Brève histoire des Églises réformées des Pays-Bas
22 décembre 2021

J’ai eu à cœur de résumer une lecture récente : Christ’s Churches Purely Reformed de Philipp Benedict, que je recommande fortement.. C’est une somme académique qui raconte l’histoire « sur le terrain » de la Réforme. Je vais dans une série de prochains articles synthétiser le contenu de ce livre en « brèves histoires » de la taille d’un article de blog, afin de vous partager les richesses de ce livre, et de l’histoire de nos pères. L’histoire des Églises réformées néerlandaises, sujet de ce chapitre de mon résumé, est au moins aussi épique que l’histoire de l’Église française.


L’Église des Pays-Bas, un peu comme celle de France, adopte une structure presbytéro-synodale au cœur des guerres de religion. Comme en Écosse, elle devint la religion officielle. Mais contrairement à l’Écosse, ce fut une révolution longue et violente, qui aboutit à un triomphe seulement partiel. Les Pays-Bas furent parmi les premiers pays touchés par la Réforme, et parmi les derniers à voir le protestantisme s’y établir.

Les débuts dans la douleur

Par sa proximité avec l’Allemagne, la Hollande fut touchée dès le départ par la cause luthérienne : trente traductions de Luther en néerlandais là où il n’y avait encore que douze traductions françaises. Mais les Pays-Bas sont la propriété directe de Charles Quint, que rien n’empêche de réprimer plus férocément et plus efficacement la foi qu’en France : treize mille morts sur deux millions d’habitants. C’est un chiffre semblable au nombre de martyrs français, mais avec neuf fois moins d’habitants. Cette première répression ne s’essoufla qu’à partir de 1560.

Charles Quint, maître des Pays-Bas, et l’empereur devant lequel comparut Luther.

Pendant cette période sous la croix, la croissance de l’Église hollandaise se fait plutôt dans les églises de réfugiés à l’étranger. Les influences d’Emden et de Londres au Nord, et de Genève au sud, se font sentir. Cependant, la répression ne fait pas tout pour les catholiques, elle a même tendance à accélérer le désenchantement à l’égard du papisme : les offrandes lors de pélerinages tombent à 60 % de ce qu’elles étaient habituellement. À Dokkum en Frise, seule la moitié de la population communie à Pâques en 1560.

Les efforts pour implanter des Églises réformées aux Pays-Bas ne reprennent qu’en 1555 à Anvers. La répression contre les protestants français fait grossir les Églises wallones. Début 1566, on compte environ 16 Églises et vingt-cinq prédicateurs itinérants. Parallèlement, une certaine élite hollandaise s’oppose politiquement aux Habsbourg tout en restant catholique : leur souci est que la politique de persécution est tellement sévère qu’elle nuit aux intérêts de la Hollande (sans compter leurs épouses luthériennes). En avril 1566, ils obtiennent gain de cause auprès de Marguerite de Parme. Les réformés mettent à profit cet espace de tolérance.

Le 28 mai, un jeune augustin, Carolus Daneel, s’est enfui du couvent d’Ypres et a commencé à prêcher dans la région. Comme les jours de printemps s’allongeaient, beaucoup d’autres ont imité son exemple. La « prédication secrète » en plein air attirait des foules de plusieurs milliers de personnes. Le magistrat gantois Marcus van Varnewijck observa avec étonnement le bon ordre qui régnait lors de ces rassemblements. Les hommes, les femmes et les jeunes filles étaient assis dans des sections séparées avec leurs propres professeurs. De temps en temps, on chantait des psaumes tirés des psautiers qui étaient en vente pour un stuiver chacun. Les prédicateurs qui prenaient la parole « donnaient l’impression que pour la première fois la vérité avait été révélée et l’Évangile prêché correctement, car les prédicateurs citaient surtout les Écritures avec beaucoup de courage et d’énergie. Ils laissaient les gens vérifier chaque passage dans leur testament pour voir s’ils prêchaient fidèlement ou non. »

Benedict Philipp, Christ’churches purely reformed, pp. 181-182.

