La vérité sans l’amour — Alexandre Sarran
23 janvier 2022

Alexandre Sarran est pasteur de l’Église réformée évangélique de Lyon–Gerlandassociée à l’Union des Églises protestantes réformées évangéliques de France (lui-même a été ordonné dans la Presbyterian Church of America, après des études à Aix-en-Provence)Il a bien voulu nous accorder de publier une série de sept prédications sur les lettres aux Églises de l’Apocalypse (Ap 2 et 3) ; qu’il en soit vivement remercié. Cette prédication, première des sept, a été donnée le 22 avril 2018.

Note : nous avons publié par erreur la deuxième prédication avant la première, dimanche dernier. Nous présentons nos excuses pour ce désagrément.


1Écris à l’ange de l’Église d’Éphèse : Voici ce que dit celui qui tient les sept étoiles dans sa main droite, celui qui marche au milieu des sept chandeliers d’or :

Je connais tes œuvres, ton travail, et ta persévérance. Je sais que tu ne peux supporter les méchants ; que tu as éprouvé ceux qui se disent apôtres et qui ne le sont pas, et que tu les as trouvés menteurs ;

que tu as de la persévérance, que tu as souffert à cause de mon nom, et que tu ne t’es point lassé.

Mais ce que j’ai contre toi, c’est que tu as abandonné ton premier amour.

Souviens-toi donc d’où tu es tombé, repens-toi, et pratique tes premières œuvres ; sinon, je viendrai à toi, et j’ôterai ton chandelier de sa place, à moins que tu ne te repentes.

Tu as pourtant ceci, c’est que tu hais les œuvres des nicolaïtes, œuvres que je hais aussi.

Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Églises : À celui qui vaincra je donnerai à manger de l’arbre de vie, qui est dans le paradis de Dieu.

(Apocalypse 2,1-7)


Introduction

Vous avez bien fait de venir aujourd’hui, parce qu’on vient de recevoir une lettre de la part de Jésus ! Il tient à nous dire ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas dans notre Église. Ça vous intéresse ? Mais avant d’y venir, j’aimerais qu’on se pose une question. Qu’est-ce que vous aimez bien dans notre Église, et qu’est-ce que vous n’aimez pas ? La plupart d’entre vous, ça fait un certain temps que vous venez, et donc vous avez eu le temps de vous faire une idée. Vous trouvez les gens plutôt sympas. C’est assez facile de se garer dans le quartier. Le culte à 17 h, c’est pas mal, ça permet de faire la grasse matinée. Et puis la collation après le culte, alors ça, c’est génial. Par contre les chants… bon, des fois ce n’est pas top. La salle n’est pas super accueillante, sans parler de la garderie ! Et puis c’est dommage que le club biblique pour les enfants ne soit pas plus développé.

Et puis il y en a peut-être parmi vous qui êtes là pour la première fois, ou peut-être que c’est une des premières fois que vous venez. Peut-être que vous êtes chrétien, vous venez d’arriver dans la région ou dans le quartier, et vous cherchez une Église à laquelle vous pourriez vous joindre. Ou alors vous êtes peut-être en train de découvrir la foi, et vous découvrez aussi la réalité de la vie d’une paroisse telle que la nôtre. Quoi qu’il en soit, vous avez certainement des critères qui vous guident dans votre évaluation de la qualité de notre Église. Qu’est-ce qui vous plaît ? Qu’est-ce que vous aimeriez trouver ? Qu’est-ce qui vous déçoit ?

Mais surtout, qu’est-ce que Jésus en pense ? Qu’est-ce que le chef de l’Église pense de son Église ? C’est plutôt une bonne question, et si je prétends que Jésus nous a écrit une lettre pour nous le faire savoir, c’est parce que c’est bien le cas. On trouve dans le livre de l’Apocalypse un passage où Jésus adresse sept lettres à sept Églises du premier siècle. Mais dans la symbolique du livre de l’Apocalypse, ces sept Églises représentent toute l’Église de tous les siècles—y compris l’Église Lyon–Gerland en 2018.

Nous pouvons donc prendre à cœur ce que Jésus dit à l’Église dans ces sept messages, et en tirer instruction pour nous-mêmes. C’est Jésus qui parle à son Église, et vous allez voir que dans chacune de ces lettres, Jésus souligne tantôt ce qu’il aime, tantôt ce qu’il n’aime pas. Ici, dans la première lettre, adressée à l’Église d’Éphèse, Jésus nous dit qu’il y a certaines choses très importantes qu’il approuve dans l’Église ; mais il y a une chose qui le dérange. Une seule chose, ici, mais qui est suffisante, si elle n’est pas corrigée, pour que Jésus décide de retirer à l’église son « accréditation ». Suffisante pour que Jésus dise à l’Église : « Tu n’es plus mon Église et je ne veux plus rien avoir à faire avec toi ». Ça vaut le coup d’écouter, non ?

