C’en est presque un proverbe parmi les évangéliques: « l’Église n’est pas un bâtiment, mais le peuple vivant de Dieu ». De là, certains vont plus loin pour dire que nous devrions mépriser les bâtiments, et faire des Églises sans bâtiments tout comme on fait des entreprises sans usine1. Laissons tomber les bâtiments, ils nous encombrent, disent-ils. Soyons un peuple gazeux, sans ancrage physique, libre de servir à tout bout de champ, disent-ils.
Par une étrange providence, je lisais il y a quelques jours À l’empereur Constance d’Athanase (IVe siècle), qui donne une réponse que j’ai trouvé intéressante.
Les ariens avaient accusé Athanase de diverses choses pour le faire tomber, et Athanase s’en défend dans ce traité. Entre autres accusations, on reprochait à Athanase d’avoir célébré un culte dans une église qui n’était pas encore consacrée. Athanase répond alors qu’il y avait trop de monde pour qu’on se rassemblât dans d’autres bâtiments, et qu’il valait mieux faire un culte dans un bâtiment non consacré qu’à l’air libre.
Il dit que le bâtiment n’était pas achevé, et que l’on n’aurait pas dû y prier. Mais le Seigneur a dit : « Mais toi, quand tu pries, entre dans ton lieu secret, et ferme la porte. » Que répondra donc l’accusateur ? ou plutôt que diront tous les chrétiens prudents et véritables ? […] Quand les Églises étaient trop petites, et le peuple si nombreux, et désireux de s’en aller dans les déserts, qu’aurais-je dû faire ? Le désert n’a pas de portes, et tous ceux qui le veulent peuvent y passer, mais la maison du Seigneur est close de murs et de portes, et marque la différence entre les pieux et les profanes. Toute personne sage ne donnera-t-elle donc pas, ainsi que votre piété, Sire, la préférence à ce dernier lieu ? Car ils savent qu’ici la prière est légalement offerte, tandis qu’un soupçon d’irrégularité s’attache à elle là-bas. À moins qu’il n’existe aucun lieu propre à la prière, et que les adorateurs n’habitent que dans le désert, comme c’était le cas d’Israël ; mais après la construction du tabernacle, ils avaient aussi désormais un lieu réservé à la prière.
Athanase, À l’empereur Constance, §13.
En somme, contre l’idée que l’on devait se passer de bâtiments, Athanase propose trois arguments:
- Matthieu 6,6 Mais toi, quand tu pries, entre dans la pièce la plus retirée, ferme la porte et prie ton Père qui est dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
- Dans le culte chrétien, il faut marquer une différence entre chrétiens et non-chrétiens, pour respecter la sainteté de cet acte. C’est à cette considération que se rattache la remarque sur le soupçon d’irrégularité.
- L’exemple d’Israël, qui même dans le désert a vite construit le tabernacle et réservé son culte à cet endroit.
Chacun de ces arguments garde sa pertinence pour aujourd’hui.
En ce qui concerne Matthieu 6,6, on pourrait contester en disant que ce verset ne parle que de la prière personnelle et privée. Il n’y a pourtant pas de raison de restreindre l’application de ce verset à cette situation seulement. Dans Matthieu 6, Jésus met en garde contre la religiosité érigée en spectacle, qui profite de la voie publique pour rehausser le prestige de ceux qui s’y adonnent. Dans des circonstances où le culte public à l’air libre est souvent vécu comme quelque chose d’offensant, un bâtiment délimite un espace légalement protégé où cette activité ne peut pas être contestée, et où l’on se rassemble non pour donner un spectacle au monde extérieur, mais bien pour être centré sur Dieu. L’argument d’Athanase est donc toujours pertinent, même s’il y a plus à en dire que je ne peux le dire ici.
En ce qui concerne la nécessité d’un lieu clos comme lieu saint : certes, ce sont les chrétiens qui sont saints, et non les pierres. Mais les pierres participent malgré tout à la sainteté des chrétiens et voici comment. C’est que le culte est une institution de Dieu, cela est défendu aussi bien par les huguenots du XVIIIe siècle que les contemporains. Il est la sainte assemblée du peuple saint devant le Dieu saint. Or, la principale marque de la sainteté dans la Bible, c’est la mise à part. Le principe d’un bâtiment d’église, c’est que l’on met à part un certain lieu pour l’usage des choses divines. Cela ne donne pas au béton et aux poutrelles d’acier des pouvoirs magiques, mais il y a un principe biblique de sainteté/mise à part qui doit être respecté lorsque l’on parle du culte.
En ce qui concerne l’exemple du Tabernacle : il est en effet remarquable que le soin de Dieu dans le désert n’ait pas été qu’Israël ait le culte le plus spontané possible, mais au contraire, il a rigidifié et organisé tout une liturgie et une organisation centrée autour d’un lieu saint. Serions-nous donc plus sages que Dieu en disant que nous n’avons pas besoin de bâtiment, mais qu’il suffit de louer Dieu là où l’esprit nous porte ? Que l’Esprit nous garde d’une telle présomption.
Découvrir les PèresIllustration : Johannes Bosboom, La chaire de l’Église à Hoorn, 1860-1891.
- Référence aux entreprises fabless lancées par Serge Tchuruk, PDG d’Alcatel. Le temps a montré combien cette idée était funeste.[↩]
En effet, les arguments d’Athanase n’ont rien perdu de leur pertinence et devraient suffire à démontrer l’importance des bâtiments de l’Église. Cependant, une dame protestante me dit un jour que si son église ne devait plus avoir de temple, elle se joindrait à l’église catholique. Je lui rappelai qu’il y avait une église baptiste dans la ville qui disposait d’une salle tout à fait convenable où elle serait certainement bien accueillie et que les divergences doctrinales qu’elle y rencontrerait seraient bien moins contraignantes que celles que l’église catholique lui imposerait.
– C’est vrai, me dit-elle, mais cette église évangélique n’a pas de temple !
Il y a plus de personnes qu’on ne le croit qui sont, à l’image de cette dame, en manque de repères si elles n’aperçoivent pas une colonne, un coin de vitrail ou une autre caractéristique soi-disant « religieuse » dès qu’elles pénètrent dans un lieu de culte, et cela les amène malheureusement à considérer souvent que sans ces éléments un culte n’est pas tout à fait un « vrai » culte.
La nécessité d’avoir des bâtiments d’église qui marquent aussi par eux-mêmes la différence avec les bâtiments profanes, pour impérative qu’elle soit chez certaines personnes, présente le risque de faire accroire au monde que ce sont les pierres qui « font » les fidèles et que c’est en elles que réside l’importance des lieux de culte pour l’église. Pourtant, rien n’est plus faux ! Jadis, nos pères dans la foi n’avaient souvent disposé que de lieux de culte improvisés comme à Wassy, par exemple, où ils avaient dû se suffire d’une pauvre grange, d’ailleurs de bien douloureuse mémoire.
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Je profite de l’occasion de l’envoi de ce petit commentaire pour souhaiter aux rédacteurs des articles du site une très heureuse année 2023 en Jésus-Christ.