Cet article vise à traiter la question suivante : par quels critères peut-on reconnaître l’héritier le plus proche du protestantisme. L’histoire des réformés français est une histoire noble et enthousiasmante, et elle est revendiquée à la fois par des libéraux et par les confessants. Chacun de ces deux groupes, pour des raisons propres, et par des moyens différents, revendique être le vrai hériter des huguenots français. Commençons par définir ces deux groupes :
- Libéraux : Par ce nom, j’entends les réformés qui revendiquent l’héritage huguenot, en continuité avec les XIX-XXe siècles. Ils définissent leur continuité selon les termes d’une philosophie progressiste : les huguenots sont les précurseurs de la liberté de conscience / des droits de l’homme, etc., et nous, leurs descendants, continuons ce pour quoi ils se sont battus.
- Confessants : Par ce nom, j’entends les réformés qui revendiquent l’héritage huguenot, en continuité avec les XVI-XVIIe siècles. Ils définissent leur continuité selon les termes de la confession de foi : les huguenots sont ceux qui adhéraient à la confession de foi de La Rochelle et à la Discipline, et nous, leurs descendants, continuons ce pour quoi ils se sont battus.
Ce qui est compliqué, c’est que chaque parti peut revendiquer une part de l’histoire réformée française, et doit rejeter ou réinterpréter une autre partie. Les libéraux sont cohérents quand ils disent qu’ils sont les réformés historiques : effectivement, les protestants français se sont massivement libéralisés à la fin du XVIIIe et au XIXe siècles. Les confessants aussi sont cohérents de revendiquer leur attache historique : leur continuité historique devient plus ténue au-delà du XVIIIe siècle, mais ils se rattachent aux documents fondateurs des huguenots. Tâchons de trancher.
Formulation de la question
Il ne s’agit pas de déterminer si les libéraux sont des chrétiens. La question est différente, et elle a été abordée par des gens comme John Gresham Machen. Le sujet de cette question est de savoir si l’on doit définir le protestantisme en dehors de la théologie chrétienne historique, ou bien s’il est nécessaire de se rattacher à la théologie des huguenots telle qu’elle fut décrite dans la Confession de foi de la Rochelle.
La question ne traite pas de la compatibilité entre l’ordre séculier actuel (droits de l’homme, progressisme, etc.) et le protestantisme. Des opinions diverses existent dans chaque camp. La question est plutôt : doit-on définir le protestantisme selon des critères confessionnels, ou peut-on admettre des critères extérieurs à ces confessions, comme par exemple une vision progressiste de l’histoire.
La question ne porte pas sur la pertinence ou non des confessions de foi. Elle porte uniquement sur la possibilité de revendiquer l’étiquette et l’héritage protestant en suspendant les confessions de foi.
De l’identité en général
Avant de pouvoir traiter la question, il est nécessaire de rendre explicite quelques notions fondamentales qui sont à la racine du désaccord. Je parle ici de ce qu’est une identité, un mot souvent répété ces derniers temps, mais jamais défini.
Contre la doctrine individualiste, nous affirmons que tout homme est fait pour vivre en communauté, selon ce que Dieu dit : il n’est pas bon que l’homme soit seul (Genèse 2,18, cf. aussi Ecclésiaste 4,8-12). Pour ces raisons, et nous le constatons dans la création, l’homme recherche en permanence à s’associer en groupes.
L’identité, c’est l’objet de cette association. On peut la décomposer selon les éléments suivants :
- Elle est basée sur un mythe ou récit fondateur : il s’agit d’abord d’un « grand récit » principalement narratif, mais qui contient aussi les bases de la doctrine (ce qu’il faut croire) et les bonnes pratiques (ce qu’il faut faire) du groupe. Ce mythe doit être narratif, parce que nous devons pouvoir connecter notre histoire à une grande histoire. Il doit avoir des composantes doctrinales et pratiques, parce qu’elles seront la base des pensées et pratiques qui nous intègreront au groupe. Par exemple, si vous êtes un militant LGBT, vous adhérez à la grande histoire du progrès humain destiné à mécaniquement s’élargir, et vous êtes invités à être participants à cette histoire : vous devez simplement croire ceci et cela, et faire ceci et cela…
- Elle propose une galerie de modèles dont la composition varie selon les groupes : ces modèles servent d’idéaux types à imiter pour s’enraciner dans l’identité, et donc avoir une place plus centrale dans le groupe. C’est le rôle des saints chez les chrétiens, ou bien des militants célèbres chez les LGBT. Chez les libéraux, on remarque l’appel à des figures comme Albert Schweitzer, Martin Luther King, etc.