Sept lettres… pour une seule Église

Il y a une idée simple, ici, qu’on pourrait résumer ainsi : Une Église peut être au point sur tous les plans, mais un manque d’amour peut suffire à tout gâcher. Avant de regarder plus précisément le cœur de la lettre, je voudrais faire une ou deux remarques sur la forme. D’abord, il faut savoir que les sept lettres de cette partie du livre de l’Apocalypse ont toutes une structure similaire. À chaque fois, Jésus commence par se présenter en se référant à la vision que l’apôtre Jean a eue de Jésus au premier chapitre, où Jésus se révèle dans sa gloire, à un statut d’exaltation suprême auquel il a été élevé après sa résurrection, lorsqu’il est monté auprès du Père (cf. Dn 7,14). Il a le pouvoir absolu dans tout le cosmos, et il est présent au plus près de l’Église chrétienne (représentée par sept chandeliers). L’apôtre Jean est d’abord terrifié, puis Jésus le rassure et lui fait comprendre qu’il a un message à adresser à l’Église.

Ici, Jésus se présente comme celui qui tient les étoiles (cf. 1,16), c’est-à-dire les « anges » ou les « messagers » des Églises (sans doute des personnes responsables de diffuser des informations dans les Églises, peut-être de simples personnes « chargées de communication », des « secrétaires », ou bien peut-être des anciens ou des pasteurs). Dans la mesure où ces personnes parlent au nom de Jésus, elles sont importantes pour Jésus, et c’est pourquoi il les tient dans sa main. De plus, Jésus rappelle qu’il est celui qui marche au milieu des chandeliers (cf. 1,13) : il est personnellement présent et impliqué dans les Églises.

Ensuite, Jésus va souligner dans la lettre des choses qu’il observe dans les Églises, et il va, parfois, féliciter l’Église pour les choses qui sont bien ; et parfois, il va dénoncer et déplorer ce qui ne va pas. Jésus va ajouter à chaque fois une exhortation : par exemple à se repentir, à corriger certaines choses, à persévérer, à ne pas avoir peur, à rester vigilant, etc. Et enfin, Jésus va à chaque fois finir par une promesse adressée à celui qu’il appelle le « vainqueur », c’est-à-dire, tout simplement, à tous ceux qui persévèrent dans la foi jusqu’au bout (les vrais croyants). Et ces promesses font toutes référence à la fin du livre de l’Apocalypse (plus précisément les chapitres 21–22), qui décrit le salut réservé aux croyants pour l’éternité.

Il paraît que Martin Luther disait qu’il valait mieux chercher une aiguille dans une botte de foin qu’essayer de comprendre quelque chose au livre de l’Apocalypse1. C’est vrai que c’est un livre un peu à part, où le mode d’expression est très souvent symbolique, qui puise dans tout un répertoire d’images tirées de la littérature prophétique de l’Ancien Testament. Il suffit de comprendre en tout cas, pour l’instant, que l’intention de Jésus dans ces sept lettres est de rappeler à l’Église universelle, et à tous ceux qui la composent, combien il est important pour nous d’être attentifs à ce que le chef de l’Église désire pour son Église (d’où le refrain : « Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises »).

Les épîtres aux Églises d’Éphèse et de Smyrne, enluminure, Apocalypse de Bamberg, début du Xe siècle.

Ce qui plaît à Jésus dans l’église d’Éphèse

Et donc, que dit Jésus à l’église d’Éphèse, pour commencer ? Il commence par la féliciter pour son application dans tout ce qu’elle fait. En particulier, Jésus la félicite, semble-t-il, pour sa rigueur doctrinale. L’Église d’Éphèse a pris à cœur ce que l’apôtre Paul lui avait expliqué à l’issue de son travail missionnaire, quand il a dû partir (quelques décennies plus tôt), et qu’il a averti les responsables de l’Église que « parmi vous, après mon départ, s’introduiront des loups redoutables qui n’épargneront pas le troupeau, et que du milieu de vous se lèveront des hommes qui prononceront des paroles perverses, pour entraîner les disciples après eux » (Ac 20,29-30). L’Église d’Éphèse a pris à cœur ce que l’apôtre Paul lui a aussi rappelé plus tard par l’intermédiaire du jeune pasteur Timothée, quand il a dit que l’Église était « la colonne et l’appui de la vérité » (1 Tm 3,15, cf. 127 colonnes de 18 m de haut d’Artémis).

