Apprendre à raisonner (23) : Les erreurs d’induction (erreurs informelles, 4)
7 mai 2022

Cet article est le vingt-troisième d’une série consacrée à la logique classique (ou aristotélicienne, c’est-à-dire développée par Aristote). Dans le vingt-deuxième, j’ai présenté les erreurs de simplification excessive, un troisième type d’erreurs informelles (ou sophismes de mots : les erreurs qui portent sur l’utilisation des mots). Dans cet article, j’introduirai les erreurs d’induction, un quatrième type d’erreurs informelles. Comme d’habitude, je reprendrai énormément le contenu du livre de Peter Kreeft, Socratic Logic, des pages 100 à 104.


Les erreurs d’induction sont un type d’erreurs informelles qui reposent sur de mauvaises généralisations. Même si Kreeft les distingue des erreurs de simplification excessive, j’ai parfois du mal à voir leur différence. Je redonne la définition des raisonnements par induction (par opposition à la déduction) :

Les raisonnements par induction partent de prémisses particulières (e.g. « Je suis mortel » et « Tu es mortel » et « Il est mortel » et « Elle est mortelle ») pour arriver à une conclusion universelle qui est plus générale (e.g. « Tous les hommes sont mortels »)1.

Voici maintenant la liste des erreurs que nous allons parcourir :

I. La généralisation abusive
II. Post hoc, ergo propter hoc
III. L’hypothèse contraire aux faits
IV. L’analogie douteuse
V. L’argument du silence

VI. La sélection arbitraire des preuves
VII. La question biaisée

Quand ce sera possible, nous donnerons pour chaque erreur une définition, une explication, la méthode pour la corriger et des exemples. Dans l’explication, nous donnerons entre autres deux causes de l’erreur que Couillaud appelle « la cause d’apparence » et « la cause d’erreur ». Dans un argument fallacieux2, la cause d’apparence est ce qui nous fait croire à tort que l’erreur est vraie et la cause d’erreur ce qui nous trompe, ce qui fait que le raisonnement (le sophisme) est faux.

I. La généralisation abusive

Définition

La généralisation abusive consiste à affirmer trop vite que des exemples montrent qu’une règle est vraie.

Explication

Bien sûr, toute généralisation n’est pas abusive : dans plusieurs cas, plus on a d’exemples divers et représentatifs, plus il est probable que l’induction soit probable. Mais parfois elle est injustifiée : pour le savoir, il faut faire appel à son intuition, son bon sens.

Exemples

  1. Tous les cygnes qu’on a observés sont blancs, donc tous les cygnes sont forcément blancs.
    Erreur : C’était un exemple courant dans les manuels de logique dans le passé. Mais pas de chance : on a fini par découvrir des cygnes noirs.
  2. Cette équipe de foot a perdu trois fois cette année, ce sont donc des loosers.

II. Post hoc, ergo propter hoc

Définition

Cette erreur a littéralement pour nom juste après ça, donc à cause de ça et est aussi appelée sophisme de l’ignorance de la cause. Elle consiste à affirmer qu’une chose A est la cause d’une autre chose B uniquement parce qu’on a observé A avant B. En termes plus techniques, c’est confondre corrélation et causalité, croire que la corrélation est une condition nécessaire et suffisante de la causalité.

Explication

L’erreur vient du fait que la temporalité ou proximité dans le temps (le fait que A précède B) ne suffit pas à nous apprendre l’existence d’une relation de cause (A) à effet (B). C’est un indice probable mais il ne suffit pas en lui-même : il nous pousse à enquêter plus loin. En effet, il s’agit peut-être d’une pure coïncidence ou alors il existe C qui cause à la fois A et B.

Exemples

  1. Chaque jour, le coq crie peu avant le lever du soleil. Donc le cri du coq est la cause du lever du soleil.
  2. Dans un pays nordique, les céréales finissent parfois gelées. Donc c’est à cause de la lune.

III. L’hypothèse contraire aux faits

Définition

Cette erreur consiste à affirmer « si un événement x n’avait pas eu lieu, alors il se serait passé l’événement y » bien qu’on ne puisse pas le savoir avec certitude. En gros, c’est prétendre que les choses se seraient passées d’une façon précise dans le passé ou dans le futur si les circonstances avaient été différentes.

Explication

C’est une erreur lorsqu’une cause n’a pas seulement un effet mais peut en réalité en produire plusieurs. Par contre, ce raisonnement est valide lorsqu’un événement en entraîne forcément un seul et unique autre. Pour détecter que c’est une erreur, il faut donc juger au cas par cas.

