À des parents non pratiquants — Horace Monod fils
17 juillet 2022

Horace Monod fils (1861-1910) est le fils du pasteur Jean-Frédéric Horace Monod, dit Horace Monod père, et le neveu du célèbre Adolphe Monod. Au cours de sa brève vie (49 ans), il exerça son ministère à Saint-Jean-du-Gard, puis principalement à Lyon, et enfin à Paris. Le pasteur Charles-Édouard Babut, qui a célébré ses funérailles et préfacé le recueil de ses sermons, note au sujet de son caractère :

Horace Monod était de la forte race des hommes du Réveil. Il avait des convictions nettes, arrêtées, franchement orthodoxes. Par ce côté, comme par son genre d’éloquence, il fut, plus qu’aucun autre membre de sa famille peut-être, l’héritier spirituel d’Adolphe Monod. Il pouvait dire, il disait volontiers à ses auditeurs: « Je ne vous dirai pas : je pense, j’espère, je tiens pour probable, mais bien : je sais et je suis sûr. Je suis sûr que vous êtes perdus par vos péchés ; je suis sùr qu’il y a pour vous un salut gratuit et assuré en Jésus-Christ et par son sang rédempteur ! » Une telle foi est assurément une grande force. Mais, chez notre ami, la conséquence et comme l’envers de cette foi, c’était une attitude décidée, tranchante, intransigeante, si l’on veut, dans les questions ecclésiastiques et dogmatiques. Plusieurs lui en ont su mauvais gré ; ils y ont vu peut-être un signe d’orgueil et de sécheresse d’âme. Ces suppositions seraient injustes, ces reproches mal fondés. Non, il n’y avait pas de sécheresse chez Horace Monod. Sa piété était fervente; son amour des âmes intense, on pourrait dire, passionné.

Préface aux Sermons, 1911.

Le caractère parfois abrupt de sa prédication sautera d’ailleurs aux yeux du lecteur dès les premières lignes de l’extrait ci-dessous1, donné à l’occasion d’un culte de réception des catéchumènes (confirmation). Comme souvent en de telles circonstances, le temple est plus fréquenté que d’ordinaire, et Horace Monod commence par s’adresser à ces protestants « sociologiques », peu pratiquants, qu’il interpelle et essaie de réveiller.

Jésus lui dit : « Marie ! » Et elle, s’étant retournée, lui dit : « Rabboni ! » c’est-à-dire : Mon Maître.

Jean 20,16.

… Il y a aujourd’hui dans ce temple des hommes qui ne veulent pas entendre parler de leur âme et de Jésus-Christ plus de deux ou trois fois par an : au jour de Noël, de Pentecôte ou de Pâques. Vous n’étiez pas ici dimanche dernier, mon frère ; vous reviendrez sans doute dimanche prochain ; mais huit jours plus tard, serez-vous présent ?
Cependant, parents des catéchumènes, vous voulez que vos enfants soient chrétiens. Vous nous avez permis, vous nous avez demandé de travailler pendant plusieurs mois, de toutes nos forces, à conquérir leur âme pour Jésus-Christ… et peut-être, à cette heure, vous demandez secrètement à Dieu de bénir pour eux mes paroles, de telle sorte que leurs engagements, bientôt, engagent véritablement à Jésus-Christ leur jeunesse et leur vie… Eh bien ! souffrez que je vous parle d’abord à vous-mêmes, que je vous parle au nom de ces enfants, comme au nom de mon divin Maître et de mon ministère.

