Apprendre à raisonner (18) : Les erreurs de raisonnement
6 avril 2022

Cet article est le dix-huitième d’une série consacrée à la logique classique (ou aristotélicienne, c’est-à-dire développée par Aristote). Dans le dix-septième, j’ai expliqué comment faire un plan pour organiser ce qu’on cherche à communiquer, soit à l’écrit, soit dans un discours. Dans cet article, j’introduirai les erreurs de raisonnement de manière générale. Comme d’habitude, je reprendrai énormément le contenu du livre de Peter Kreeft, Socratic Logic des pages 69 à 71 et de Raisonner en vérité de Bruno Couillaud.


I. Erreurs de raisonnement, sophismes et paralogismes

Une erreur de raisonnement est un défaut qui fait qu’un argument est fallacieux (ou faux). Un argument ou raisonnement fallacieux est un argument qui semble prouver sa conclusion mais qui en réalité n’y arrive pas. Les erreurs de raisonnement sont aussi appelées sophismes. Depuis un certain temps, « sophisme » est souvent utilisé à peu près par tout le monde comme un synonyme d’erreur de raisonnement. Mais au départ, pour Aristote et ses disciples, les sophismes étaient l’un des deux types précis d’erreurs de raisonnement. Un sophisme est une erreur de raisonnement que quelqu’un de malhonnête commet et fait passer pour un bon raisonnement. Un paralogisme est une erreur que quelqu’un commet sans en être conscient et en croyant sincèrement avoir raison1.

Le mot sophisme vient du mot sophiste. Les sophistes étaient des philosophes grecs de l’époque de Socrate et Platon2. Ces derniers argumentaient non pas pour chercher la vérité mais pour gagner de l’argent en impressionnant les foules3. Par exemple, ils prétendaient réussir à prouver n’importe quoi et son contraire. Pour cela ils utilisaient des sophismes (des stratégies précises) pour tromper leurs auditeurs.

Pour ne pas compliquer les choses sans raison, j’utiliserai sophisme dans un sens large comme un synonyme d’erreur de raisonnement. Même s’il existe de nombreuses classifications, on a souvent distingué deux différents types d’erreurs : les erreurs informelles et les erreurs formelles qui elles-mêmes regroupent plusieurs erreurs particulières. Ces deux catégories d’erreurs correspondent aux deux manières de se tromper lorsqu’on formule un argument : 1) dans l’utilisation des mots (erreur informelle ou matérielle) et/ou 2) dans le fil ou au cours du raisonnement, c’est-à-dire dans le passage des prémisses à la conclusion (erreur formelle). Nous étudierons d’abord les erreurs informelles puis les erreurs formelles, sur plusieurs sous-articles.

II. Les erreurs Informelles

Les erreurs informelles4 consistent à mal utiliser ou mal comprendre les termes (ou les mots). Par conséquent, les erreurs informelles sont des erreurs qu’on fait lors de la première opération de l’intelligence qu’est la compréhension des termes. Malgré cela, elles sont quand même des erreurs de raisonnements, étant donné qu’elles apparaissent au cours d’un raisonnement5. On les appelle aussi erreurs matérielles6, sophismes verbaux, sophismes de mots ou sophismes in dictione (dans le discours »)1. Comme le résume Couillaud :

Tout mot est un matériellement (cause d’apparence7) mais peut désigner plusieurs choses ou plusieurs concepts (cause d’erreur8) : la tromperie vient alors de ce qu’un mot qui a plusieurs sens est pris comme n’en ayant qu’un seul.

Raisonner en vérité, p. 451.

Par exemple, le raisonnement « Seuls les hommes sont doués d’intelligence (par opposition aux plantes, aux animaux). Or les femmes ne sont pas des hommes. Donc les femmes ne sont pas douées d’intelligences » comporte une erreur informelle. Plus précisément, une équivocité sur le mot homme (erreur qu’on verra plus tard). En effet, le mot homme est utilisé deux fois mais à chaque fois dans un sens différent. D’abord dans un sens large (l’être humain) puis dans un sens plus étroit (les individus de sexe masculin). 

C’est ce genre d’erreurs qu’un ordinateur a du mal à détecter efficacement.

III. Les erreurs formelles

Les erreurs formelles9 consistent à mal relier plusieurs termes ou à mal les placer. Les erreurs formelles sont donc celles que l’on commet lors de la troisième opération de l’intelligence qu’est le raisonnement (passer des prémisses à la conclusion). On les nomme également sophismes de pensée, sophismes extra dictiones10 ou sophismes mentaux (purement intérieurs)11. Extra dictiones signifie en gros dans une relation (et non en soi-même) :

Non dans les choses elles-mêmes, car on est en logique, mais des choses telles qu’elles sont pensées, dans leur relation mutuelle et dans les lieux de cette relation.

Raisonner en vérité, p. 451.

Par exemple, on voit bien qu’il y a une erreur dans le raisonnement suivant : « Tous les hommes sont mortels et tous les poissons sont mortels aussi. Donc tous les hommes sont des poissons. » En effet, on ne peut pas déduire des deux prémisses « Tous les hommes sont mortels » et « Tous les poissons sont mortels » que la conclusion « Donc tous les hommes sont des poissons » est vraie. Il y a bien une erreur mais pas dans la manière où les mots « hommes » et « poissons » sont utilisés (pas d’erreur informelle). Pas d’ambiguïté ou de manque de précision par exemple. C’est justement une erreur formelle.

C’est le genre d’erreurs qu’un ordinateur peut parfaitement détecter.


Illustration : Charles Laplante, Éducation d’Alexandre par Aristote, gravure, 1866 (in Louis Figuier, Vie des savants illustres – Savants de l’antiquité, tome 1).

  1. Raisonner en vérité, p. 451.[][]
  2. C’est d’ailleurs souvent avec eux que discute Socrate dans les dialogues de Platon. Par exemple dans le Gorgias, Socrate débat avec Gorgias, dans le Protagoras avec Protagoras et dans la République avec Thrasymaque.[]
  3. Par conséquent, ils faisaient de la logique (de manière plus générale, de la philosophie) une fin en soi au lieu de la reconnaître comme un moyen dirigé vers une fin (le bonheur, la vérité, etc.)[]
  4. Informelles, parce qu’on commet souvent ces erreurs même s’en rendre compte.[]
  5. Plus précisément, les erreurs informelles apparaissent au niveau des propositions d’un raisonnement.[]
  6. Matériel renvoie au contenu ou au fond (la matière) du raisonnement, autrement dit aux mots utilisés dans le raisonnement.[]
  7. Ce qui nous fait croire que l’erreur est vraie.[]
  8. Ce qui fait que le raisonnement (le sophisme) est faux.[]
  9. Formel renvoie à la forme du raisonnement, c’est-à-dire la manière dont il organisé : la position, l’ordre des mots dans les propositions du raisonnement.[]
  10. Raisonner en vérité, p. 460.[]
  11. Saorek, « Petite introduction à la sophistique ».[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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