Apprendre à raisonner (36) : Les quatre types de propositions catégoriques
25 août 2022

Cet article est le trente-sixième d’une série consacrée à la logique classique (ou aristotélicienne, c’est-à-dire développée par Aristote). Dans le trente-cinquième, j’ai expliqué ce qu’est la vérité. Dans cet article, je présenterai les quatre types de propositions catégoriques. Comme d’habitude, je reprendrai énormément le contenu du livre Socratic Logic de Peter Kreeft des pages 145 à 147.


Matière et forme d’une proposition

Revenons aux propositions. Chaque proposition est composée de matière (ses « ingrédients », composants) et de forme (ses caractéristiques). Plus précisément :

  1. La matière d’une proposition, ce sont ses deux termes : le sujet et le prédicat. Ces deux composantes peuvent varier infiniment étant donné qu’une proposition peut dire n’importe quoi (un prédicat) de n’importe quoi (un sujet).
  2. La forme d’une proposition, ce sont deux caractéristiques (la quantité et la qualité) qui décrivent comment ses deux termes (sujet et prédicat) sont reliés entre eux : la quantité indique le nombre de choses dont on parle dans le sujet (la quantité est soit universelle, quand on parle de tout ou particulière, quand on seulement parle de certaines choses) alors que la qualité précise si la proposition est affirmative (affirme quelque chose) ou négative (nie quelque chose).

Propositions universelles, particulières, singulières et indéfinies (quantité d’une proposition)

Les énonciations1 peuvent être universelles, particulières, singulières et indéfinies.

Une énonciation est universelle lorsque le prédicat est affirmé ou nié universellement d’un sujet universel : Tout enfant imite… Personne ne peut réaliser la charité sans la vérité.

Une énonciation est particulière quand le prédicat est affirmé ou lié non universellement d’un sujet universel : Quelque enfant imite, Certains enfants imitent, Il y a des enfants qui imitent, Tout arrêt de traitement médical n’est pas une euthanasie qui équivaut à certains arrêts du traitement ne sont pas des euthanasies

Une énonciation est singulière enfin lorsque le prédicat n’est affirmé que d’un seul individu : cet homme marche, un homme marche, Paul marche.

Une énonciation est indéfinie quand le prédicat est affirmé ou nié d’un sujet universel mais sans mention d’universalité ou de particularité : L’enfant imite. L’indéfinie est litigieuse car elle peut tenir lieu d’universelle : La baleine n’est pas un poisson, Le blanc n’est pas le genre de la neige, “Le rire est un chant de triomphe exprimant une supériorité, momentanée mais brusquement découverte, du rieur sur le moqué”2 ; de particulière : Un politicien est rarement un enfant de chœur ; ou encore de singulière dans un contexte donné, par exemple : La ville a pour devise : “Flunctuat nec mergitur”, ou L’homme évolue, qui peut se prendre comme singulière ou comme universelle.

Bruno Couillaud, Raisonner en vérité, Paris / Perpignan : Desclée de Brouwer, 2014, [1re éd. 2003] p. 221.

PROPOSITIONS AFFIRMATIVES ET NÉGATIVES (quAlité d’une proposition)

L’affirmation est l’énonciation, une, d’une chose dite d’une autre chose et par quoi on signifie l’esse. La négation est l’énonciation d’une chose séparée d’une autre chose et qui signifie le non esse. L’une et l’autre sont des espèces de l’énonciation, considérée comme l’expression d’une composition ou d’une division de l’intellect, mais elles sont en même temps les parties d’une même énonciation ou les parties d’un problème.

Op. cit., p. 219.

