Les progressistes sont des cyniques : l’exemple de l’imago dei
2 mai 2025

Nul ne parle plus de dialogue et de « bâtir des ponts » que les théologiens progressistes. Et pourtant, nul ne fuit plus le débat avec les théologiens conservateurs qu’eux. Et même quand ils dialoguent, ils ont une éthique du débat vicieuse qui empêche les vrais échanges. C’est ce que veut montrer ce bref article, à travers un exemple précis portant sur le concept théologique d’imago Dei (le fait que l’homme est créé à l’image de Dieu).

Une question initiale : pourquoi l’imago Dei dans le débat migratoire ?

À la racine de ma recherche se situe le souhait de comprendre des arguments comme ceux qu’utilise Russell Moore, éditeur en chef de Christianity Today (Moore, 2011) :

La question centrale, c’est la manière dont nous parlons de ce sujet, en reconnaissant qu’il ne s’agit pas d’« enjeux » ou de « guerres culturelles », mais de personnes créées à l’image de Dieu. Nos Églises doivent incarner la présence du Christ pour tous, quels que soient leur pays d’origine ou leur statut légal. Nous devons nous opposer à la bigotry, au harcèlement et à l’exploitation, même quand c’est politiquement rentable pour ceux qui partagent nos vues sur d’autres sujets. (Moore, 2011)

Quelle est sa vision de l’imago Dei qui lui fait appliquer ce concept métaphysique à la question très politique des migrants ? La Bible n’utilise l’imago Dei en éthique qu’à deux endroits : pour justifier la peine de mort (Gn 9:6) et nous apprendre à ne pas parler mal (Jc 3:9). Par quel raisonnement l’image de Dieu se trouve-t-elle appliquée là ?

À ce stade de ma recherche, la question était ouverte, et je voulais savoir quelle était l’interprétation progressiste de l’imago Dei. La réponse m’a choqué.

Ces messieurs me disent : l’imago Dei comme arme rhétorique

Je m’attendais à ce qu’ils étudiassent la Bible, avec leurs méthodes particulières, et proposassent des doctrines, vérifiées par leurs raisonnements particuliers. Au lieu de cela, je me suis rendu compte que la vérité (en tant que conformité aux faits) n’a aucune importance pour eux.

Daniel Groody : dépolitiser pour mieux museler

La première source vers laquelle je me tourne est l’article académique de Daniel Groody, « Crossing the Divide », paru dans Theological Studies (Groody, 2009, p. 638-667, DOI : 10.1177/004056390907000306). Contactez-moi pour le PDF. Dans cet article, Groody explore quels lieux théologiques pourraient être exploités pour contribuer au débat sur la migration. Le principal problème qu’il veut régler, c’est le désamorçage des discours anti-migrants qui empêchent les migrants de circuler librement :

Ces flux de personnes engendrent conflits et controverses ; ils affectent non seulement les migrants, mais aussi les communautés d’accueil, faisant de la migration un sujet politique de plus en plus explosif et controversé. Les affrontements de cultures, d’identités et de religions, ainsi que les débats sur l’économie, les ressources et les droits, polarisent le discours public, rendant le débat migratoire confus et embrouillé. Non seulement la rhétorique sur l’immigration mélange, voire manipule, des enjeux comme la sécurité nationale et l’insécurité humaine, les droits souverains et les droits humains, la loi civile et la loi naturelle, mais les disciplines qui encadrent le débat ne nous ont pas fourni les concepts nécessaires pour dépasser un discours polémique stérile et atteindre les questions de fond. (Groody, 2009, p. 638)

Le premier lieu théologique qu’il propose de mobiliser est l’imago Dei. Groody diagnostique qu’un des problèmes dans le débat politique sur la migration est un problème d’étiquettes : que l’on parle de réfugiés, de migrants, de déportés ou d’étrangers, tous ces termes appellent à des actions ou des réactions politiques. Or, ces messieurs veulent absolument dépolitiser la question, pour éviter toute discussion à ce sujet, et que les frontières tombent le plus vite possible.