Voilà déjà quelque chose que Jésus aime dans son Église. Il aime quand l’Église s’applique à défendre la vérité, à dénoncer le mensonge, à corriger ceux qui promeuvent de faux enseignements et qui pratiquent des œuvres manifestement contraires à la volonté de Dieu. Et ce n’est pas facile ! C’est ce que Jésus souligne en parlant immédiatement après de la persévérance, de la souffrance et de la tentation du découragement qui caractérisent aussi cette église d’Éphèse (v. 3). Ce n’est pas facile de rester attaché à la vérité et de la défendre face aux attaques nombreuses, virulentes et protéiformes (qui peuvent se présenter sous des formes diverses).

Mais Jésus apprécie quand l’Église prend soin de la vérité, parce que cette vérité, cette révélation spéciale qui vient de Dieu, consignée dans les saintes Écritures, constitue le « trésor » qui a été déposé dans les vases d’argile que nous sommes (2 Co 4,7) ; c’est la « parole de vie » que nous portons et qui fait que nous sommes appelés par Dieu des « flambeaux dans le monde » (Ph 2,15-16) ; c’est le « bon dépôt » dont l’apôtre Paul parle à Timothée, et qu’il doit garder précieusement (1 Tm 6,20 ; 2 Tm 1,14).

Si un ami vous confiait quelque chose de précieux pour que vous le gardiez et en preniez soin, vous le feriez sans doute avec précaution. Disons que votre voisin part en vacances et vous confie les clefs de sa maison ; vous allez essayer de ne pas vous les faire voler ou de ne pas les perdre dans la rue. Disons que votre cousin vous demande s’il peut garer sa moto chez vous pendant une semaine ; ou que votre tante vous confie son coffre à bijoux pendant son absence ; ou que vos enfants vous confient leurs enfants pendant quelques jours ! Vous allez faire attention. Une fois, une famille nous a confié leur poisson rouge pendant leurs vacances et il fallait qu’on fît très attention de le nourrir juste assez, et pas trop, chaque jour, et qu’on changeât l’eau du bocal régulièrement. C’était dur, mais on a réussi à leur rendre le poisson vivant.

Et si l’Église est « la colonne et l’appui de la vérité », c’est que Jésus a confié à l’Église quelque chose qui lui est très précieux : sa Parole, qui est « l’épée de l’Esprit » (Ép 6,17), cette fameuse épée à double tranchant qui sort de la bouche de Jésus. C’est un trésor objectif, qui tient son origine de Dieu, et nous devons en prendre soin comme de quelque chose qui ne nous appartient pas. Comme dans la parabole, nous sommes des vignerons qui travaillons pour le maître de la maison ; et la vigne ne nous appartient pas (Mt 21,33-44).

La Bible est attaquée de toutes parts, et ce n’est pas nouveau. On nous dit que son contenu n’est pas fiable, parce qu’elle aurait été falsifiée, ou bien parce qu’elle serait un assemblage tardif et arbitraire de plusieurs traditions. On nous dit que le message de la Bible est intolérable, car il serait raciste, autocratique, sexiste, homophobe, et antisémite. On a aussi des gens qui se disent chrétiens et qui diffusent des mensonges. Comme « l’Évangile de la prospérité » qui prétend que Dieu veut nous bénir physiquement et matériellement, tout de suite et maintenant, à condition que nous ayons assez de foi. Comme « l’Évangile social » qui prétend que la mission chrétienne consiste essentiellement à établir une société plus juste sur la terre, notamment par le moyen du lobbying politique. Comme « le christianisme gay », un mouvement qui prend de l’ampleur et qui affirme que le mariage et la sexualité entre deux hommes ou deux femmes ne sont pas incompatibles avec la piété chrétienne. Comme encore ce qu’on pourrait appeler « le libéralisme évangélique », où l’on hésite de plus en plus à mettre en avant des notions comme la discipline ecclésiastique, le jugement de Dieu et la doctrine de l’enfer, la loi de Dieu comme norme morale universelle, et même la doctrine de la chute et du péché originel, la doctrine de la Trinité, la doctrine de la providence, etc.

