Martin Luther King, l’abbé Pierre du monde protestant
4 avril 2025

Je suis né dans un monde évangélique où Martin Luther King est une figure incontournable, et je n’ai jamais entendu que des louanges à son sujet dans l’Église. La seule différence résidait dans le fait que certains en parlaient plus que d’autres, mais tous n’avaient que du bien à en dire. Puis, en lisant la biographie de Rushdoony (Christian Reconstruction de McVicar, 2015), j’ai découvert une anecdote amusante concernant Gary North, son gendre. Le père de Gary North, agent du FBI, avait une aversion particulière pour Martin Luther King. Le jour de l’assassinat de ce dernier, le 4 avril 1968 – date de publication de cet article –, son chef au FBI avait ordonné à tous ses agents de rouler phares allumés en hommage au pasteur. Le père de North, lui, avait tenu à laisser ses phares éteints, même en pleine nuit, refusant catégoriquement de rendre hommage à une figure qu’il méprisait profondément. Cette incongruité m’a interpellé. Certes, le père de Gary North semblait ancré dans une droite extrême, mais pourquoi une telle hostilité envers un homme que je n’avais entendu que célébrer ?

Intrigué, j’ai décidé d’examiner de plus près la biographie et les positions doctrinales de Martin Luther King. Ce que j’ai découvert m’a convaincu qu’il était bien des choses, mais certainement pas un évangélique. Il s’inscrit clairement dans le libéralisme théologique, engagé dans un combat qui, par la suite, est devenu populaire. Oui, c’est un saint, mais un saint de la religion civile née après la Seconde Guerre mondiale (Cf notre recension du livre sur Société ouverte, de R.R. Reno), et non un saint chrétien.

Cet article, volontairement court, se concentrera sur deux aspects pour étayer ce jugement : ses positions doctrinales d’abord, puis sa moralité personnelle.

Les positions doctrinales de Martin Luther King

Je m’appuie ici exclusivement sur des sources primaires : les écrits de Martin Luther King lui-même, compilés par l’université de Stanford dans le cadre du Martin Luther King, Jr. Papers Project (voir ici). Ses réflexions les plus révélatrices sur la doctrine se trouvent dans ses dissertations d’étudiant. Formé au Crozer Theological Seminary en Pennsylvanie, puis docteur en théologie systématique à l’université de Boston, King a choisi ces institutions précisément pour leur réputation de libéralisme doctrinal et leur accent sur l’évangile social (A Theology for the Social Gospel de Rauschenbusch, 1917). L’université de Boston, où il a poursuivi ses études supérieures, était elle aussi un bastion du libéralisme théologique. Mais King ne s’est pas contenté de fréquenter ces milieux : il a exprimé des positions ouvertement anti-évangéliques.

Il adhère pleinement à la critique biblique et considère les premiers chapitres de la Genèse comme mythologiques plutôt qu’historiques. Voici ce qu’il écrit dans sa dissertation Light on the Old Testament from the Ancient Near East (source) :

Ils réalisent que la religion, dans la mesure du possible, doit être scientifiquement défendable. À mon avis, la « critique biblique » et l’« archéologie biblique » justifieront la position de l’Église dans la culture moderne, notamment face à une jeunesse contemporaine éduquée à « peser et considérer ». Ensuite, nous devons conclure que nombre d’événements que nous avons acceptés comme historiquement vrais ne sont que mythologiques. Ce ne sont que des maillons modifiés rattachés à la vaste chaîne de la mythologie. Cette conclusion en choquera plus d’un. Mais pourquoi donc ? Il suffit de comprendre qu’un mythe sert à transmettre une idée présente dans l’esprit de son auteur. Il devient ainsi aussi précieux que le factuel. […] Si nous acceptons l’Ancien Testament comme étant « vrai », nous le trouverons rempli d’erreurs, de contradictions et d’impossibilités manifestes – comme l’idée que le Pentateuque ait été écrit par Moïse. Mais si nous l’acceptons comme une « vérité », nous y verrons l’un des véhicules les plus logiques des pensées dévotionnelles et des aspirations les plus profondes de l’humanité, exprimées dans un langage qui conserve encore sa vigueur originelle et son intensité morale.

