La politique est l’art d’associer les hommes dans le but d’établir, cultiver et conserver la vie sociale entre eux. D’où le fait qu’elle est appelée « symbiose ».
Ce sont les tous premiers mots du traité de philosophie politique du très réformé Johannes Althusius. Cette définition élégante surpasse toutes nos représentations actuelles.
Un grand obstacle à l’engagement des chrétiens dans la politique est la définition même du mot. Souvent, « politique » désigne l’art de manipuler médias et électeurs pour remporter une élection, ou faire passer une réforme compliquée. Ainsi la politique semble être un art du mensonge et de la fourberie, ce qui dégoûte à juste titre des chrétiens.
Ou bien alors, il y a l’usage de « politique » tel qu’on l’utilise dans le monde du journalisme, comme quand on parle de l’actualité politique. Auquel cas, il désigne avant tout la vie des partis et des institutions, ce qui laisse passer l’idée que la politique est par définition même coupée de la vraie vie, celle des simples citoyens.
Ou bien alors, la « politique » désigne avant tout l’exercice du pouvoir, dans sa manifestation autoritaire. « Ce sont les décisions des politiques » désignant ainsi le fait qu’on ne peut pas les remettre en question à notre niveau. Cette définition renvoie alors au fait que la politique est pour les puissants, et qu’elle est essentiellement la manifestation et l’exercice de la coercion. Pas de quoi attirer des chrétiens.
Mais la définition d’Althusius paraît beaucoup plus juste. Elle est un art, c’est-à-dire quelque chose d’essentiellement pratique, qui est de la sagesse associée à des techniques spécifiques à cette tâche. La tâche du politicien est d’associer les hommes entre eux, d’être un artisan de paix et d’unité. Son but est l’établissement, la prospérité et la conservation d’une bonne société pacifique et unie. Voilà le genre de politique pour laquelle tous les chrétiens de tous les partis peuvent travailler.
La « symbiose » ou Vivre-ensemble comme cœur de vision
Le sujet de la Politique est donc l’association [consociatio] dans laquelles ceux qui vivent ensemble [symbiotici] se lient par un pacte soit expresse soit tacite, à une communication mutuelle de tout ce qui est utile ou nécessaire à l’exercice harmonieux d’une vie sociale. Le but de l’homme politique « symbiotique » est une vie commune [symbiosis] sainte, juste, confortable et heureuse, une vie qui ne manque de rien qui ne soit nécessaire ou utile.
Le Vivre-ensemble est un sujet de polémiques parmi d’autres, dans la France de 2019. C’est généralement l’occasion de ramasser des munitions rhétoriques à balancer sur la truffe de son adversaire sur un plateau télé. Mais dans une vision chrétienne comme celle d’Althusius, c’est beaucoup plus que ça : la « symbiose » est le cœur et le but de notre vision.
A ceci s’oppose une vision « moderne » qui considère que le sujet de la Politique est la mise en œuvre d’une grande vision –les Lumières, le néo-libéralisme, le communisme… Dans cette vision –majoritaire aujourd’hui dans notre arène publique- développer une vision politique consiste à élaborer un plan de « conquête du pouvoir » et de transformation du pays. Le vivre-ensemble ne fait pas partie des considérations, sauf comme instrument de contrôle.
La politique chrétienne rejette cette vision. Le but de l’homme politique ne doit pas être de réaliser tel grand rêve, ou tel système, mais de chercher tous les moyens utiles et nécessaires pour que nous vivions dans un société stable et prospère. La vision moderne n’a pas peur des conflits, et même les recherche. La vision d’Althusius veut les canaliser et y mettre fin. Voilà un but que les chrétiens politiques peuvent viser.
Dernière chose : la vision d’Althusius ne consiste pas en « laisser chacun avoir la vie qu’il veut ». Au contraire, c’est une vision très chrétienne :
La cause finale de la politique est la conservation d’une société humaine qui vise une vie où nous pouvons adorer Dieu en paix et sans erreurs.
La « consociation », brique de base de l’ordre politique
Emmanuel Valls avait commis un barbarisme pendant sa malheureuse campagne pour la candidature socialiste en 2016 : Il disait que pour restaurer le « vivre-ensemble », il fallait de « l’en-commun ». En fait il y a déjà un mot qui existe en français pour cela, et c’est ce mot qu’Althusius utilise : il faut de la commun-ication. Littéralement ca veut dire « mise en commun » d’un bien ou d’un service. Voici un exemple de communication :
- Je fais la vaisselle, ma femme fait la cuisine.
- Je produis la machine, le service commercial la vend.
- Je paye une taxe, un éboueur prend mes poubelles.