La solution, suggère Groody, est d’utiliser un langage qui ne soit pas politique et qui aplatisse toutes les distinctions humaines. L’imago Dei est cette notion. Et elle est d’autant plus intéressante qu’elle contient une injonction morale :

En apparence, fonder une théologie de la migration sur l’imago Dei peut sembler élémentaire, mais ce terme est souvent ignoré dans le discours public. Définir le migrant et le réfugié d’abord en termes d’imago Dei les ancre dans le monde d’une manière très différente que s’ils sont principalement vus comme des problèmes sociaux ou politiques, ou comme des « étrangers illégaux » ; les termes théologiques impliquent aussi un ensemble d’exigences morales. Sans une prise en compte adéquate de l’humanité du migrant, il est impossible de construire des politiques justes orientées vers le bien commun et le bénéfice des membres les plus faibles de la société. (Groody, 2009, p. 644)

Aparté : la dernière phrase oublie commodément que, précisément, un étranger ne fait pas partie de sa société d’accueil, par définition. Mais Groody et ses collègues travaillent justement à tuer la réflexion et la discussion, comme il le dit lui-même en introduction.

Les frères Magezi : un chantage moral bien rodé

Cette réflexion est continuée dans un autre article des frères Magezi, « Migration Crisis and Christian Response » (Magezi & Magezi, 2018, p. 1-12, DOI : 10.4102/hts.v74i1.4876). Près de dix ans plus tard, ils développent l’intuition de Groody pour en faire un programme plus détaillé (contactez-moi pour le PDF).

Tout d’abord, ils résument l’article de Groody en insistant sur les applications politiques et rhétoriques de l’imago Dei :

En affirmant cela, Groody espère que si les communautés locales et les autorités des nations d’accueil perçoivent les migrants comme des personnes créées à l’image de Dieu, elles les traiteront selon leur identité donnée par Dieu. Cette compréhension façonnera positivement le débat sur la migration, notamment la formulation internationale des politiques migratoires. Ainsi, Groody renforce la doctrine de l’imago Dei comme principe premier qui devrait guider l’interprétation des migrants par les nations d’accueil. Utiliser l’imago Dei comme principe fondamental pour percevoir les migrants est crucial pour amener les communautés natives des nations d’accueil à cesser leur exploitation et leur discrimination raciale des migrants. Car les communautés locales verront d’abord les migrants comme des personnes importantes, de statut égal (dont l’identité et la dignité sont ancrées en Dieu), au même titre qu’eux-mêmes devant Dieu. (Magezi & Magezi, 2018, p. 6, citant Groody, 2009, p. 644 ; Magezi, 2017, p. 6)

Notez bien qu’en langage progressiste, l’exploitation et la discrimination raciale désignent le fait de dénoncer des Pakistanais à la police pour le viol de sa fille, mais ne tiennent pas compte des cyclistes Uber qui font le pousse-pousse pour livrer les salades quinoa-soja de ces messieurs. Pratique, n’est-ce pas ? L’intention des frères Magezi et de Groody est donc bien de désamorcer le débat politique sur la migration, mais aussi les réactions immunitaires de leur société. Mieux même, grâce à l’imago Dei, on peut faire un chantage à la moralité pour forcer les populations autochtones à non seulement laisser venir les migrants, mais payer pour leur accueil et leurs besoins :

Cela signifie que les gens doivent d’abord être considérés comme égaux les uns aux autres avant qu’on ne fasse la distinction entre étranger et national dans les nations d’accueil. Cette perception première de l’humanité conduira toutes les personnes à agir de manière responsable envers l’humanité universelle, indépendamment de leur couleur, race, culture, langue ou origine ethnique. En d’autres termes, le concept de l’humanité entière comme porteuse de l’image de Dieu implique que les gens doivent se traiter mutuellement comme égaux en tant que porteurs de l’image de Dieu, sans distinction de religion, culture, ethnie, tribu, nationalité ou langue. C’est pourquoi Ng’ang’a (2010, p. iii), Groody (2009, p. 642) et Botha (2013, p. 109-113) affirment que l’idée que tous les êtres humains portent l’image de Dieu est cruciale pour transformer fondamentalement les relations entre migrants et populations locales. En effet, cela défie les communautés locales d’avoir une solidarité complète avec les migrants marginalisés et discriminés dans leurs nations, et cette solidarité les obligera à répondre aux défis de leurs semblables. (Magezi & Magezi, 2018, p. 7)