Quatre types de propositions catégoriques

Comme une proposition du point de vue de sa quantité est soit universelle, soit particulière et de celui de sa qualité soit affirmative ou négative, on obtient en tout quatre types possibles de propositions :

  • A : Les propositions universelles affirmatives (« Tous les S sont P. », par exemple « Tous les hommes sont mortels. »)
  • E : Les propositions universelles négatives (« Tous les S ne sont pas P. »3, par exemple « Aucun homme n’est mortel. »)
  • I : Les propositions particulières affirmatives (« Quelques S sont P. », par exemple « Quelques hommes sont mortels. »)
  • O : Les propositions particulières négatives (« Quelques S ne sont pas P. », par exemple « Quelques hommes ne sont pas mortels. »)

Vous remarquerez que j’ai associé une lettre à chaque catégorie de propositions. Ces lettres (A, E, I et O) viennent d’une notation habituelle en latin au Moyen Âge. A et I sont les deux premières voyelles du mot latin affirmo qui veut dire « J’affirme. ». E et O sont les deux premières de nego qui signifie « Je nie. ». Voici un tableau qui résume tout cela :

Les quatre types propositions catégoriques (Source : Cours Logique et Syllogisme de l’Ecole de philosophie)

Et les propositions singulières ?

On a parlé plus tôt des propositions universelles et particulières. Les universelles donnent une information sur tous les individus d’une classe : par exemple tous les chiens. Les particulières seulement sur certains individus : par exemple plusieurs chiens (prenons-en deux et appelons-les Coco et Bertrand). Quant aux propositions singulières, elles se prononcent sur un seul et unique individu à la fois : par exemple sur un chien (appelons-le Coco).

Comme il en est de même pour les propositions universelles et particulières, les propositions singulières peuvent être soit affirmatives, soit négatives. Si on les inclut, cela fait en tout six catégories de propositions au lieu de quatre. Pourquoi donc ne pas les avoir incluses ?

Parce qu’il est possible de considérer les propositions universelles comme la généralisation des propositions singulières. Ce qui est normal comme une proposition universelle à propos d’un groupe (par exemple les chiens) nous informe sur tous les individus de ce groupe (par exemple, Coco, Bill, chaque chien de 101 Dalmatiens, etc.). Par exemple, dire que tous les chiens aboient revient à dire la même chose que le chien x aboiex est n’importe quel chien.

Pourquoi se limiter à uniquement quatre types de propositions ?

On vient d’exclure les propositions singulières de notre classification des propositions. Mais pourquoi ne pas en inclure d’autres ? Par exemple, pourquoi ne pas prendre en compte des notions comme la probabilité / certitude et la quantité (beaucoup / peu) ? Ce qui donnerait en plus :

  1. D’un côté les propositions certaines (par exemple : Le soleil va certainement se lever demain.) et les propositions probables (par exemple : Il va probablement pleuvoir demain.)
  2. D’un autre les propositions majoritaires (par exemple : Beaucoup de chiens aboient tout le temps.) et les propositions minoritaires (par exemple : Peu de chiens sont calmes).

Pour avoir la réponse à cette question, rappelons-nous l’objectif de la logique. Notre but dans la logique, c’est de pouvoir vérifier facilement que nos raisonnements sont corrects. Pour cela, nous aurons besoin de règles. Afin que ces règles soient les plus simples possibles, il faut qu’il y ait le moins possible de catégories de propositions. Donc il est tout à fait approprié de se limiter à quatre types de propositions (celles que nous avons appelées A, E, I, O), le plus petit nombre possible.

Mais il est tout à fait intéressant de s’intéresser à des logiques plus complexes qui prennent en compte d’autres aspects des propositions. Par exemple la logique modale qui prend en compte l’aspect certitude/probabilité. C’est effectivement une lacune de la logique classique ou aristotélicienne. Mais elle reste quand même bien adaptée pour la plupart de nos raisonnements de tous les jours.


Illustration : Éducation d’Alexandre par Aristote, gravure de Charles Laplante, publiée dans le livre de Louis Figuier, Vie des savants illustres – Savants de l’antiquité (tome 1), Paris, 1866, pages 134-135.

  1. Énonciation est synonyme de proposition.[]
  2. Marcel Pagnol, Notes sur le rire. Cité Bruno Couillaud (loc. cit.).[]
  3. Comme on le verra dans l’article suivant, on choisira plutôt la formulation “Aucun [S] n’est [P]” pour éviter une ambigüité.[]

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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