- La France paye une contribution à l’UE, et elle utilise ses droits de membre à l’intérieur de celle-ci.
Cette communication existe dans le cadre d’une con-sociatio (litt. Une « sociétification avec »). Dans la suite je prendrais le mot « d’association ». Tant que vous ne vous limitez pas à sa définition de « loi 1901 », ce sera tout à fait compréhensible.
Voici des exemples d’associations (consociatio) :
- Une famille.
- Une association de parents d’élève.
- Un syndicat.
- Une municipalité.
- Un parlement régional.
- Une entreprise.
- La Nation en tant que corps politique.
Dans une association, les membres de cette association s’entendent pour mettre en commun (= se communiquer) des biens et des services les uns pour les autres. Ainsi, dans une famille le mari et la femme mettent leurs ressources en commun, restent fidèles l’un envers l’autre, se donnent mutuellement amour et affection et élèvent en commun les enfants qui naissent de leur union. D’où le fait que la famille est la consocatio la plus basique, mais ce sera le sujet de la semaine prochaine. Nous verrons également plus en détail plus tard quelles sont les limites de la hiérarchie interne aux associations.
L’ordre politique est voulu par Dieu
Ensuite : la Politique a été créée, désirée et voulue de Dieu. Dieu veut que nous pratiquions l’art politique.
Cela apparaît dans les paragraphes finaux du chapitre I : Althusius décrit ici le pourquoi au juste il y a besoin d’association, sur la base d’Aristote :
Aucun homme n’est capable de vivre bien et heureux par lui-même. La nécessité induit donc l’association ; et le manque de choses nécessaires pour la vie, qui sont acquises et communiquées à l’aide et au moyen des autres associés, la conserve. Pour cette raison il est évident que la communauté, ou la société civile existe par nature, et que l’homme est par nature un animal civil qui recherche abondamment à s’associer.
Trois visions actuelles sont ainsi réfutées :
- La vision de Hobbes, qui considère que la nature est « un état de guerre de chacun contre chacun ». On met donc en place un état et des institutions pour pouvoir vivre en paix avec son prochain, et on lui donne d’énorme pouvoirs pour dissuader quiconque de rompre cet ordre politique qui est par nature « artificiel ».
- La vision du contrat social où l’ordre politique est volontaire, et non naturel.
- La vision fondamentaliste, qui considère l’ordre politique comme une invention de Satan pour s’opposer à l’Eglise.
Althusius n’imagine donc pas un « ordre de nature » qui soit a-politique. L’ordre naturel c’est l’ordre politique. Cela signifie donc que le chrétien n’a pas à se poser la question de s’il doit s’engager en politique ou non. La question est plutôt : quelle genre de vie politique dois-je mener ?
La semaine prochaine, nous décrirons ce qu’Althusius dit de la plus basique de toutes les unités politiques : la famille.
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« La cause finale de la politique est la conservation d’une société humaine qui vise une vie où nous pouvons adorer Dieu en paix et sans erreurs. »
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Avez-vous l’intention de développer ou clarifier l’idée selon laquelle Althusius serait opposé à la « vision du contrat social où l’ordre politique est volontaire » ? Je ne suis pas un spécialiste d’Althusius mais cela me semble être une assertion extrêmement téméraire. La théologie politique chrétienne d’Althusius était intrinsèquement contractuelle/alliancielle. Je me réfère entre autres à :
• John Witte, ‹The Reformation of Rights – Law, Religion and Human Rights in Early Modern Calvinism›, chapitre 3 : ‹Natural Rights, Popular Sovereignty, and Covenant Politics – Johannes Althusius and the Dutch Revolt and Republic›, p. 143-208.
• Revue réformée (Faculté Jean Calvin) : https://larevuereformee.net/articlerr/n244/la-theorie-politique-%C2%ABreformationnelle%C2%BB-et-le-pacte-social
• Potchefstroom Electronic Law Journal : https://journals.assaf.org.za/index.php/per/article/view/4163
• Et bien sûr : https://parlafoi.fr/2018/11/17/calvinisme-et-politique-conference-gratuite-en-ligne/
Comme répondu sur Facebook, nous ne nions pas qu’Althusius considère beaucoup de volontaire dans l’ordre politique d’une nation. Nous choisissons nous-même notre ordre politique. Seulement, contrairement à la vision du contrat social, nous ne choisissons pas qu’il y ait un ordre politique en premier lieu! Ce n’est donc pas un “volontarisme absolu” en matière politique mais un “volontarisme relatif”.
Être dans CET ordre politique est volontaire et libre. Être dans un ordre politique tout court ne l’est pas.^^