Enfin, l’imago Dei permet de culpabiliser les populations autochtones si jamais elles ont des objections à ce que leurs filles soient agressées et leurs fils privés de travail :

Si les communautés d’accueil des migrants échouent à vivre de manière responsable envers leurs semblables, en particulier les migrants, elles manquent à aimer et à prendre soin de leurs semblables comme Dieu le souhaitait pour tous les porteurs de son image. (Magezi & Magezi, 2018, p. 8)

Voilà pour le début de l’article. Et c’est seulement à ce moment-là que commence la réflexion théologique proprement dite, examinant les différentes interprétations (substantielle, relationnelle, fonctionnelle) et retenant celle qui sert le mieux leur but. Pour rappel, l’éthique évangélique prescrit d’abord de faire une étude biblique, puis systématiser les découvertes, puis ensuite comparer avec d’autres traditions pour améliorer notre doctrine, et en tirer les conséquences éthiques. Dans l’éthique progressiste, peu importe : l’objectif est de pirater le vocabulaire pour mieux manipuler les évangéliques.

Une fois cela fait, les frères Magezi proposent un protocole sommaire pour utiliser la théologie afin de faire progresser leur cause progressiste.

Voilà pour la théologie qui informe Russell Moore et ses invocations de l’image de Dieu.

Dans l’éthique progressiste, peu importe la vérité : l’objectif est de pirater le vocabulaire pour mieux manipuler les évangéliques.

Cynisme et hypocrisie : la méthode progressiste décryptée

Plusieurs défauts moraux graves caractérisent la méthode illustrée ici :

  1. Ces experts se donnent pour but de tuer le débat et faire taire leurs opposants. L’éthique académique, je suppose.
  2. Pour ce faire, ils ont une approche purement machiavélique du dogme chrétien, les considérant comme autant de munitions à utiliser contre les chrétiens.
  3. Ces chers frères en Christ considèrent leurs autres frères comme des problèmes à gérer par des techniques de manipulation sordides, et pratiquent leur miséricorde en préparant la condamnation.
  4. Non seulement ils n’en ont rien à faire de la Bible, mais le principe même de vérité n’a aucun sens ni application chez eux : ils ont une cause, la théologie doit être enrôlée et utilisée comme munition dans cette cause. Toute considération d’exégèse, de théologie systématique, etc., ne peut être justifiée que par sa contribution à la culpabilisation des chrétiens et la subversion de l’Église.

Bien sûr, vous aurez remarqué que jamais les théologiens progressistes n’ont ce langage-là dans l’arène publique. C’est derrière les paywalls des articles académiques qu’ils complotent contre l’Église. Dans l’arène publique, cependant, on retrouve bien ce que Groody et les Magezi font dans leurs articles. Ici encore, l’article court et accessible de Russell Moore l’illustrera bien (Moore, 2011).

Russell Moore : l’exemple évangélique

Dès l’ouverture, Russell Moore ne tarde pas pour faire taire le débat politique en le noyant dans la théologie :

Alors que les évangéliques, comme d’autres Américains, peuvent diverger sur les détails politiques d’une politique migratoire juste et compatissante, notre rhétorique doit être guidée non par la politique, mais par l’Évangile et la mission. Je suis stupéfait d’entendre des chrétiens évangéliques parler des immigrés sans papiers dans ce pays avec mépris, comme « ces gens » qui « vident nos ressources de santé et d’aide sociale ». Il est horrifiant d’entendre ceux qui se réclament de l’Évangile parler, quelle que soit leur position sur les enjeux, avec un dédain mesquin envers les immigrés eux-mêmes. C’est une question d’Évangile. Tout d’abord, notre Seigneur Jésus lui-même était un soi-disant « immigré illégal ». […] Ce n’est pas juste un enjeu « politique », détaché de notre salut. Jésus nous dit que notre réponse aux plus vulnérables parmi nous est une réponse à Jésus lui-même (Mt 25:40). (Moore, 2011)

On retrouve bien ici le souhait de désamorcer complètement les réactions négatives contre l’immigration en transportant le débat dans un milieu compris comme apolitique, mais qui, curieusement, a des applications politiques très concrètes et évidentes.