- Une orthodoxie et une discipline normative : tout groupe développant une identité a nécessairement une saine doctrine à laquelle il ne faut pas s’attaquer, et une discipline à maintenir pour garder son rang dans le groupe. Si c’est évident chez les confessants, c’est tout aussi vrai chez les libéraux ou des groupes vraiment étrangers comme les militants LGBT : osez donc afficher votre soutien à un « mauvais » candidat politique, et vous voilà exclu. Osez mégenrer Monsieur Clémence, et vous serez excommuniés, et votre réintégration n’aura pas lieu avant une repentance publique.
Il y a peut-être d’autres critères, mais ceux-là fondent un objet sur lequel nous nous accrochons et qui permet ensuite une vie en communauté, la seule capable de nous apporter les biens et les services qui nous manquent.
De l’identité protestante
Il y a deux identités protestantes en jeu : l’identité confessante, et l’identité libérale.
Chez les confessants :
- Le récit fondateur commence par la Bible (Ancien et Nouveau Testaments), puis passe par toute l’histoire de l’Église occidentale jusqu’au XVIe siècle. Il se distingue du récit romain en suivant la ligne des réformés, et court jusqu’à la Révocation (en France). Ensuite, il devient plus difficile à suivre et de s’incruster dedans.
- Les modèles sont des pasteurs, des moines (ou toute personne consacrée à une œuvre), des prédicants et des martyrs / confesseurs (personnes ayant souffert à cause de leur foi sans en mourir). Le point commun de toutes ces figures est qu’elles ont énormément sacrifié, en sueur ou en sang, pour faire avancer l’Évangile de Jésus-Christ.
- L’orthodoxie est définie par la Bible, formalisée dans la confession de foi de la Rochelle ; la discipline est définie par la Bible, dont on a tiré la discipline des Églises réformées.
Chez les libéraux :
- Le récit fondateur commence par le Nouveau Testament (surtout), où Jésus est interprété comme une figure fondatrice du mouvement de libération et d’émancipation (mouvement de Jésus) qui a donné les droits de l’homme et le progressisme. Il suit ensuite toutes les figures, quelles que soient leur confession, qui ont défendu des doctrines ou des pratiques analogues aux principes des Lumières. Une fois passé le XVIIIe siècle, la participation importante des protestants à la gauche républicaine rend le récit facile à suivre : nous sommes de la gauche progressiste, tout comme Ferdinand Buisson l’est.
- Les modèles sont des intellectuels, des militants et des précurseurs des droits civiques actuels, surtout s’ils ont souffert ou qu’ils ont été condamnés. À noter que dans certains cas (par exemple, Michel Servet), le simple fait qu’ils aient été persécutés par l’orthodoxie est une marque de sainteté.
- L’orthodoxie est définie par la philosophie moderne (puis postmoderne), peu formalisée, mais dont les grandes lignes sont diffusées ad nauseam ; la discipline rejoint celle de la gauche1.