Comme souvent à cette époque, les prêches suivent des épisodes d’iconoclasme, mais nulle part il n’ont plus d’ampleur qu’en Hollande, d’autant que les milices et forces de protection ne protègent pas les églises, tant le désenchantement est grand vis-à-vis de l’Église catholique. Dans la foulée de ces crises iconoclastes, les Églises réformées s’implantent dans les murs, à l’intérieur des églises purifiées, et en reçoivent l’autorisation après coup. Cela profite à toutes sortes de confessions, dont les réformés. Mais les réformés restent en première ligne du sentiment anti-catholique : des prédicateurs réformés arrivent de toutes les Églises de réfugiés et l’organisent à la mode presbytérienne. Dès le début 1566, les catholiques distinguent les réformés de tous les autres.

La percée des réformés varie selon les lieux : elle va de 85 % de la population à Valenciennes à moins de 10 % à Amsterdam. Voici leur profil sociologique :

  • Comme en France, on trouve de tous âges, sexes et rangs, mais tout de même une surreprésentation d’artisans et de lettrés.
  • Les Flandres occidentales (autour de Courtrai) font exception : ce sont surtout parmi les humbles et ouvriers du textile que la Réforme recrute.
  • Comme en France, la Réforme est plus urbaine que rurale, sauf là où il y a des industries rurales (comme à Courtrai, comparable aux Cévennes).
  • L’engagement des nobles dans la Réforme hollandaise est plus flou. Il semblerait que moins de 20 % des familles nobles aient adhéré à la Réforme, mais il y avait probablement plus de sympathisants non engagés, en particulier dans cette opposition à Marguerite de Parme dont on a parlé. Dans l’ensemble, moins de nobles qu’en France et en Ecosse, donc.

Après cette percée réformée, Marguerite de Parme se ressaisit et prépare une deuxième vague de répressions. Les Églises protestantes proposent d’acheter leur liberté de religion pour 3 millions de guilders. Philippe II rejette l’offre.

Marguerite de Parme, fille de Charles Quint, persécutrice de l’Église.

Dans les années 1560, la question du droit de résistance se pose de façon encore plus aiguë qu’en France. Elle s’organise lors d’un concile à Anvers, en novembre 1566 : la résistance est déclarée et 3 millions sont levés, non pour acheter la liberté, mais pour recruter des mercenaires. De leur côté, les luthériens refusent explicitement de résister par la force. À la fin novembre, Marguerite de Parme fait assiéger Valenciennes. Les renforts n’arrivent pas à destination, la ville tombe au bout de trois mois, ce qui est l’occasion de la mort de Guy de Brès. Les princes allemands refusent d’intervenir pour aider les protestants hollandais, de peur de détruire l’équilibre confessionnel en Allemagne.

Après cette première guerre de religion, la situation pour les Églises réformées hollandaises est pire qu’en France : tout culte réformé est aboli dans toutes les dix-sept provinces des Pays-Bas. Il y a un énorme mouvement d’exil des réformés hors du pays. Les cultes réformés sont pour ainsi dire anéantis. Cela n’empêche pas Philippe II de nommer le Duc d’Albe (le duc de fer) pour procéder à une répression totale par un tribunal spécial, le Conseil des Troubles qui fait douze mille procès aboutissant à un millier d’exécutions. Ce faible taux ne reflète pas la clémence du tribunal, mais le fait que la plupart des accusés fuyaient dès la convocation. Des plans de taxation piétinent en outre les libertés hollandaises. Sous sa régence ont lieu deux synodes, considérés comme les premiers de l’Église réformée des Pays-Bas : à Wesel en 1568 et à Emden en 1571. Ce sont ces synodes qui alignent l’Église des Pays-Bas avec le modèle de gouvernance genevoise d’une part, et font adopter le catéchisme de Heidelberg d’autre part.

La révolte des gueux et le passage de la Hollande à la Réforme

Le 1er avril 1572, c’est la révolte des gueux : les gueux de mer, des exilés hollandais pratiquant la piraterie par revanche contre les Espagnols, accostent à Brielle pour se réapprovisionner. En l’absence de garnison, ils restent sur place et tâchent de libérer d’autres villes. Dans toutes les villes, ils trouvent des partisans agacés de la « tyrannie espagnole » prêts à leur ouvrir les portes et faire tomber les villes. À la fin de l’été, toutes les villes de Hollande et Zélande, à l’exception d’Amsterdam, de Middelburg et de Goes sont entre leurs mains. Guillaume d’Orange prend le pouvoir sur les pays libérés en tant que stathouder de Hollande. Dans les villes libérées, il y a parfois immédiatement des émeutes iconoclastes, suivies de la nomination d’un gouvernement constitués d’exilés très réformés. Cependant, même dans la ville la plus réformée de toutes, 20 % de la population seulement prend la Cène lors du premier culte et ailleurs, c’est moins de 10 %.