La génération contemporaine offre un spectacle étrange et nous fait voir la plus triste des contradictions. Le père de famille — je ne dis pas toujours, grâce à Dieu, mais trop souvent — le père, qui doit se considérer comme le représentant de Dieu au milieu des siens, répudie la plus haute, la plus sainte des prérogatives, et, quand il s’agit de la partie religieuse de sa tâche, il déclare ne pouvoir mieux faire que de s’en remettre au ministre de la religion ! Ah, nous ne vous refusons pas, pour instruire et sauver l’âme de vos enfants, notre collaboration, nos efforts, nos prières ; nous sommes à la fois émus et honorés de votre confiance, et nous n’avons pas d’ambition, nous n’avons pas de prières plus ardentes que celles qui vont à ce but : faire de votre enfant un disciple, un racheté de Jésus-Christ. Dans notre Église, grâce à Dieu, un ministre de la religion est ordinairement lui-même un père ; il connaît donc les tendresses, les espoirs et les anxiétés de l’amour paternel ; il les sent battre et brûler dans son cœur. Et s’il venait à porter le deuil de ses propres enfants, sa consolation terrestre la meilleure serait d’instruire et d’aimer les enfants de ses frères… Mais vous, les pères à qui Dieu a confié avec vos joies ce devoir infini qui s’appelle la paternité d’une âme immortelle, vous les pères, pourquoi avez-vous abdiqué — et nous contraignez-vous à une sorte d’usurpation ? Oui ! vous avez abdiqué quand vous avez renoncé aux pratiques chrétiennes. Y a-t-il encore chez vous un enseignement religieux et un culte domestique ? Chaque soir, à la prière commune, est-ce que votre place n’est pas vide, ou tout au moins votre voix muette ? N’est-ce point votre femme qui préside à ce sanctuaire, comme si devant Dieu elle était veuve et vos fils orphelins ? N’est-ce pas elle encore qui paraît avec ses jeunes enfants dans le temple et qui vient, sans vous et sans leurs frères aînés, à la table du Seigneur, à ce repas divin qui divise ainsi ceux qu’il doit unir ?

Eh bien, sachez-le : nous ne voulons pas entreprendre sur vos droits, et nous ne pouvons pas accomplir votre devoir. Si vous vous débarrassez entièrement sur nous de tout ce qui concerne l’éducation religieuse de vos enfants, vous enlevez à notre parole presque toute efficace et toute autorité. Si vous nous forcez à leur recommander des devoirs religieux qu’ils ne vous voient pas remplir, vous rendez notre tâche presque impossible. Comment voulez-vous qu’ils soient plus dociles envers le pasteur que fidèles à l’exemple du père ? Comment voulez-vous que, pour les rendre pieux, il nous faille lutter d’influence avec vous et leur dire : aimez, honorez votre père… sans pouvoir ajouter : imitez-le !

Ah ! cette lutte est impraticable, et cette responsabilité, nous ne l’acceptons pas. Qu’il n’y ait plus de malentendu entre nous à cet égard ! Nous sommes vos pasteurs ; nous ne voulons pas être des prêtres qui occupent dans l’âme de vos enfants la place qui vous appartient. Ne soyez donc plus protestant et chrétien à demi ; protestant seulement dans une discussion avec des catholiques, chrétien seulement dans la consécration religieuse des grands événements de votre vie. Soyez-le dans vos maisons et pour élever vous-mêmes vos enfants. Ah ! ce n’est pas ici une question de science, c’est une question d’amour et de fidélité. Il nous est impossible de vous remplacer. Notre responsabilité est grande ; la vôtre est sans borne. Nous pouvons quelque chose : vous pouvez presque tout, et nous ne pouvons — presque rien sans vous.

Ne soyez donc plus protestant et chrétien à demi ; protestant seulement dans une discussion avec des catholiques, chrétien seulement dans la consécration religieuse des grands événements de votre vie.

Voyez : la priorité nous manque; votre œuvre devancera nôtre, et vos enfants, quand vous nous les amenez, sont déjà pleins de vos idées, de vos sentiments, de vos habitudes. Le temps nous manque : nous n’avons guère, pour les instruire pendant quelques mois, qu’une heure ou deux par semaine, tandis que, pour agir sur eux, les jours et les heures sont à votre disposition, avec la liberté de choisir les plus favorables. L’autorité nous manque : avons-nous rien de comparable à cet ascendant que vous donne la nature et que vos enfants subissent comme par instinct ? Ne les voyez-vous pas vous épier sans cesse, pour parler, agir et croire comme vous ? S’il y a un moment opposition, lutte dans leur âme entre votre influence et la nôtre, entre nos leçons et vos exemples, est-il naturel, est-il possible que nos enseignements aient le dessus ? Oh ! considérez donc tous les avantages que vous avez sur nous. Vous êtes les premiers pasteurs de vos familles ; vous avez charge d’âmes ; vous en rendrez compte. Vous voulez que vos enfants deviennent des disciples et des rachetés de Jésus-Christ, il faut pour cela le devenir vous-mêmes !