Argumentation principale
Cela nous donne les trois raisons pour lesquelles les libéraux ne sont pas protestants, quoi qu’ils en disent :
- Leur récit fondateur est extérieur à l’histoire de l’Église, même protestante. Les connexions entre leur grand récit et l’histoire de l’Église ne sont qu’accidentelles, ce qui montre qu’ils ne s’identifient pas à l’Église mais profitent seulement de certaines figures au sein d’elles. Par exemple, ils s’identifient aux huguenots parce qu’ils résistent à la méchante hiérarchie catholique : or, cela est un aspect accidentel et non essentiel. Les huguenots voulaient d’abord et avant tout vivre l’Évangile de Jésus-Christ, compris à la façon protestante. Ce n’est qu’un accident si cela a engendré l’opposition des catholiques. Or, les libéraux rejettent le dogmatisme des huguenots comme la marque d’une conscience pas encore assez formée et mature.
- Les modèles qu’ils se donnent sont des personnes autonomes et peu rattachées à l’Église, quand elles n’ont pas été condamnés par elles. Ils s’identifient aux cathares par exemple, non parce que leur doctrine était proche de l’Évangile (elle ne l’était pas), mais parce qu’ils étaient persécutés par les catholiques et remettaient en cause l’autorité du pape. Ils s’identifient à Ferdinand Buisson, non parce qu’il était protestant, mais parce qu’il était un théoricien fondamental de la laïcité qui se trouve appartenir à un groupe contenant aussi des protestants. Bref, leurs modèles ne sont pas nécessairement des protestants, et ils ne se disent « protestants » que parce que leur galerie d’icônes contient plus de personnes étiquetées comme telles que celle d’un militant LGBT.
- Leur orthodoxie est ouvertement anti-biblique : ils essaient d’abord de tordre la Bible pour utiliser son prestige à leur avantage, mais l’abandonnent sommairement s’ils n’y réussissent pas. Ils font de même pour leur pratique, découpant sans respect les morceaux de la Bible qui les arrangent pour justifier ou défendre un système étranger à la Bible, et ils l’admettent facilement. En réalité, leur principe est étranger : ils ne sont pas des chrétiens sensibles à telle influence étrangère, ils sont ces étrangers qui se déguisent avec des vêtements protestants.
Conclusion
Considérant que le mythe fondateur, les personnages modèles et la bonne doctrine/bonne pratique des libéraux est extérieur à ce que les huguenots pratiquaient, nous ne pouvons que facilement constater qu’ils ne sont pas les héritiers des huguenots, et qu’ils ont usurpé le titre de « protestants ». Qu’ils n’aillent pas piailler « Nous sommes des fils de protestants », car en vérité Dieu peut faire de n’importe quel caillou un « protestant » selon ce terme. Considérez plutôt ces paroles de Jésus :
Vos pères, ce sont des réformés ? Alors faites les œuvres des réformés. Chantez les psaumes, catéchisez vos enfants dans l’Évangile de Jésus, confessez le nom et la doctrine de Jésus-Christ même sous la persécution, remuez ciel et terre pour rétablir la confession de la Rochelle et la Discipline, faites prêcher fidèlement la parole de Dieu, rendez un culte à Dieu digne de son excellence, et conforme à sa volonté.
Sans cela, vous n’êtes pas plus protestants que les opposants à Jésus étaient le vrai Israël. Et prenez garde de ne pas finir comme eux.
Illustration : portrait de Paul-Henri Marron, premier pasteur de l’Oratoire du Louvre (temple protestant libéral).
- Dans la déclaration de foi de l’Église protestante unie de France, on peut ainsi lire : Dieu se soucie de toutes ses créatures. Il nous appelle, avec d’autres artisans de justice et de paix, à entendre les détresses et à combattre les fléaux de toutes sortes : inquiétudes existentielles, ruptures sociales, haine de l’autre, discriminations, persécutions, violences, surexploitation de la planète, refus de toute limite.[↩]
Aux bonnes raisons que vous avez évoquées pour dénier aux libéraux toute légitimité à porter le titre de « protestants », il me semble possible d’en ajouter une : l’intérêt démesuré qu’ils manifestent ouvertement pour la papauté. En effet, ils se sont amourachés de la personne du pape et partagent la conception toute de façade du christianisme que le Vatican promeut aujourd’hui, alors qu’au fond rien d’important de ce qui a été fixé par le Concile de Trente pour contrer la foi évangélique et confirmé par Vatican I et II, n’est devenu caduque.
