Récemment, j’ai parcouru l’ouvrage De religione christiana fides de Girolamo Zanchi sur lequel nous reviendrons dans d’autres articles. Une des choses qui m’a frappé dans cette présentation systématique de la foi chrétienne est la place prépondérante du thème de l’union avec Christ, de la communion au Christ, de la participation à la nature divine et à la vie de la Trinité dans sa formulation de la doctrine. Ce thème n’intervient pas ponctuellement dans un chapitre en particulier qui en traiterait mais est bien plutôt la pièce maîtresse, le thème unificateur de toute la doctrine chrétienne : Église, sacrements, sotériologie, incarnation, etc. Et je dois dire que j’ai trouvé cela plutôt convaincant. Après la doctrine de Dieu, il me semble que la doctrine de l’union avec Dieu est un bon candidat pour être celle qui organise les autres doctrines entre elles. En outre, même la doctrine de Dieu ne nous est livrée que pour nous pousser à la communion avec Dieu. Je vous livre dans cet article une méditation librement inspirée de cette lecture dans l’espoir de vous donner envie de lire le livre dans son entièreté.
En raison de l’unité parfaite dans la Trinité, aucun bienfait qui nous vient du Père ne nous vient si ce n’est dans le Fils et par l’Esprit. Et en raison de l’union hypostatique de Dieu et de l’homme en Christ, aucun bienfait ne nous vient de la divinité du Fils si ce n’est par son humanité. Ainsi, manger son corps et son sang, c’est-à-dire participer et communier à son humanité, c’est réellement avoir la vie éternelle1.
Tous les actes du Christ sont théandriques, c’est-à-dire étant selon la divinité et l’humanité de manière conjointe. Ainsi, ressusciter un mort c’est divin, mais crier « Lazare sort » c’est humain. Guérir un aveugle c’est divin mais appliquer de la boue sur ses yeux c’est humain. Pardonner les péchés, c’est divin ; mais dire « tes péchés te sont pardonnés », c’est humain. En toutes choses, les deux natures opèrent toujours ensemble dans la personne de l’Homme-Dieu2.
Lorsque nous concevons toutes les grâces de notre salut dont nous parlent les Écritures, nous ne devons pas les concevoir comme des grâces séparées, tombant du ciel. Toutes ces grâces sont en Christ et ne se trouvent qu’en lui. Or, nous ne pouvons atteindre le Christ, le saisir et bénéficier de ses bienfaits que parce qu’il s’est rendu atteignable en devenant homme. Ce n’est que parce qu’il s’est uni à notre nature et s’est incarné que nous pouvons communier à lui. Et c’est pour cela que tous les bienfaits de sa divinité nous atteignent par son humanité : sa divinité ne nous est pas accessible par elle-même. Ainsi, l’incarnation est véritablement la pierre fondatrice de notre salut, non seulement parce qu’elle rend possible la croix et la satisfaction de la justice pour notre péché mais aussi parce que, par elle, Dieu se rend saisissable3.
Ainsi, notre salut peut être décrit en termes d’union avec Christ, de participation à son humanité et, par là, à la nature divine. La justification par la foi seule est une des grâces qui découlent de notre union avec Christ, parce que la foi se trouve être le moyen de saisir le Christ ; mais elle n’est pas une fin en soi. Nous sommes justifiés et nous devons l’être parce que nos péchés se dressaient entre nous et Dieu et empêchaient l’union qu’il a en vue pour ses élus. La première union du Christ à nous, c’est lorsqu’il s’est uni à notre nature afin d’être notre frère, notre chef et notre substitut. La deuxième union du Christ avec nous, c’est lorsqu’ensuite il nous unit à sa nature par son Esprit en nous faisant don de sa vie et de sa justice d’une double manière : sa justice nous est imputée pour notre acceptation parfaite devant Dieu et sa justice nous est infusée pour notre croissance dans la sainteté. Initialement par la régénération, progressivement dans la sanctification. La troisième union du Christ à nous est encore à venir et sera telle que l’on pourra dire que Dieu est tout en tous et que nous serons tels qu’il l’est parce que nous le verrons4.
L’Esprit saint, grand unificateur, est le lien d’amour entre le Père et le Fils. Ceux qui s’aiment, dans le Cantique des cantiques, s’offrent une colombe. De même le Père offre l’Esprit comme une colombe au Fils lorsqu’il lui déclare « tu es mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toute mon affection5». Ainsi, la tradition chrétienne a nommé l’Esprit le don et l’amour entre le Père et le Fils. L’Esprit est aussi le souffle créateur de Dieu qui a uni l’âme humaine au corps humain lors de sa création. Cette union, moins intime toutefois que celle du Père et du Fils, est si intime que tous les actes du corps sont aussi des actes de l’âme, sans que l’inverse ne soit nécessairement vrai. L’Esprit est encore celui qui reposait sur le sein de Marie lorsqu’eut lieu l’union, très intime elle aussi, entre Dieu et l’homme en une personne, celle du Fils. Si donc l’Esprit est celui qui opère de telles unions, aussi intimes que le Père et le Fils sont un seul Dieu, que le corps et l’âme sont un seul homme et que Dieu et l’homme sont un seul Christ, combien doit être intime l’union que nous avons avec Jésus-Christ et à laquelle il nous destine puisqu’il nous dit qu’elle a lieu par son Esprit6! L’Église est l’épouse du Christ parce qu’elle est le temple de l’Esprit. L’unité des chrétiens entre eux provient directement de l’union de chacun avec le Christ. Ils sont un seul corps dans la mesure où ils participent de la même tête, le Christ.