On retrouve également le souhait de subvertir l’Église en place et l’enrôler dans son programme progressiste ici :

C’est aussi une question de notre mission. Il y a actuellement plus de 12 millions d’immigrés sans papiers dans ce pays, et bien plus dans la communauté latino qui sont venus légalement. Si notre réponse est d’absorber le nativisme et la bigotry de certains éléments de la société autour de nous, nous leur montrons une vision de ce que la Bible appelle « la chair » plutôt que l’Esprit. Si nos Églises ignorent les nations autour de nous qui vivent dans nos propres communautés, nous refléterons l’Amérique de la Bible Belt des années 1970 plutôt que le royaume de Dieu, qui est composé de toutes tribus, langues, nations et peuples (Ap 7:9). (Moore, 2011)

Enfin, l’imago Dei est mentionné comme un pied-de-biche pour fracturer le cœur des frères en Christ, conformément au programme cynique et machiavélique décrit plus haut :

La question centrale, c’est la manière dont nous parlons de ce sujet, en reconnaissant qu’il ne s’agit pas d’« enjeux » ou de « guerres culturelles », mais de personnes créées à l’image de Dieu. Nos Églises doivent incarner la présence du Christ pour tous, quels que soient leur pays d’origine ou leur statut légal. Nous devons nous opposer à la bigotry, au harcèlement et à l’exploitation, même quand c’est politiquement rentable pour ceux qui partagent nos vues sur d’autres sujets. (Moore, 2011)

Moore morigène ses « frères » de la même façon que le suggèrent les Magezi :

L’immigration n’est pas juste un enjeu. C’est une opportunité de voir que, aussi importante que soit l’Amérique, il viendra un jour où les États-Unis n’existeront plus. Et ce jour-là, les fils et filles de Dieu se tiendront devant le trône d’un ancien « immigré illégal ». Certains sont ouvriers agricoles ou femmes de ménage aujourd’hui. Ils seront rois et reines demain. Ce sont nos frères et sœurs pour toujours. Nous sommes peut-être Américains de naissance, mais nous sommes tous des immigrés dans le royaume de Dieu (Ép 2:12-14). Quels que soient nos désaccords sur l’immigration comme politique, nous ne devons pas diverger sur les immigrés comme personnes. Notre message à eux, dans toutes les langues et à chaque personne, doit être : « Quiconque veut venir peut venir. » (Moore, 2011)

Jamais je n’ai vu de discours de haine de son prochain aussi complet : votre devoir religieux est une solidarité complète, quel qu’en soit le coût, et tant pis si vous disparaissez. Vous le méritez bien, sale évangélique raciste.

Applications : un appel à la vigilance

Ainsi que nous l’avons vu, la théologie progressiste n’est pas une théologie, dans le sens où elle ne vise pas à exprimer Dieu et sa volonté. La cause progressiste en est la vraie religion, l’établissement de leurs royaumes de l’Homme est la vraie eschatologie. Je suis donc au regret d’appeler à la plus grande vigilance et aux plus vigoureuses mesures contre les discours progressistes.

Ce n’est pas seulement qu’ils ont des idées différentes : qu’importe, après tout ? C’est que, comme je l’ai montré ici, le langage n’est pour eux qu’un outil de subversion et de mensonge, et les mots ne sont qu’autant de munitions. Ils ne parlent tout simplement pas de façon honnête, surtout quand ils utilisent un vocabulaire chrétien.

C’est quelque chose que l’on voit facilement, bien sûr, chez les progressistes les plus avancés. Mais le danger vient de ceux qui sont encore assez évangéliques pour imiter les phrases et les tours de pensée de notre milieu. Russell Moore n’est pas un progressiste « modéré » : c’est un libéral complet qui sait parler le langage évangélique, et il en est de même pour ceux qui ont un discours semblable.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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