Exemples

  1. Si tu avais révisé, tu aurais réussi ton contrôle.
    Erreur : C’est probable (en tout cas plus que s’il n’avait pas révisé) mais on ne peut quand même pas en être sûr. Il se peut que l’élève ait mal révisé (manque de concentration), révisé seulement les chapitres sur lesquels il n’est pas tombé ou encore tout oublié à cause du stress.
  2. Si tu avais tourné à droite avant, tu ne te serais pas perdu.
    Erreur : Pas forcément.
  3. Si tu avais rendu le devoir à temps, je ne t’aurais pas enlevé de points.
    Pas d’erreur : Du point de vue des pénalités de retard, il n’y a qu’un effet possible à la cause « rendre le devoir à temps » : « ne pas se faire enlever de points ».
  4. Si la pièce n’était pas tombée sur face, elle serait tombée sur pile.
    Pas d’erreur : Il en est de même qu’avant, il n’y a que deux possibilités qui s’excluent l’une l’autre, pile ou face.

IV. L’analogie douteuse

Définition

Une analogie est une comparaison entre deux choses qui ont au moins un point commun. Par exemple, les cartes sont des analogies des lieux réels comme elles les représentent. Les renards sont des analogies des hommes rusés, on dit « rusé comme un renard ».

L’analogie douteuse consiste à faire (au moins) une de ces trois erreurs :

  1. Utiliser une analogie comme un argument au lieu de s’en servir pour illustrer (faire comprendre) un principe général abstrait
  2. Utiliser une fausse analogie qui n’a pas de ressemblance réelle
  3. Utiliser une fausse analogie en supposant à tort que si deux choses ont un point commun, elles en auront un autre

Exemples

  1. Tu dis que ne crois pas aux esprits parce que tu n’en a jamais vu, mais tu n’as pas vu non plus d’atomes dans ta vie et pourtant tu y crois.
    Erreur : Ici, la personne fait une analogie entre les esprits et les atomes, deux choses qui seraient impossibles à observer. Or, celle-ci est fausse comme les esprits sont invisibles car immatériels alors que les atomes le sont parce qu’ils sont impossibles à voir à l’œil nu. Mais contrairement aux esprits, on peut faire des expériences pour « détecter » les atomes.
  2. Les Américains seront les premiers à marcher sur Mars étant donné qu’ils ont été les premiers à marcher sur la Lune.
    Erreur : Ici, l’analogie est le lien entre les Américains et la Lune au XXe siècle (arrivés les premiers) avec celui entre les Américains et Mars au XXIe. Mais la comparaison est pas trop limitée pour que l’argument soit valide. En effet, les États-Unis de notre époque ont changé par rapport à avant. De plus, ils ne forment plus une puissance aussi supérieure aux autres qu’avant et l’industrie spatiale est maintenant beaucoup plus dans le domaine privé.

V. L’argument du silence

Définition

L’argument du silence consiste à déduire à tort une vérité à partir du silence de quelqu’un.

Explication

Il faut étudier au cas par cas chaque silence mais la règle générale qu’il faut retenir, c’est qu’il est très facile de se tromper ou de tomber dans de pures spéculations.

Exemples

  1. Lady Gaga est une illuminati comme elle ne l’a jamais dit, ce qui est normal comme c’est une société secrète.
  2. L’auteur de ces livres ne parle jamais dedans de sa femme. Par conséquent, c’est qu’il n’a pas eu de femme.

VI. La sélection arbitraire des preuves

Définition

Cette erreur consiste à ne mentionner que les preuves et sources qui soutiennent son hypothèse et à ignorer celles qui vont à son encontre.

Explication

C’est une erreur car on se retrouve avec une liste d’observations, d’indices incomplète pour faire un choix informé. Comme notre raisonnement ne prend pas en compte toutes les données disponibles, il est faux.

Exemples

  1. La vie ne vaut pas la peine d’être vécue : il suffit d’observer le taux de suicides, les divorces, la dépression, les maladies, les crimes, les guerres.
    Erreur : Ne prend pas en compte les plaisirs de la vie et surtout l’existence de Dieu qui donne un sens à notre vie malgré ces souffrances et nous promet la vie éternelle dans un monde débarrassé de tout cela.
  2. L’humanité est en marche vers le progrès : il suffit d’ouvrir les yeux pour voir les avancées fulgurantes de la médecine, le changement de la communication et des moyens de transport, les nouvelles technologies, les nouveaux loisirs.
    Erreur : Ne prend pas en compte les souffrances (la liste précédente).

VII. Biaiser la question

Définition

Cette erreur consiste à poser une question biaisée de façon à favoriser une position et être sûr d’obtenir la réponse ou les résultats qu’on veut (par exemple dans les sondages). Plus de détails dans cet article.

Exemples

  1. Vous allez voter pour Macron ou pour un fasciste ?
  2. Êtes-vous un complotiste qui croit aux reptiliens ?
  3. Êtes-vous un mouton qui suit bêtement les médias ?

Illustration en couverture : Éducation d’Alexandre par Aristote, gravure de Charles Laplante, publiée dans le livre de Louis Figuier, Vie des savants illustres – Savants de l’antiquité (tome 1), Paris, 1866, pages 134-135.

  1. Apprendre à raisonner (3) : L’essentiel de la logique en seul un article[]
  2. Un faux argument, un argument incorrect[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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