En deuxième année, dans une dissertation intitulée What Experiences of Christians Living in the Early Christian Century Led to the Christian Doctrines (source), il rejette la divinité de Jésus, la naissance virginale et la résurrection physique :

Dans ce papier, nous discuterons des expériences des premiers chrétiens qui ont conduit à trois doctrines plutôt orthodoxes : la filiation divine de Jésus, la naissance virginale et la résurrection corporelle. Chacune de ces doctrines est enchâssée dans ce qu’on appelle le « Credo des Apôtres ». Ce credo a servi de « symbole de foi » pour de nombreux chrétiens au fil des siècles. Encore aujourd’hui, il est récité dans bien des églises. Mais dans l’esprit de nombreux chrétiens sincères, ce credo a semé une graine de confusion qui a grandi jusqu’à devenir un chêne de doute. Ils le jugent incompatible avec toute connaissance scientifique et ont donc rejeté son contenu. Cependant, si nous explorons la signification plus profonde de ces doctrines et les dépouillons de leur interprétation littérale, nous découvrirons qu’elles reposent sur un fondement profond. Bien que nous puissions argumenter avec toute la logique possible que ces doctrines sont historiquement et philosophiquement intenables, nous ne pourrons jamais ébranler le socle sur lequel elles reposent.

Contre la divinité de Jésus, il soutient que les évangélistes décrivent un Jésus purement humain, ce qu’il était selon lui. Mais à mesure que le christianisme s’est répandu chez les Grecs, peuple philosophique, les chrétiens ont dû renforcer leur foi face au mépris grec de la chair. La forte personnalité de Jésus les impressionnait tant qu’ils ont utilisé le langage de la divinité pour exprimer cette inspiration, avant que des développements doctrinaux grecs n’en fassent le Fils unique de Dieu avec tout l’appareil théologique habituel. Voilà le Jésus de Martin Luther King.

Concernant la naissance virginale, il la juge scientifiquement impossible et absente de la Bible :

D’abord, nous devons admettre que les preuves soutenant cette doctrine sont trop faibles pour convaincre un penseur objectif. Pour commencer, les documents les plus anciens du Nouveau Testament ne mentionnent pas la naissance virginale. De plus, l’Évangile de Marc, le plus primitif et authentique des quatre, ne donne pas le moindre indice à ce sujet. Tenter de justifier cette doctrine en disant qu’elle était prédite par le prophète Ésaïe est vain, car tous les spécialistes du Nouveau Testament s’accordent à dire que le mot « vierge » n’apparaît pas dans l’original hébreu, mais uniquement dans le texte grec, qui traduit erroneusement le terme hébreu pour « jeune femme ». Alors, d’où vient cette doctrine ?

Pour lui, la naissance virginale n’est qu’une tentative maladroite et préscientifique d’exprimer la singularité de Jésus, un statut unique. Mais pour les chrétiens modernes, soutient-il, nous pouvons laisser ces enfantillages derrière nous.

Quant à la résurrection physique, il la considère comme impossible et la réduit à une métaphore maladroite pour désigner l’expérience de la vie chrétienne, plutôt qu’un retour littéral à la vie du corps de Jésus :

La dernière doctrine dont nous parlons concerne l’histoire de la résurrection. Cette doctrine, sur laquelle repose la foi de Pâques, symbolise la conviction chrétienne ultime : que le Christ a vaincu la mort. D’un point de vue littéraire, historique et philosophique, cette doctrine soulève de nombreuses questions. En fait, les preuves externes de son authenticité laissent à désirer. Mais encore une fois, ces preuves externes ne sont pas l’essentiel, car elles ne nous disent pas précisément ce que nous voulons savoir : quelles expériences des premiers chrétiens ont conduit à la formulation de cette doctrine ?

Dans une autre dissertation (How to Use the Bible in Modern Theological Construction, source), il nie directement l’inspiration divine de la Bible :

Elle ne voit pas la Bible comme un manuel écrit par des mains divines, mais comme une représentation des expériences humaines rédigées dans des contextes historiques particuliers.