Pour nous donner d’en sentir toute l’intimité, Dieu nous dit que le mariage en est la représentation mystérieuse. Et il n’existe sans aucun doute pas d’union plus intime entre deux êtres humains que le mariage. Et même, il faut croire que l’union de l’Église au Christ est plus intime que cela puisque le mariage a été institué pour lui servir d’image. Or, l’image est sans contredit moins vivante et forte de réalité que ce qu’elle représente. Paul nous dit que dans le mariage nous sommes une seule chair et que dans la foi nous sommes un seul esprit avec Jésus-Christ. La divine puissance de l’Esprit n’est pas diminuée par la distance ou le temps et ainsi, bien que le Christ soit à la droite du Père et nous sur terre, cela n’empêche pas sa vie de couler véritablement en nous comme les membres sont unis à la tête et comme les ceps au sarment, dans une union mystique7.
La prédication de la Parole et les sacrements, en tant qu’ils sont les lieux où œuvre l’Esprit, n’ont pour d’autre but que de nous amener à et de faire accroître cette communion que nous avons avec Jésus-Christ8. Le Christ s’offre réellement à la foi pour être saisi dans la prédication. De même il s’offre réellement dans le baptême pour que nous soyons incorporés en lui et dans la Cène pour que nous soyons nourris de lui9. Il offre son corps et son sang dans celle-ci, mais en raison de l’union hypostatique, par son humanité ainsi offerte c’est tout le Christ, homme et Dieu, que nous recevons. Puisque la puissance de l’Esprit n’est pas diminuée par le temps, l’efficacité du baptême ne dépend pas du moment où il est administré mais couvre toute la vie du croyant de telle sorte qu’il peut dire chaque jour, comme Martin Luther, « je suis baptisé »10. Puisque la puissance de l’Esprit n’est pas limitée par l’espace, Christ peut nous être communiqué dans son humanité et sa divinité bien que son corps humain demeure à la droite du Père dans le ciel jusqu’à son retour glorieux11. D’ailleurs, une chose nous est présente non pas dans la mesure où elle nous est localement proche, mais dans la mesure où nous participons à celle-ci. Ainsi, le soleil nous est présent lorsque nous jouissons de sa lumière et de sa chaleur tandis qu’il nous est absent lorsqu’il éclaire l’autre hémisphère sans que la distance entre lui et nous ait quelque chose à voir avec cela12. De même, par l’Esprit, les rayons du soleil de justice nous atteignent dans la Cène en particulier lorsque nous communions au pain et au vin de telle sorte que Paul peut dire que le pain est communion au corps du Christ et le vin communion à son sang13.
Tout comme le soleil assèche la terre mais fait fondre la cire14, de même la Cène dans lequel le Christ s’offre objectivement et réellement aura des effets variés selon le sujet qui la reçoit. L’incrédule la prend pour son jugement, le fidèle pour sa sanctification. Ainsi, le pain et vin ne nous représentent pas simplement le corps et le sang par des images vivantes, mais nous présentent aussi réellement la substance du corps et du sang du Christ, par l’Esprit, de manière indicible et mystérieuse15. Et par la toute aussi indicible et glorieuse union hypostatique, lorsque nous recevons par la foi ce corps et ce sang nous recevons le Christ tout entier, corps et âme, homme et Dieu pour que sa vie coule en nous.
Ainsi, dans l’Évangile, dans la Cène comme dans le baptême, cette vérité de notre incorporation au Christ nous est proclamée comme le cœur de notre salut, le mariage en est l’image terrestre et tout le mystère du salut y tend de telle sorte que bien des théologiens y ont vu l’essentiel du christianisme16.
Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui. Comme le Père qui est vivant m’a envoyé, et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi. C’est ici le pain qui est descendu du ciel. Il n’en est pas comme de vos pères qui ont mangé la manne et qui sont morts : celui qui mange ce pain vivra éternellement.
Jean 6,54-58
- Girolamo Zanchi, De religione christiana fides XI, 11.[↩]
- Op. cit., XI, 9.[↩]
- Op. cit., XII, 4.[↩]
- Op. cit., XII, 6-7.[↩]
- C’est Alastair Roberts qui m’a fait remarquer ceci dans ses méditations audios sur Matthieu que l’on trouve sur YouTube.[↩]
- Op. cit., XII, 18.[↩]
- Op. cit., XII, 10.[↩]
- Op. cit., XII, 12 ; XVI, 3.[↩]
- Op. cit., XIV, 9.[↩]
- Op. cit., XV, 7.[↩]
- Op. cit., XVI, 14.[↩]
- Op. cit., XVI, 15.[↩]
- Op. cit., XVI, 1-2.[↩]
- Origène, De Principiis III, I, 11.[↩]
- Jean Calvin, Petit traité sur la Cène, Trois-Rivières : Impact Héritage, 2019.[↩]
- David Vincent Meconi, SJ, The One Christ : Saint Augustine’s Theology of Deification, Washington : CUA Press, 2013.[↩]
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