Contexte historique
Au début du XIXe siècle, il n’y a plus d’Évangile en France, ni en Suisse. Jean-Alphonse Turretin a subverti les Églises suisses au XVIIIe siècle, en utilisant le nom de son prestigieux père pour introduire des doctrines opposées à l’orthodoxie de son père. En France, la révocation de l’Édit de Nantes a privé d’un coup l’Église de tous ses pasteurs. Lorsqu’on a refondé l’Église lors de la période du désert, on a envoyé des jeunes zélés pour devenir pasteurs, et récolté des francs-maçons en retour. La doctrine officielle des églises protestantes francophones enseigne un salut par les œuvres qui ferait peur même à Pélage ; elles ont une vision de la Bible qui fait rire même Voltaire.
Et pourtant, nous voici aujourd’hui, en 2025, où il y a plus d’évangéliques (protestants attachés aux Écritures) que de libéraux en France. Que s’est-t-il passé entre les deux ?
Le réveil de Genève. Toute ma gratitude va au professeur Jean Decorvet de m’avoir découvrir cet épisode fascinant de l’histoire de l’Église française, qui est le fondateur de l’ordre évangélique français actuel.
Louis Gaussen, pasteur de l’Église protestante de Genève, n’est qu’une des nombreuses figures qui ont réannoncé l’évangile en Français, mais il en est la plus académique. Contrairement à d’autres figures plus rapidement exclues de l’Église officielle, Louis Gaussen a tenté plus longtemps que les autres de manoeuvrer finement pour faire une reconquista (réintroduction de l’orthodoxie dans une Église libérale) de l’Église de Genève, en vain. Alors il écrivit en 1840 un livre nommé Théopneustie défendant la pleine inspiration des Écritures, à une époque où tous ses collègues pasteurs confessent une forme ou l’autre de rationalisme et de déni de l’autorité des Écritures. C’est la recension de ce livre que nous proposons aujourd’hui.
Je signale et recommande l’article de Jean Decorvet, qui place cette oeuvre dans son contexte historique et intellectuel, et analyse en profondeur ses objectifs et qualités rhétoriques. Pour ma part, je veux simplement faire connaître aux lecteurs de Parlafoi la pertinence et la richesse de ce livre pour l’évangélique du XXIe siècle.
Résumé du livre
Louis Gaussen écrit en 1840 un livre de niveau semi-populaire destiné à fortifier les croyants face aux attaques intellectuelles contre la pleine inspiration des Écritures, issues de la fin du rationalisme. On reprochait aux Écritures (notamment en contexte académique) les « défauts » suivants :
- L’individualité des auteurs excluait nécessairement qu’elles puissent être écrites par Dieu (une objection qui a disparu depuis, tant elle est fragile).
- Les variantes issues de la critique textuelle.
- Des erreurs que les professeurs de théologie se semblaient libre d’attribuer aux apôtres.
- Les dénigrements apparents de l’apôtre Paul en 2 Corinthiens.
Et même quand on acceptait que l’Écriture soit donnée par Dieu, on négociait pour enlever des parties à l’inspiration :
- Un tel admettait l’inspiration des livres prophétiques, mais pas historiques.
- Un autre pensait que les pensées étaient inspirées, mais pas les mots.
- Un autre objectait que les détails insignifiants ne faisaient pas partie des Écritures.
Louis Gaussen commence par répondre en profondeur à ces objections, avec un langage clair, stylé et rigoureux. Se mettant dans les traces de François Turretin, il en évite cependant sciemment le langage technique et se concentre sur une pédagogie destinée aux croyants matures et aux étudiants en théologie. Même sans bagage d’étude, il est facile de suivre les arguments. Par ailleurs, on est très vite frappé par l’excellence du français et la beauté du style, typique de la moitié XIXe. L’ensemble de cette réfutation prend les deux tiers du livre de 500 pages environ (écrit gros, probablement équivalent à 300 pages actuelles).
Ensuite, dans le chapitre 4 qui fonctionne en charnière, il précise quelle est le bon usage de la critique (usage enrégimenté de la raison) dans l’étude de la Bible. Ce chapitre est intéressant pour tout étudiant en théologie, même encore aujourd’hui.
Dans les chapitres 5 il expose enfin de manière positive la foi dans l’inspiration des Écritures, sous la forme d’un catéchisme qui dérive souvent vers des réponses bien fournies. La pédagogie est impeccable.
Dans le chapitre 6, il démontre bibliquement l’inspiration des Écritures (théopneustie) dans le style réformé scolastique qui ne laisse aucune pierre non soulevée. Loin de se contenter de 2 Timothée 3.16, il déploie le meilleur du raisonnement réformé classique pour établir fermement le dogme à partir de toute l’Écriture.
Appréciation générale
Sur la « théopneustie » (inspiration des Écritures), vous trouverez des livres plus récents, qui contiennent les réponses aux dernières objections qui nous viennent du post-modernisme. Vous trouverez des livres plus techniques, qui traitent de l’impact réel de la critique textuelle sur l’autorité des Écritures. Vous trouverez des livres plus pointus, qui développent tout une théorie de l’inspiration apte à rendre le dogme cohérent et plus facile à croire.
Et pourtant, c’est un des livres les meilleurs que j’ai lu sur le sujet, alors même que je n’y ai pas découvert d’éléments nouveaux dedans qui n’aient pas été repris et amplifié par la littérature évangélique par la suite. Ce livre m’a surpris par sa fraîcheur, alors que je m’attendais à des questions totalement obsolètes, considérant qu’il a été publié en 1840. Je considère qu’environ 3/4 du livre sont encore à jour aujourd’hui. Seule la partie sur la critique textuelle est obsolète, ainsi que la partie qui répond sur les désaccords entre Science et Écritures (c’est ce qui a le plus mal vieilli). Certaines objections les plus techniques ont été mieux répondues depuis. Mais le livre reste intéressant à lire pour un étudiant en théologie contemporain.
Cette remarquable fraîcheur est due à trois choses :
- L’excellence du style, qui permet à Théopneustie de se démarquer des livres contemporains au moins par la beauté de son écriture.
- La fossilisation du libéralisme, dont beaucoup d’arguments n’ont en fait pas varié depuis maintenant deux cent ans, si bien que les réponses de 1840 peuvent toujours être utilisées aujourd’hui.
- L’orientation pastorale et morale du livre, qui a pour but de renforcer la vie spirituelle et de piété de l’étudiant en théologie de son époque. L’avant-propos et sa conclusion sont claires à ce sujet. Vous trouverez des livres avec des informations plus à jour, mais vous ne trouverez pas une chaleur spirituelle plus vive que celle de Louis Gaussen exposant le même dogme.
Dans l’ensemble, je vous recommande de lire ce livre si vous vous intéressez au sujet, comme première lecture ou par curiosité historique, en sachant qu’il y a eu plus développé et plus pointu écrit depuis. Louis Gaussen le vaut bien. Il est disponible gratuitement sur Google Books.

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