Pour rester bref, je m’arrête là. Mais en poursuivant la lecture de ses dissertations, on découvre tout l’arsenal doctrinal du libéralisme théologique dans sa forme la plus classique. Il loue le libéralisme et critique le fondamentalisme (Sources of Fundamentalism and Liberalism Considered Historically and Psychologically, source). Il estime que certains écrits intertestamentaires mériteraient davantage d’être canoniques que certains livres bibliques (The Ethics of Late Judaism as Evidenced in the Testaments of the Twelve Patriarchs, source). Il soutient que les sacrements chrétiens sont des emprunts au mithraïsme (A Study of Mithraism, source). La seule divinité de Jésus réside dans son exemple moral (The Humanity and Divinity of Jesus, source). Il rejette longuement et explicitement la substitution pénale (A View of the Cross Possessing Biblical and Spiritual Justification, source). Le retour de Jésus n’est pas physique, mais correspond à l’établissement d’une société gouvernée par la loi de l’amour (The Christian Pertinence of Eschatological Hope, source). Enfin, il nie la dépravité totale (How Modern Christians Should Think of Man, source), bien que cela semble presque anodin comparé au reste.

Martin Luther King n’est pas évangélique. Sa doctrine est anti-évangélique.

Sa moralité

Martin Luther King Jr. était un homme adultère, et de manière récurrente, comme l’ont révélé son proche collaborateur Ralph Abernathy (source). Les dossiers déclassifiés du FBI le confirment (source). Il ne s’agit pas ici de simples liaisons successives, mais d’orgies. Dans un mémo du FBI encore sujet à confirmation, il aurait même assisté à un viol, regardant, riant et prodiguant des conseils (source). Même sans cet épisode précis, les récits troublants rapportés par l’historien David Garrow (source) suffisent à donner la nausée à qui oserait les lire en détail. Voici un extrait :

À l’hôtel Willard, les activités de King et de ses amis ont repris le lendemain soir, alors qu’environ 12 personnes « participaient à une orgie sexuelle » comprenant, selon le prude Sullivan, « des actes de dégénérescence et de dépravation ». Quand une femme a hésité à s’engager dans un acte contre nature, King et plusieurs hommes ont discuté de la manière dont elle devait être initiée et formée à cet égard. King lui a dit que cela « aiderait son âme ». Plus tard, dans un langage reflétant l’esprit étroit de Sullivan, « King a annoncé qu’il préférait pratiquer des actes contre nature sur les femmes et qu’il avait fondé l’Association internationale pour l’avancement des mangeurs de chatte ». Ceux qui connaissent l’humour souvent grivois de King ne douteraient pas de cette citation.

Il est frappant de noter que les faits de base concernant son comportement orgiaque ne sont pas contestés. Dans le New York Times, dans un article paru à l’occasion de la déclassification des documents du FBI, Barbara Ransby fait une apologie de Martin Luther King (New York Times, 2019 source).Même si l’on concédait l’ensemble de son argumentaire (qui cible les biais hostiles du FBI contre King), il demeure que Martin Luther King était adultère en série, à la sexualité correcte d’un point de vue d’une féministe noire, mais certainement pas au regard de la lettre à Timothée.

Conclusion

Martin Luther King n’a ni la doctrine ni la morale d’un chrétien, et pourtant, il est un saint. Pourquoi ? Parce qu’il est un saint de la religion civile actuelle, et non du christianisme. Son libéralisme théologique conservait assez de vocabulaire commun avec des figures comme Billy Graham pour établir des ponts avec le monde évangélique, voilà tout.

Ce pont, construit par Graham, nous l’avons maintenu jusqu’à aujourd’hui, car Martin Luther King représente un point de convergence entre le monde évangélique et le monde séculier. Cela était particulièrement crucial pour un mouvement néo-évangélique désireux de se démarquer du fondamentalisme et de gagner le respect des autorités et intellectuels laïcs : « Nous aussi, nous sommes des chrétiens attachés à la justice sociale, comme King, respectez nous comme King. »

Mais pourquoi persister aujourd’hui ? Cette stratégie ne nous a valu aucun respect. Les séculiers exigent une capitulation totale et ne se satisfont pas d’une vénération partagée. Laissons désormais Martin Luther King là où il est, et que la damnatio memoriae fasse son œuvre. Il n’est rien d’autre que l’abbé Pierre des protestants, et mérite le même oubli, quelle qu’ait été son aura passée.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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