Emblème de la révolte des gueux

Il est à noter que ces émeutes iconoclastes vont contre la politique officielle de Guillaume d’Orange qui demande une réelle liberté de culte. Mais ses ordres ne sont pas appliqués par des gueux de mer assoiffés de revanche. La repression impitoyable du duc d’Albe va achever de la rendre inapplicable. En effet, le duc de fer massacre même ceux qui se rendent, comme à Naarden. L’heure n’est pas à la tolérance, mais à faire bloc. En 1573, le culte catholique est interdit, ses propriétés sont saisies et le prince d’Orange prend la communion réformée officiellement.

Guillaume d’Orange–Nassau, premier souverain de Hollande

Les premières relations entre Église réformée et état d’Orange sont tendues : le clergé entend bien appliquer son modèle présbytéro-synodal issu des conciles de Wesel et Emden, avec l’indépendance de gouvernement qui les caractérise. En face, les magistrats hollandais n’entendent pas payer les pasteurs sans pouvoir les choisir. Les points de conflits sont les suivants :

  1. L’autorité des synodes et des classes1 sur les Églises locales.
  2. La participation des magistrats au choix des pasteurs et anciens. L’Église voulait choisir seule comme à Genève, les magistrats aussi, comme à Zurich. Il en sort un compromis ville par ville, généralement très compliqué. Par exemple, à Dordrecht, un comité de pasteurs présente au conseil municipal trois candidats pour un poste. Un deuxième comité composé à moitié de clercs et à moitié de politiques choisissait parmi les trois. Ce choix était ensuite validé par tout le conseil municipal et la classe.

Pour ce qui concerne la discipline, la situation particulière de la Hollande, traumatisée par une règle catholique trop dure, bouleverse le modèle établi :

  • L’État ne donne pas suite aux sanctions d’Église, et n’impose aucune obligation religieuse.
  • En tant qu’Église d’État, l’Église réformée hollandaise n’a pas le droit de refuser un quelconque citoyen, fût-il un fils de « débauchés, excommuniés, papistes ou personnes semblables ».
  • Il existe un mariage civil à côté du mariage religieux.
  • En conséquence, il y a une population assez énorme de sympathisants (liefhebbers) et d’auditeurs (toehouders) qui assistaient de loin aux cultes, pas du tout à l’instruction religieuse, mais prenaient quand même la Cène. À Leyde, c’est le cas de 22 magistrats sur 27 en 1579.
  • Le terrain est mûr pour que se développe un « christianisme personnel » en dehors de l’Église.
  • Les minorités religieuses pullulent : anabaptistes, luthériens et même catholiques autour de 1583.

L’échec de la Réforme dans la (future) Belgique

La révolte des gueux dure de 1572 à 1576, quatre années très dures où les Hollandais supportent par miracle la pression du duc d’Albe. Heureusement, les finances de Philippe II ne suivent pas les deux guerres qu’il mène en même temps (contre les Ottomans et les Hollandais) et la mort du duc de fer l’amène à signer la pacification de Gand en 1576. Tous les traités de répressions des hérésies sont annulés. Il est interdit d’attaquer le catholicisme en dehors de la Hollande et de la Zélande, et la Réforme est la seule religion officielle de ces deux provinces.

Mais l’occasion est trop belle pour les réformés de resurgir et de réassumer publiquement leur foi dans les Flandres et les Pays-Bas du sud, la future Belgique. En juillet 1577, don Juan d’Autriche (gouverneur espagnol) se retire à Namur, et Guillaume d’Orange avance en nommant des gouvernements municipaux favorables, comme à Gand en Octobre. Cette nouvelle percée réformée est censée se passer sous le signe de la tolérance comme la première, mais Guillaume d’Orange ne maîtrise pas davantage les passions : on y assiste à des persécutions contre les catholiques. Dans les Flandres, il y a cinquante prédicateurs et quinze nouvelles classes. Amsterdam, dernière citadelle catholique en Hollande, tombe dans un putsch réformé en mai 1578. Cette réaffirmation réformée dure cette fois non pas un an, mais sept ans.

C’est le temps qu’il faut aux malcontents, un parti de nobles wallons catholiques, plus effrayés par les protestants que par les Espagnols, de s’organiser autour d’Emmanuel de Lalaing, baron de Montigny. Ils offrent un soutien efficace pour que le nouveau gouverneur espagnol, Alexandre Farnèse, fasse une campagne de revanche à partir de 1581. En 1585, Anvers tombe et c’en est fini des républiques calvinistes dans les Pays-Bas du sud. On donne aux protestants quatre ans pour redevenir catholiques. Certains s’y résolvent, d’autres fuient dans le Nord. La conquête du territoire de la future Belgique par les forces catholiques est définitive : plus jamais il n’y aura de forteresse protestante. Au contraire, la Contre-Réforme en fera un bastion catholique. Pendant ce temps, la guerre radicalise encore plus les protestants du nord des Pays-Bas, tout en donnant des espaces de liberté aux marges. Ainsi, à Utrecht, sans se conformer au reste de la Hollande, l’Église pratique une communion totalement ouverte qui ne finira qu’au début du XVIIe siècle. La mise en place de presbytères et des classes est très lente, et dure presque trente ans.

Alexandre Farnèse, fils de Marguerite de Parme, destructeur de l’Église Réformée de Belgique

Situation à la fin du XVIe siècle

Le nombre de membres augmente, mais l’Église officielle reste minoritaire : entre 12 et 28 % de la population adulte. Elle suit le profil sociologique de la population, mis à part une surreprésentation de femmes. C’est une Église assez unique :

  • D’un côté, c’est une Église officielle et nationale, avec le conseil politique, le rôle officiel et ses prédicateurs rémunérés par l’État et respectés.
  • De l’autre,elle n’est ni dominante, ni hégémonique sur la scène religieuse. Elle n’administre pas seule le soin aux pauvres, ni même les écoles. La morale publique est notoirement plus laxiste qu’à Genève ou qu’à Zurich. Et surtout, l’État ne prête pas sa force aux sanctions ecclésiastiques.

La réforme révolutionnaire des Pays-Bas fut donc révolutionnaire par la reconfiguration qu’elle opéra des relations entre Église et État, et par le degré de liberté obtenu par les habitants de cette région de vivre leurs vies en dehors des institutions et rituels de l’Église organisée, même si elle donna naissance à une Église réformée qui était tout à la fois privilégiée et pure, établie et petite compagnie d’élus.

Op. cit., p. 201.

La controverse arminienne aux Pays-Bas

Le grand drame du XVIIe siècle fut la querelle des remontrants, les disciples d’Arminius. Pour des raisons que nous rapporterons dans un autre article, la prédestination fut le grand débat doctrinal du XVIIe siècle, mais en Hollande ce fut plus qu’un débat universitaire : ce fut une affaire nationale, conduisant le pays au bord de la guerre civile.

Petit point de vocabulaire avant de continuer : arminien signifie la même chose que remontrant mais ne s’applique en réalité qu’à la branche anglaise des remontrants, qui est arrivée à la même doctrine indépendamment. Donc la même doctrine, dans le pays d’Arminius est soutenue par des remontrants, mais chez des personnes qui n’ont rien à avoir avec Arminius est soutenue par des arminiens.

Deux pasteurs de Delft ont écrit un traité pour réfuter le supralapsarianisme de Bèze. On charge Jacob Arminius de le réfuter, sauf que loin de le faire, il finit par en être convaincu. Dès 1591, il est l’objet des plaintes dont il s’extirpe facilement. Il écrit sa critique du livre de Perkins dans lequel il expose le plus ses pensées sur le sujet : Examen du pamphlet de Perkins sur l’ordre et le mode de la prédestination (1600, publié en 1612, après sa mort et la publication des remontrances).

Jacob Arminius.

Arminius est nommé professeur à Leyde en 1603. C’en est trop pour Plancius (un collègue plus ancien), qui avertit Franciscus Gomarus qu’Arminius a des idées dangereuses. Cela donne lieu à des disputes universitaires, qui étendent le débat au corps des étudiants. La classe de Dordrecht demande à ce que quelque chose soit fait au sujet de cette controverse ; l’idée d’un synode national pour gérer ce problème fait son chemin.

Franciscus Gomarus, son principal opposant.

Problème : Qui a autorité pour examiner et déchoir un professeur hérétique ? Dans le contexte néerlandais, la question n’a jamais été tranchée. Lorsque le consistoire d’Amsterdam le convoque, Arminius répond qu’il ne se déplacera pas sans qu’il y ait les bourgmestres ou leurs représentants. Il peut d’autant plus compter sur un soutien politique que sa femme vient d’une des familles présente au gouvernement. Lui et ses partisans défendent l’idée que l’État devrait avoir autorité sur les promotions et carrières dans l’Église, sans le contrôle des consistoires et synodes. L’ouvrage le plus élaboré allant dans ce sens est de Johannes Uytenbogaert, Sur l’office et l’autorité des hautes autorités chrétiennes dans les affaires de l’Église (1610). Contre cela, les opposants à Arminius insistent sur l’autonomie de l’Église en matière de doctrine et discipline. Cela n’est pas sans parallèle avec le débat entre Zurich et Genève.

La situation est bloquée dans la division : les régents de Hollande sont dirigés par Johan van Oldenbarnevelt, arminien convaincu, et ils disent être d’accord avec un synode national. Sauf que c’est à une condition : qu’ils puissent choisir le programme, les membres, et qu’ils aient le droit de changer la confession de foi de l’Église. Contre cela, les synodes, gagnés à l’orthodoxie défendent leur droit d’exercer la discipline et la censure de l’hétérodoxie.

Johan van Oldenbarneveldt, protecteur des remontrants

Des Églises en viennent à se diviser à cause du blocage de décision : À Alkmaar en 1608, cinq pasteurs remontrants sont suspendus par le colloque local, mais la décision est contrée par le gouvernement. Lors d’un renouvellement du conseil municipal, plusieurs partisans de la suspension, donc pro-orthodoxes, furent élus. Le gouvernement sortant décida de fermer les portes de la ville, croyant qu’une armée pro-calviniste arrivait, d’annuler les élections précédentes et de renouveler entièrement le consistoire d’Alkmaar. Un des pasteurs orthodoxes refuse et doit prêcher à l’extérieur de la ville, emmenant avec lui une bonne partie de l’assistance. À cause d’une aberration politique, on se retrouve avec une Église remontrante et une Église calviniste dans la même ville, toutes les deux étant la seule Église officielle. Et ce n’est pas le seul exemple.

Apogée et chute des remontrants

Arminius meurt en 1609, mais le mouvement est lancé. En 1610 44 pasteurs adressent une remontrance aux États de Hollande, écrite par Uytenbogaert, d’où le nom de « remonstrants ». C’est cette remontrance qui contient les trois premiers points de l’arminianisme. Gomarus y répond dès 1611, et tout le débat sur les doctrines de grâce au synode de Dordt est lancé officiellement.

Cette remontrance révèle la faiblesse du parti remontrant dans le clergé : seul un tiers des pasteurs du sud du pays et un quart de ceux du nord le soutiennent. En dehors de la Hollande, c’est encore plus faible. En réalité, les remontrants sont soutenus et protégés uniquement par le gouvernement d’Oldenbarneveldt et leurs manœuvres empêchent l’exclusion des arminiens. Les choses tournent mal : les réformés sont outrés d’être plus gênés dans leur liberté de culte que les anabaptistes et les papistes. Ils se rassemblent tant à l’extérieur des villes qu’ils se font appeler « gueux de terre », en référence à la révolte qui a libéré le pays des Espagnols. La division entre remontrants et calvinistes ne suit pas de ligne sociologique particulière : c’est vraiment une division théologique et philosophique.

La résolution du conflit vient en juillet 1617. Maurice de Nassau vient assister au culte orthodoxe dans une Église qu’ils occupent suite à une exclusion. Oldenbarneveldt panique et ordonne aux villes de recruter des mercenaires (waardgelders) indépendants du capitaine général (Maurice de Nassau). Ce dernier manœuvre un peu pour obtenir la dissolution de ces troupes, puis purger les partisans d’Oldenbarneveldt des conseils municipaux. Nassau fait exécuter Oldenbarneveldt pour avoir « agi comme les puritains » (sic) en créant la division dans l’Église nationale. Il n’y a plus d’obstacle politique à ce qu’un synode vienne enfin assainir la situation et exclure les remontrants.

Maurice de Nassau, fils de Guillaume d’Orange

À partir de là, Maurice de Nassau se dépêche de convoquer un synode national à Dordrecht en 1618. En plus des pasteurs hollandais, il y avait des délégations anglaises, suisses et allemandes. Le synode a duré six mois, et a failli s’embourber dans une farce : au départ, les pasteurs remonstrants font dérailler les auditions à force d’objections de procédure, si bien qu’ils sont exclus et qu’on examine la position arminienne à partir des livres imprimés. Il en sort le document qui articule les doctrines de grâce (dépravation totale, élection inconditionnelle, expiation limitée, grâce irrésistible, persévérance des saints).

Deux cents pasteurs remonstrants refusent de le signer ; quarante se réconcilieront finalement à l’Église, soixante-dix autres, prêts à vivre en paix comme citoyens privés, furent autorisés à rester. Le reste fut banni. Cependant, des arminiens réfractaires continuèrent de s’organiser clandestinement par la formation de la fraternité remonstrante en 1619, dont la confession de foi est écrite par Simon Episcopius. L’historien Philipp Benedict fait remarquer qu’à côté de l’aspect anti-confessionnel du mouvement, on garde tout de même la sacramentologie réformée, le rejet des images dans le culte, et la discipline réformée, ce qui le fait classer ce mouvement à l’intérieur de la tradition réformée. Ils travaillent dans la clandestinité jusqu’à ce que la politique générale des Pays-Bas aille vers une tolérance générale des religions. En 1630, ils construisent leur première église et en 1634 leur petit séminaire, avec Episcopius comme professeur.

Simon Episcopius, principale figure remontrante après Dordrecht

À ce moment-là, ils étaient bien plus petits : de 1630 à 1700 il y avait entre 30 et 40 églises remontrantes.

  • L’Église remontrante de Rotterdam a 7 000 membres en 1670 ;
  • Amsterdam, la deuxième plus grosse Église remontrante, a 1 500 membres, moins de 1 % de la ville à la fin du siècle.
  • Une église plus typique est celle de Haarlem : 100 membres. Au total, 20 à 40 000 personnes, surtout en Hollande méridionale, mais avec un profil plutôt élitiste et une importance intellectuelle plus grande que sa taille.

Conclusion

Nous donnerons d’autres détails sur l’histoire de l’Église néerlandaise, et notamment sur les puritains néerlandais de la nadere reformatie. L’Église néerlandaise est injustement méconnue, et est tout à fait digne de votre curiosité. En attendant, voici quelques conclusions édifiantes :

  • La question des protecteurs politiques est inévitable : si nous ignorons la politique, il n’est pas dit que la politique nous ignore. La querelle des remontrants a bien montré que, même quand une Église se concentre uniquement sur elle-même, il n’est pas exclu qu’un politique la détourne. Il faut alors l’intervention d’un autre homme politique pour l’arrêter.
  • L’église hollandaise est un des meilleurs exemples qui puissent montrer que le résultat ordinaire des persécutions est la désorganisation puis la disparition. Ne nous pressons donc pas de penser que la persécution purifierait l’Église et la rendrait plus forte : ce n’est tout simplement pas ainsi que cela s’est passé.
  • À aucun moment les protecteurs de l’Église hollandaise n’ont été recherchés par elle : ils se sont simplement présentés d’eux-mêmes. Qu’ils s’agissent des nobles catholiques intercédant auprès de Marguerite de Parme, de Guillaume d’Orange organisant la révolte des gueux, ou bien de Maurice de Nassau prenant parti pour les calvinistes, il n’y a pas eu d’intrigues pour les faire venir. Ils ont simplement obéi aux ordres de la providence, et Dieu a pris soin de son Église par eux.
  • Il est à noter aussi que l’Église Hollandaise est un bon exemple de religion officielle unique gardant une complète tolérance religieuse. Il n’est donc pas inimaginable d’avoir le protestantisme comme religion d’État en même temps que la tolérance religieuse.

Illustration de couverture : Joost Cornelisz Droochsloot, Maurice de Nassau licenciant les troupes mercenaires sur la Neude à Utrecht le 31 juillet 1618, huile sur toile, 1625 (Amsterdam, Rijksmuseum).

  1. Équivalent des colloques français, des synodes régionaux.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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