Ce sont donc les paroles et les gestes du pape qui comptent et occupent l’esprit des libéraux, le culte protestant laissant la place désormais à des manifestations œcuméniques de plus en plus recherchées (un exemple récent et de portée symbolique : la messe catholique récemment célébrée dans la cathédrale protestante (!) libérale de Genève).
Pourtant, sur certains sujets qui peuvent être suivis avec complaisance par les libéraux comme le sacerdoce féminin, le soi-disant « mariage » homosexuel, la PMA, la GPA ou encore la militance LGBT, dire que le pape se montre plus que réservé est un euphémisme. Eh bien, alors qu’ils jugent sans doute rétrogrades beaucoup de ses positions sur ces sujets de société, les libéraux, contre toute attente, ne lui comptent pas leur admiration ! C’est que non seulement ne pas ruiner l’œcuménisme par des critiques est l’impératif qu’ils s’imposent par dessus tout, mais ils ont aussi la conviction qu’en se gardant de tous désaveux à l’égard du pape, ils aideront celui qu’ils considèrent comme frère dans la foi à mettre son église « en phase » avec la société, se voulant ainsi les nouveaux missionnaires de la société prétendument « progressiste ».
Voilà pourquoi, en plus des questions strictement doctrinales qui demeurent essentielles et non résolues, je vois dans l’œcuménisme avec Rome que les libéraux défendent avec une détermination manifeste, la raison visible et majeure, puisqu’elle symbolise toutes les autres, qui permet d’affirmer légitimement qu’ils usurpent avec une insolence éhontée le titre de « protestants ».
Merci pour votre bel article !
Vous êtes tellement sur de vous que vous ne publiez pas les commentaires contraire a votre thèses…édifiant et très révélateur de la démarche. Récusant le Magistère infaillible de l’Eglise, celle que vous qualifiez outrageusement de Papiste, vous en établissez un autre, le votre qui ne saurez souffrir d’aucune contestation ….
Le maintien de la section » commentaires » n’a visiblement que pour objectif de maintenir l’illusion du débat alors que toute substance en est absente dans votre Blog.
Les libéraux sont des chrétiens. L’œcuménisme est une bonne chose et nous ne sommes plus au temps des anathèmes. Protestants libéraux ou on, nous avons la même confession de foi. Nous sommes de plus ou moins « bons » chrétiens et ne sommes pas forcément meilleurs que les non croyants. Je préfère mille fois un Brassens, avec son humour et ses valeurs de fraternité à un bigot serré.
Je pense le pape un homme de bien, à l’esprit vraiment évangélique, le souci des plus pauvres. C’est un pasteur, pas la vérité que l’on doit suivre. la vérité on la cherche sans avoir la prétention de la posséder définitivement.
Ce qui manque à la majorité d’entre nous, c’est la charité, Ce qui ne manque pas, c’est l’orgueil spirituel.
Les églises sont à la fois dans le monde et hors du monde. Elles ne mettent pas en valeur certaines idolâtries comme le culte de l’argent, de la réussite. Les églises se doivent d’accueillir celles et ceux qui sont mis de côté par l’intolérance. Les étrangers, les pas comme il faut, les dévariés comme on dit chez nous.
Et oui les églises et leur théologie évoluent, grâce notamment à l’apport des sciences humaines : histoire, sociologie.
L’Évangile n’est pas révolutionnaire au sens commun du terme, mais il n’est aucunement conservateur. Il bouscule nos conforts.
Les églises n’ont pas à approuver le mariage homo (comme Brassens, je serais plutôt pour le « non mariage » pour tous !). La plupart accueillent les LGBT, car on ne se définit pas uniquement par son affectivité. Nous sommes toutes et tous au delà de cela. Un LGBT fraternel aura sa place auprès de Dieu, qui, seul connait les cœurs.
Beaucoup d’affirmations gratuites, peu d’arguments…
Bisou …les frères séparés … c’est pas bien ce que vous faites…pas honnète 😉