Renoncer à l’analogie de la Trinité — Grégoire de Nazianze
9 février 2022

Les quelques lignes ci-dessous viennent conclure le magistral traité 31 sur le Saint-Esprit. Contrairement à ce qu’on pouvait attendre, Grégoire de Nazianze termine son exposé érudit et persuasif par un aveu d’impuissance : il se sent fondamentalement incapable de proposer une image vraiment acceptable des relations des trois personnes divines. La connaissance analogique lui semble condamnée à nous donner une idée trop déformée et insuffisante de la réalité divine ; “cette connaissance est trop différente de son objet pour satisfaire le désir qu’a notre esprit de connaître Dieu.” (A.-G. Hamman). Grégoire préfère donc renoncer franchement aux analogies trinitaires, dont il souligne quelques dangers.

Comme pour les extraits précédents (celui-ci du traité 27, celui-ci et celui-là du traité 31) précédemment, nous citons cet extrait du traité 31 (§§ 21-28) d’après l’édition des Discours théologiques ou Discours sur Dieu de Grégoire de Nazianze dans la traduction de l’abbé Paul Gallay (1942, révision autorisée) pour la collection des Sources chrétiennes. Elle a été réimprimée en 1995 dans la collection « Les pères dans la foi », avec une préface et un guide thématique d’Adalbert-G. Hamman. Au moment où nous en terminons avec ces quatre extraits, nous ne pouvons que vous recommander la lecture des traités 27 à 31, qui forment une très bonne introduction à la doctrine de Dieu catholique au IVe siècle.


J’ai, pour ma part, longuement réfléchi, en m’appliquant avec toute ma curiosité, et en envisageant la question sous toutes ses faces, pour chercher une image d’un aussi grand mystère ; et je n’ai pu découvrir à quelle chose d’ici-bas il faut comparer la nature divine. À peine ai-je trouvé quelque ressemblance partielle, je sens aussitôt que la plus grande partie m’échappe et je reste au-dessous de ma tâche dans l’exemple que je choisis.

Je me suis représenté, comme d’autres l’ont fait, une source, un ruisseau et un fleuve, et j’ai cherché une analogie entre le Père et la source, entre le Fils et le ruisseau, entre l’Esprit saint et le fleuve. Ces choses ne sont pas, en effet, divisées par le temps, ni séparées l’une de l’autre puisqu’elles sont continues ; néanmoins, elles semblent se distinguer en quelque sorte par leurs propriétés. Mais j’ai craint d’abord que cet exemple ne fît admettre je ne sais quel écoulement de la divinité, qui exclurait la stabilité ; j’ai craint aussi qu’on ne se représentât une personne unique, car la source, le ruisseau et le fleuve sont une seule et même chose qui revêt des formes diverses.

J’ai songé alors au soleil, au rayon et à la lumière. Mais cette comparaison n’est pas non plus sans danger : si l’on prend cet exemple du soleil et de ses propriétés, on risque d’imaginer je ne sais quelle composition dans la nature parfaitement simple. On peut être tenté aussi d’attribuer toute la substance au Père et de croire que les autres n’en sont que des accidents, qu’ils sont des puissances qui existent en Dieu, mais qui ne subsistent pas par elles-mêmes. Car le rayon et la lumière ne sont pas d’autres soleils, mais des émanations, des qualités substantielles du soleil. Enfin cet exemple a le défaut de nous donner à penser que Dieu peut exister ou ne pas exister, ce qui est encore plus absurde que tout le reste.

Je connais quelqu’un qui esquisse une autre explication : il se représente sur un mur une tache de lumière, venant du soleil reflété par l’eau qui tremble ; le mouvement de cette eau se communique au rayon qui, traversant les couches d’air intermédiaires, se trouve animé d’une vibration extraordinaire quand il rencontre un corps solide. Ces mouvements sont si nombreux et si pressés que l’on ne distingue pas si c’est une ou plusieurs taches de lumière qui s’unifient et se divisent avec tant de rapidité, et qui disparaissent avant que l’œil puisse les saisir.

Mais je ne puis me contenter de cette comparaison. D’abord, on ne voit que trop ce qui met cette lumière en mouvement ; or, il n’existe rien d’antérieur à Dieu, rien d’où il tire le mouvement, il est lui-même la cause de tout et n’a pas de cause antérieure à lui. Un second défaut, c’est que cet exemple nous fait, lui aussi, soupçonner les mêmes idées de composition, d’émanation, de nature changeante et instable, et rien de tel ne peut se concevoir à propos de la divinité.

En somme, je ne trouve aucune image qui me donne pleine satisfaction pour illustrer le concept de la Trinité ; il faudrait que l’on ait assez de sagesse pour n’emprunter à l’exemple choisi que certains traits et rejeter le reste. Aussi ai-je fini par me dire que le mieux était d’abandonner les images et les ombres, qui sont trompeuses et qui demeurent très loin de la vérité ; je préfère m’attacher aux pensées les plus conformes à la piété, me contenter de peu de mots et prendre pour guide l’Esprit, pour garder jusqu’à la fin la lumière que j’ai reçue de lui.

Il est mon compagnon naturel, mon familier, et je traverse cette vie en persuadant aux autres, autant que je le puis, d’adorer le Père, le Fils et l’Esprit saint, une seule divinité et une seule puissance, à qui sont toute gloire, tout honneur, tout pouvoir dans les siècles des siècles.

Amen.


Illustration de couverture : fresque du baptistère du monastère de Žiča (Serbie), XIIIe siècle.

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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