Pour que les enfants soient chrétiens, il faut que la famille soit chrétienne, il faut que les parents soient chrétiens ; il faut que le père donne à ses fils, non seulement l’exemple de l’assistance au culte et du respect des choses saintes, mais encore l’exemple de la piété intime, l’exemple de la prière. Vous voulez que vos enfants se convertissent : il faut alors travailler à leur conversion. Ne dites pas : c’est l’œuvre de Dieu ! — Oui ! c’est l’œuvre de Dieu, mais c’est aussi la vôtre, car Dieu veut que vous soyez ouvriers avec lui. À Dieu l’exaucement, mais à vous la prière. À Dieu la victoire, mais à vous le combat. À Dieu de toucher cette âme et de la changer, mais à vous de l’avertir, de l’exhorter, de la supplier… Écoutez donc, puisque, par vos enfants, vous êtes ramenés dans son Eglise, écoutez tous l’appel de Jésus-Christ.

Jésus-Christ a des droits sur votre âme. Il l’appelle comme quelqu’un qui la connaît et qui veut être connu d’elle. Il l’appelle : Marie ! pour qu’elle réponde : Rabboni, c’est-à-dire mon Maître, en tombant à ses pieds. Il la relèvera pardonnée, sauvée, consolée.


Horace Monod se tourne maintenant vers les confirmands.

Mes chers catéchumènes, mes amis, et s’il m’est permis de vous donner encore une fois ce nom qui, dans nos entretiens, venait parfois naturellement de mon cœur à mes lèvres, mes enfants, je reviens à vous. Ai-je besoin de vous dire que je n’ai pas cessé de penser à vous et que c’est pour vous que j’ai choisi mon texte ? Je reviens à vous et je supplie Dieu de m’aider à vous dire, dans les instants qui nous restent, des choses assez claires pour que les moins bien instruits, pour que les moins bien préparés d’entre vous les comprennent.

Avez-vous entendu l’appel du divin Maître ? Avez-vous compris cet appel ? Enfin, y avez-vous répondu ? Avez-vous entendu une voix pénétrante, aimante et solennelle, voix qu’on entend sans voir personne, prononcer votre nom tout bas, avec un accent qui donnait à ce nom un sens infini ? Ce sens si profond et pourtant si clair, l’avez-vous saisi ? Avez-vous compris qu’il varie avec vos divers états et que, suivant que vous pleurez ou que vous l’oubliez ou que vous l’offensez par vos péchés ou par vos doutes, le Maître vous appelle à la consolation, à l’adoration ou au repentir et vous rappelle d’un seul mot tout votre passé, toute votre histoire, et toute son histoire éternelle à lui.

Quoi qu’il en soit, c’est à vous surtout que Jésus veut parler à cette heure… Quel que soit votre nom, en cet instant le Sauveur vous appelle tous, chacun par son nom. Écoutez bien, vous l’entendrez. Il ne parle pas assez haut pour qu’aucun de vous puisse l’entendre prononcer le nom de ses plus proches compagnons, mais sa voix est assez distincte pour que chacun d’entre vous, s’il écoute intérieurement dans le silence de son âme, s’entende appeler par lui, et pour que chacun de vos noms devienne dans sa bouche aussi doux que celui de Marie. Il aimait le nom de Marie, c’était celui de sa mère, celui de la sœur de sa mère, celui de la sœur de Lazare, celui de Marie-Magdeleine. Mais il y a une chose qu’il aime encore bien plus que le nom de Marie, c’est un cœur de Marie, c’est-à-dire un cœur qui tressaille aux divins appels de sa voix et lui réponde : Rabboni, c’est-à-dire : Mon Maître ! en mettant dans cette réponse la reconnaissance, la repentance, la joie, l’amour qu’y mettait le cœur ardent de Marie-Magdeleine.

Cet appel de Jésus, ce murmure de sa voix au fond de votre cœur, ô mes chers enfants, ne l’avez-vous pas déjà entendu d’autres fois qu’aujourd’hui ? Toutes nos leçons, quel qu’en fût l’objet, n’avaient pas d’autre but. Recueillez vos souvenirs… Lorsque le tentateur s’est approché de vous et que vous vous êtes laissés vaincre, lorsque, hélas ! vous avez fait le mal, lorsque vous avez éprouvé des sentiments que Dieu condamne, mouvements d’égoïsme, d’impatience ou d’orgueil, lorsque vous avez prononcé des paroles contraires à la charité, peut-être même à la vérité, lorsque la médisance a été sur vos lèvres, l’amertume dans votre cœur, n’avez-vous pas entendu une voix triste, lente, presque silencieuse, prononcer votre nom pour vous avertir et vous arrêter? Et quand vous avez eu des peines, quand vous avez versé des larmes, oh ! n’avez-vous pas entendu une voix douce et tendre, une voix plus aimante que toutes les voix humaines, murmurer votre nom avec cet amour du Sauveur ressuscité appelant Marie-Magdeleine éperdue ? Et quand vous avez eu des joies, des sujets d’actions de grâces et que vous avez négligé peut-être de remercier Dieu, de l’associer vous-même aux biens venus de lui, n’avez-vous pas entendu une voix qui vous conviait à la reconnaissance et l’adoration, comme la même voix y conviait Marie ?

Si vous ne l’avez jamais entendue encore, je vous dirai : il faut l’entendre ! Il dépend de vous de l’entendre, et vous n’êtes pas ce matin ici pour autre chose. Il suffit, pour l’entendre, d’écouter dans son cœur sincèrement, attentivement, et il est nécessaire pour être sauvé d’avoir entendu cette voix. Mais vous l’avez entendue, n’est-ce pas ? Vous l’avez entendue et vous voulez l’entendre encore et l’entendre toujours !

Si vous le voulez, vous l’entendrez à toute heure ; le matin, quand vos regards s’ouvrent à la lumière d’un nouveau jour que Dieu ajoute à votre vie et qui amènera de nouveaux devoirs et peut-être de nouveaux combats, vous écouterez cette voix fortifiante qui vous conviera à la vigilance et vous dira : « Lutte bien. » Et le soir, au moment de vous reposer de la lutte du jour et de reprendre des forces pour celle du lendemain, cette voix de Jésus, qui calme le cœur, sera la dernière qui frappera votre oreille, et son nom, le dernier que prononcera votre bouche. Si vous le voulez, vous l’entendrez en tout lieu. Dans la solitude, loin des autres voix, quand n’ayant personne avec vous, vous pourriez être saisis de tristesse ou de crainte, cette voix rassurante vous dira : « Ne crains point, tu n’es pas seul, car je suis et je reste avec toi !… » Et dans la foule, au milieu du bruit, au milieu de toutes les voix qui s’uniront pour vous distraire, vous sentirez que cette voix qui domina la tempête, domine et couvre à votre oreille et dans votre âme tous les bruits de la terre, plus douce que toutes ses harmonies, plus forte que toutes ses clameurs.

Puis, un jour, quand viendra votre heure, l’heure de quitter ce monde, quand vous serez couché sur votre lit de mort, votre oreille glacée, déjà sourde peut-être à toute voix humaine, entendra la voix de Jésus-Christ qui aura été votre guide d’heure en heure jusqu’à cette heure-là, vous dire : « Endors-toi sans frayeur et remets-toi entre mes mains. Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort. » Et quand toutes les âmes comparaîtront devant Jésus, quand iI fera le grand appel, au moment du dernier partage, vous l’entendrez encore prononcer votre nom pour votre éternel bonheur. Parce que vous aurez répondu à son appel sur la terre, parce que vous lui aurez dit : Mon Maître !, à l’heure où iI disait : Marie !, parce que vous aurez confessé son nom sacré devant les hommes, il vous confessera aussi, il vous appellera devant son Père qui est dans les cieux.

Amen.

Horace Monod fils

Illustration de couverture, Rembrandt, Apparition à Marie de Magdala, huile sur toile, 1651 (Brunswick, musée Herzog Anton Ulrich).

  1. Horace Monod n’a permis qu’on conservât que sept de ses sermons complets seulement ; celui ci-dessous est présenté par sa veuve comme un extrait, mais il semble en fait assez complet.[]

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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