Alors me direz-vous, « on est pas mal à l’Église Lyon–Gerland ». Parce qu’on a une super confession de foi. Les pasteurs ont fait des études de théologie. Ils lisent de bons bouquins. Ils pratiquent la « prédication textuelle suivie ». Ils vont au séminaire « Évangile 21 » à l’Institut biblique de Genève. On s’applique dans ce qu’on fait ! Et peut-être que Jésus nous dit : « Je connais tes œuvres, ton travail et ta persévérance. Tu ne peux supporter les méchants. Tu as éprouvé les gens qui se disent apôtres et qui ne le sont pas. Quand il le faut, tu exerces la correction de l’église. Tu as de la haine, comme moi, pour les œuvres des pseudo-chrétiens qui promeuvent des mensonges et qui vivent dans la débauche ; et des fois, les gens te détestent pour ça. Mais j’ai contre toi… »

Ce qui ne plaît pas à Jésus dans l’église d’Éphèse

Et qu’est-ce que Jésus pourrait avoir contre nous ? Serait-ce que la louange n’est pas aussi bien qu’à Hillsong ? Que le ménage n’est pas toujours très bien fait ? Que les enfants font trop de bruit pendant le culte ? Que les locaux ne sont pas très accueillants ? Non, il y a quelque chose d’autrement plus important pour Jésus : « J’ai contre toi que tu as abandonné ton premier amour ». Qu’est-ce que Jésus veut dire par là ?

Eh bien, il faut savoir que l’Église d’Éphèse était à l’origine connue pour sa rigueur doctrinale et pour son amour. L’apôtre Paul dit aux chrétiens d’Éphèse, vers le début de sa lettre : « J’ai entendu parler de votre foi au Seigneur Jésus et de votre amour pour tous les saints » (Ép 1.15). Un peu plus loin, il leur dit : « En disant la vérité avec amour, nous croîtrons à tous égards en celui qui est le chef, Christ » (Ép 4.15). L’amour chrétien, l’amour ἀγαπή, la « charité », était caractéristique de l’Église d’Éphèse pendant au moins les premières années de sa vie. Il y avait de la ferveur dans l’Église, une ferveur authentique. Les gens aimaient Dieu, ils s’aimaient les uns les autres, et ils aimaient leur vocation.

Je pense que la plupart d’entre nous, nous sommes déjà tombés amoureux. Quand on est épris de quelqu’un, on devient un peu, comment dire… obnubilé par cette personne. On pense à elle tout le temps, on se plie à ses moindres désirs, on lui sourit facilement quand on la voit, on désire passer du temps avec elle ; et le reste du monde, de nos responsabilités, de nos préoccupations, pâlissent en comparaison de nos sentiments pour l’être aimé. Inversement, souvent et malheureusement, les « vieux couples » ne sont pas—ou plus—comme ça. On se croise de temps en temps dans la maison. On est occupé, et préoccupé, par le travail, les tâches ménagères, les activités des enfants. On a, certes, une bonne routine, une bonne gestion financière, un emploi du temps bien ficelé. Un fonctionnement en communauté de vie, plutôt bien huilé. Mais il n’y a plus les petites attentions, les compliments, les sourires sincères et spontanés, les mots doux, la chaleur étrange qui vous remplit le ventre lorsque votre conjoint entre dans la pièce…

Et c’est la disparition de ce genre d’enthousiasme sincère, de ce zèle sans complexe, que Jésus déplore dans sa lettre à l’Église d’Éphèse. C’est une allusion, peut-être, à ce que Dieu a aussi dit aux Israélites dans l’Ancien Testament par la bouche du prophète Jérémie : « Ainsi parle l’Éternel : Je me souviens de ton amour de jeune fille, de ton affection de fiancée, quand tu me suivais au désert, dans une terre stérile. » (Jr 2,2). Autrement dit : peu importe le désert, tant qu’on est avec Dieu. Il nous aime, et on l’aime, et c’est cet amour qui conditionne notre attention, notre confiance et notre service.

