue à travers un concept restera toujours la même contrairement à une chose connue par l’expérience des sens (ex : les roses comme elles peuvent faner, mourir après avoir été bombardées par les excréments d’un chat). Par exemple, la nature humaine ne change pas mais les hommes changent (ils grandissent, grossissent, maigrissent, etc.).

  1. Qui existe dans notre réalité, dans notre monde[]
  2. Le même « être » qu’on trouve dans « être humain » et « être vivant ». Un être humain, c’est quelque chose qui existe en tant qu’homme (avec l’essence d’un homme). Un être vivant, c’est quelque chose qui existe en tant que chose dotée de vie. Il faut par contre bien faire attention à ne pas enfermer “l’être” dans une définition précise comme si c’était quelque chose qu’on pouvait parfaitement faire rentrer dans une boîte (erreur qu’on fait beaucoup de philosophes, notamment les rationalistes comme Christian Wolff). Car l’existence n’est pas une propriété abstraite mais un acte, une action (comme courir, ronfler, bailler), en fait l’action ultime car toutes les autres actions dépendent d’elle. Pour approfondir ce sujet fondamental qu’est l’être (« l’acte d’être » plus techniquement) ou l’existence, il faut lire Etienne Gilson qui montre comment Thomas d’Aquin a très bien compris tout cela (Introduction à la philosophie chrétienne ou L’être et l’essence). Ou alors le début de The One and the Many (ma recension ici) de W. Norris Clarke qui explique cela de manière très accessible.[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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