Le problème de l’Église d’Éphèse, et le problème qui concerne tout particulièrement les Églises qui sont au clair sur la théologie, et qui ont une solide confession de foi, c’est que la vocation de l’Église peut devenir très facilement impersonnelle. Un commentateur de ce texte dit ceci : « Sous le granit d’une inflexible orthodoxie, le Christ, lui, a perçu un glissement de terrain. L’Église d’Éphèse ne regarde plus à Dieu, mais à sa propre pureté » (Charles Brütsch). Et c’est une chose assez affreuse quand l’Église se met à proclamer et à défendre les grandes vérités théologiques, à combattre les mensonges et la débauche, à dénoncer les hérésies et les faux chrétiens, indépendamment d’un amour sincère et profond pour Jésus et pour les autres. Et honnêtement, ça se voit et ça se ressent très vite. L’inflexibilité, l’arrogance, l’impatience, le goût de la querelle, jusqu’à la déshumanisation des contradicteurs, l’absence de miséricorde, de bienveillance, et même de la simple politesse !

Ajoutons à cela quelques cuillerées à soupe de moralisme et un beau glaçage de ritualisme, et on obtient une Église très « fidèle », très « solide », souvent impopulaire pour les bonnes raisons ! Mais dont le chandelier sera peut-être écarté de sa place par Jésus, à moins qu’elle ne se repente et ne recouvre son premier amour. C’est comme ces couples irréprochables quand on les observe de l’extérieur : quarante ans de mariage, bravo ! six enfants, soixante-douze petits-enfants. « Tu as de la persévérance, tu as souffert, tu ne t’es pas lassé ». Sauf que derrière la porte close de l’appartement, c’est l’ennui total, c’est le fossé infranchissable, c’est le silence, l’indépendance, l’indifférence, peut-être même le ressentiment.

Et qu’en est-il de notre relation à Dieu ? Est-ce que notre Église est irréprochable vue de l’extérieur… mais derrière la porte close de notre cœur, est-ce que c’est l’ennui, le silence, l’indépendance ? Est-ce qu’on est devenu tout sec ? Est-ce qu’on est devenu indifférent à Dieu, et indifférent aux autres, et même aux âmes perdues ? Comme nous le demandait Florent Varak lorsqu’il est venu prêcher sur ce texte parmi nous il y a quelques années : « Qu’en est-il de notre premier amour ? ». Et comment raviver la flamme ? Peut-être même pour certains : comment allumer la flamme de cet amour pour Dieu et pour les autres ?

La Bible nous donne la réponse. 1 Jean 4,19 : « Pour nous, nous aimons2, parce que lui nous a aimés le premier ». La seule façon d’avoir un amour authentique pour Dieu et pour les autres, c’est de considérer comment Dieu nous a aimés. Son amour s’est manifesté par la venue de Jésus, son propre Fils, qui s’est donné volontairement en sacrifice pour nous délivrer. On était vraiment des gens repoussants pour Dieu, à cause de notre péché. On ne méritait pas du tout que Dieu vînt nous chercher pour nous sauver. Mais il l’a fait quand même, à ses propres dépens. Et c’est cela, la « bonne nouvelle » de l’Évangile. « Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. Voici comment l’amour de Dieu a été manifesté envers nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui » (1 Jn 4,8-9).

Conclusion

Et c’est ce qui me fait dire en conclusion que si on veut s’appliquer dans tout ce qu’on fait, comme l’Église d’Éphèse, mais sans avoir le défaut de l’Église d’Éphèse qui a été d’abandonner son premier amour, il faut qu’on reste tout le temps centré sur l’Évangile de la grâce de Dieu. Notre Église, avec toute sa théologie magnifique et riche et complexe, et avec toute sa rigueur doctrinale et son discernement « prophétique », doit maintenir au centre de tout ce qu’elle fait et de tout ce qu’elle dit le glorieux message de l’Évangile. Et en tant qu’individus aussi, nous devons, dans notre vie de tous les jours, garder à l’esprit, et entretenir dans nos pensées, le glorieux message de l’Évangile qui nous rappelle que nous sommes par nature des êtres indignes et dégoûtants, mais rachetés par Dieu à grand prix.

En tant qu’Église réformée évangélique, nous sommes une Église à risque—à risque d’abandonner notre premier amour. Toute la leçon de ce texte, c’est la suivante : une Église peut être au point sur tous les plans, mais un manque d’amour peut suffire à tout gâcher. C’est pourquoi l’apôtre Paul a exhorté le pasteur Timothée en ces termes : « Retiens dans la foi et dans l’amour qui est en Christ-Jésus, le modèle des saines paroles que tu as reçues de moi » (2 Tm 1,13).


Illustration de couverture : La bibliothèque de Celsus à Éphèse.

  1. Jacques Dubois, L’Église, épouse aux sept visages, Les carnets de Croire et servir, Paris, 1976, p. 10.[]
  2. Certains manuscrits ont ici la leçon nous aimons Dieu.[]

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *