Un saint Noël !
24 décembre 2022

Cinq jours avant sa mort, et deux jours après Noël, le théologien réformé Gresham Machen, célèbre pour son opposition au libéralisme, écrivait ce qui suit.

Au début de notre examen, il y a un fait qui nous saute aux yeux. Il a parfois été étrangement négligé. Il s’agit du fait que la Bible met énormément l’accent sur la mort du Christ.

Vous êtes-vous jamais arrêté pour considérer combien cette insistance est étrange ? Dans le cas d’autres grands hommes, c’est la naissance qui est célébrée et non la mort. L’anniversaire de Washington est célébré par le peuple américain en signe de reconnaissance le vingt-deuxième jour de février, mais qui se souvient du jour de l’année où Washington est mort ? Qui a jamais pensé à faire du jour de sa mort une fête nationale ?

Eh bien, il y a des hommes dont la mort pourrait effectivement être célébrée par une fête nationale, mais ce ne sont pas des hommes de bien comme George Washington ; ce sont, au contraire, des hommes dont la disparition a été une bénédiction pour leur peuple. Ce serait un bien faible compliment pour le père d’un pays si l’on célébrait par des réjouissances nationales le jour où il lui a été enlevé. Au lieu de cela, nous commémorons sa naissance. Pourtant, dans le cas de Jésus, c’est la mort et non la naissance que nous commémorons principalement dans l’Église chrétienne.

Je ne veux pas dire qu’il est mauvais pour nous de commémorer la naissance de Jésus. Nous venons de célébrer Noël, et il est juste que nous le fassions. Heureux, en cette période de Noël que nous venons de traverser, ceux pour qui ce n’était pas seulement un temps de festivités mondaines, mais un temps de commémoration de la venue de notre Sauveur béni dans ce monde. Heureux ont été ces hommes, ces femmes et ces petits enfants qui ont entendu, sous toutes leurs joies de Noël, et avec une foi simple et enfantine, la douce histoire qui nous est racontée dans Matthieu et Luc. Heureux ces célébrants de Noël à qui les anges ont apporté à nouveau, dans la lecture de la parole de Dieu, leur bonne nouvelle de grande joie.

Oui, je le dis, merci à Dieu pour le temps de Noël ; merci à Dieu pour l’adoucissement qu’il apporte aux cœurs de pierre ; merci à Dieu pour la reconnaissance qu’il apporte aux petits enfants que Jésus a pris dans ses bras ; merci à Dieu même pour l’étrange et douce tristesse qu’il nous apporte en même temps que ses joies, lorsque nous pensons aux êtres chers qui sont partis. Oui, il est bon que nous célébrions la période de Noël ; et que Dieu nous donne toujours un cœur d’enfant pour que nous puissions la célébrer correctement.

Mais après tout, mes amis, ce n’est pas Noël qui est le plus grand anniversaire de l’Église chrétienne. Ce n’est pas la naissance de Jésus que l’Église célèbre principalement, mais sa mort.

Saviez-vous que de longs siècles s’étaient écoulés dans l’histoire de l’Église avant que l’on ne trouvât trace de la célébration de Noël ? Jésus est né à l’époque du roi Hérode, c’est-à-dire quelque temps avant l’an 4 avant J.-C., date de la mort d’Hérode. Ce n’est que des siècles plus tard que nous trouvons des preuves que l’Église a célébré un anniversaire considéré comme l’anniversaire de sa naissance.

Si c’est le cas pour la commémoration de la naissance de Jésus, qu’en est-il de la commémoration de sa mort ? La commémoration de cette dernière a-t-elle également été reportée aussi longtemps ? Eh bien, écoutez ce que dit l’apôtre Paul à ce sujet. Car chaque fois que vous mangez ce pain, dit-il, et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. Ce texte a été écrit environ vingt-cinq ans seulement après la mort du Christ et après la fondation de l’Église à Jérusalem. Même à cette époque, la mort du Christ était commémorée par l’Église dans le service le plus solennel auquel elle participait, à savoir la célébration de la Cène.

En effet, cette commémoration de la mort du Christ a été prévue par Jésus lui-même. Cette coupe est le Nouveau Testament en mon sang », dit Jésus, « faites ceci, chaque fois que vous en boirez, en mémoire de moi ». Par ces paroles d’institution de la Cène, Jésus a soigneusement prévu que son Église fasse mémoire de sa mort.

Ainsi, la Bible ne prévoit pas de disposition précise pour la commémoration de la naissance de Jésus, mais prévoit de la manière la plus précise et la plus solennelle la commémoration de sa mort.

Quelle est la raison de ce contraste qui, à première vue, peut sembler très étrange ? Je crois que la réponse est assez claire. La naissance de Jésus était importante non pas en soi, mais parce qu’elle a rendu possible sa mort. Jésus est venu dans ce monde pour mourir, et c’est vers sa mort que le pécheur se tourne lorsqu’il cherche le salut de son âme.

Gresham Machen, God Transcendent, Eerdsamn, 1949, pp. 185-187.

Gresham Machen place l’emphase sur la mort du Christ. Un autre théologien réformé de ce siècle, Geerhardus Vos, qui met l’emphase sur la résurrection, formule les choses différemment lorsqu’il traite de la célébration de Noël :

Nous pouvons dire que Paul présente ici la résurrection comme ce vers quoi tout tend dans le christianisme ; le but dans lequel toutes les pensées, tous les efforts et tous les espoirs des croyants trouvent leur parfait repos et leur dénouement triomphant. Il me semble que nous ne pouvons pas nous fixer une tâche plus appropriée ou plus profitable en ce jour de Pâques que de suivre l’apôtre pour retracer le rapport intime de notre foi chrétienne avec la résurrection du Christ. Si l’observation par l’Église de saisons spéciales associées aux grandes époques de l’oeuvre de la rédemption doit être justifiée, elle ne peut l’être que par le fait que des saisons comme Noël, Pâques et la Pentecôte nous invitent à nous élever un instant du pauvre état fragmentaire et moyen de notre conscience du salut à cette vision plus claire et plus bénie qui nous permet, comme du haut d’une montagne, d’embrasser toute l’origine de notre foi. Tout nous appartient de droit, mes frères, parce que nous sommes à Christ et que Christ est à Dieu ; mais nous ne sommes consciemment riches que dans la mesure où nous apprenons à nous placer, au moins parfois, sur ces points d’élévation d’où nous pouvons contempler la terre des promesses de Dieu dans son ensemble. Peut-être n’apprécions-nous pas suffisamment à quel point le souvenir, à des moments précis, de ces grands faits que sont l’incarnation, l’expiation, la résurrection, le don de l’Esprit, a maintenu vivant dans l’Église, l’esprit de la vraie piété évangélique. Je suis sûr que nous n’aurons pas médité ces mots en vain si notre méditation nous amène à réaliser dans une certaine mesure combien notre sainte religion est entièrement liée à la résurrection du Christ.

Geehardus Vos, Sermon de Pâques, cité par E. J. Hutchison.

Dans ce sermon donné à l’occasion de la fête de Pâques, il fait des remarques qui concernent aussi Noël. Si Pâques ou Noël ne sont pas des fêtes établies par ordonnance divine et ne revêtent pas, à ce titre, l’importance pour le culte divin que le dimanche possède, elles demeurent utiles en tant que saisons qui viennent introduire un rythme à même d’éveiller notre méditation sur le mystère de notre rédemption. Le dimanche, en tant que repos hebdomadaire, ne peut pas être opposé aux saisons, qui se situent sur l’échelle annuelle. L’humanité n’est pas simplement rythmée par la semaine mais aussi par les saisons plus larges que les luminaires marquent. Et son existence ne peut échapper à ce rythme. Comme le disait l’un des mes amis à destination des réformés, il n’est pas bien différent de célébrer le dimanche de Pâques que de suivre le catéchisme de Heidelberg sur les cinquante-deux dimanches de l’année. En effet, l’un et l’autre impliquent que certains dimanches traiteront chaque année des mêmes sujets. Comme le dit encore E. J. Hutchinson, à qui j’emprunte ces extraits de Machen et Vos, ces fêtes sont des points d’exclamation que l’Église place sur des proclamations vraies toute l’année.

La Confession helvétique postérieure témoigne de cette utilité perçue des fêtes saintes :

En outre, si les Églises, dans un esprit de liberté chrétienne et par une vraie foi, célèbrent la mémoire de la naissance du Seigneur, de sa circoncision, de sa Passion, de sa résurrection, de son ascension au ciel et de l’envoi du Saint-Esprit sur ses disciples, nous l’approuvons pleinement. Par contre, nous n’approuvons nullement les fêtes religieuses instituées pour des hommes ou des saints glorifiés. Car les fêtes relèvent de la première table de la Loi ; elles appartiennent donc à Dieu seul. Enfin, les fêtes instituées à l’intention des saints glorifiés — fêtes que nous avons abolies — contiennent plusieurs choses contraires à la raison, inutiles et intolérables. Nous admettons cependant que la mémoire des saints puisse, en temps et lieu, être recommandée à bon escient et avec profit au peuple, lors des prédications; et des exemples de sainteté chez les hommes de Dieu peuvent être proposés à tous, pour qu’on les imite.

Confession helvétique postérieure, XXIV, 3.

Plus encore, la Discipline ecclésiastique de Dordrecht prévoit ce qui suit :

La Sainte-Cène sera administrée une fois tous les deux mois, autant que possible, et il sera édifiant qu’elle ait lieu à Pâques, à la Pentecôte et à Noël, lorsque les circonstances de l’Église le permettront. Toutefois, dans les lieux où l’Église n’a pas encore été instituée, on prévoira d’abord des anciens et des diacres.

[…]

Les Églises observeront, outre le dimanche, également Noël, Pâques et la Pentecôte, avec le jour suivant, et attendu que dans la plupart des villes et provinces des Pays-Bas, le jour de la Circoncision et de l’Ascension du Christ sont également observés, les ministres, dans tous les lieux où cela n’est pas encore fait, feront des démarches auprès du gouvernement pour les rendre conformes aux autres.

Discipline ecclésiastique de Dordrecht, articles 63 et 67.

Pour les réformés, l’établissement de ces fêtes relèvent de l’autorité compétente (« démarches auprès du gouvernement ») et leur célébration doit se faire « dans un esprit de liberté chrétienne », puisqu’il ne s’agit pas d’ordonnances divines. Mais leur célébration n’est ni considérée comme impie ni comme inutile par les textes que nous avons considéré.

Au XIXe siècle, la coutume au Princeton Theological Seminary (un séminaire réformé) était de tenir chaque dimanche soir des discussions pieuses pour sanctifier ainsi le jour du Seigneur et stimuler la piété des étudiants. Charles Hodge avait pris l’habitude de prendre des notes résumant la teneur de ces conférences. En 1853, le jour de Noël tomba, comme en cette année 2022, un dimanche et Charles Hodge en profita pour traiter non seulement de ce dont Noël traite mais aussi du fait de célébrer de telles fêtes. Voici les notes, abrégées donc, de leur conférence dominicale du 25 décembre 1853 :

I. 1 L’observation de Noël n’est pas commandée. Elle n’est donc pas obligatoire.

Le vrai principe protestant est que ce qui n’est pas commandé ne peut être enjoint. L’importance de ce principe comme protection contre le poids de l’autorité humaine. Le Talmud et les traditions des romanistes sont les deux grands monuments de l’abandon de ce principe. Il ne faut pas confondre ce principe avec le principe selon lequel ce qui n’est pas commandé ne doit pas être toléré. Contre cela, 1. la liberté de conscience. C’est autant une affirmation d’autorité de prohiber que d’enjoindre. 2. La pratique uniforme de l’Église, et notre propre pratique, l’action de grâces nationale, &c.

2. L’opportunité de cette observance.

On peut dire beaucoup de choses en sa faveur et beaucoup de choses contre elle. Pour : a) la loi naturelle de nos associations, b) l’analogie de l’Ancien Testament, c) la sympathie et la communion des chrétiens, d) un moyen de préserver et de promouvoir la connaissance.

Contre lui, il y a : a) le risque d’abus, c’est-à-dire le fait qu’il soit rendu sacré ou considéré comme d’autorité divine, b) le remplacement progressif du sabbat, c) la manière mondaine de le célébrer. Ce sont là des choses contre lesquelles il faut se prémunir et qui doivent régir l’observance.

3. Histoire de l’observance.

Elle n’était pas célébrée avant le quatrième siècle. Origène ne mentionne que trois fêtes comme généralement observées, le Vendredi saint, Pâques et la Pentecôte. Augustin place Noël dans la classe secondaire des fêtes. Chrysostome dit qu’à son époque elle était nouvelle. Elle avait, dit-il, été introduite depuis dix ans.

4. Le jour. Sans importance. Il a varié pendant un certain temps.

II. Les usages, ou les vérités liées à la naissance du Christ.

1. La naissance de Jésus est présentée comme un événement miraculeux ; comme tel, prédit, comme tel, rapporté. L’importance de cet événement est qu’il a permis de transmettre au Christ notre nature intacte.

2. Cette naissance est présentée comme l’événement le plus merveilleux qui soit. Le Logos s’est fait chair. Le Fils de Dieu est né d’une femme. Celui qui était dans la forme de Dieu a été trouvé dans la forme d’un homme. Lui qui était l’éclat de la gloire du Père, a pris part à la chair et au sang.

3. Il est présenté comme la plus merveilleuse démonstration de condescendance et d’amour. Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils unique. Dieu n’a pas épargné son propre Fils. C’est là qu’est l’amour : non pas que nous ayons aimé Dieu, mais qu’il nous ait aimés et ait envoyé son Fils comme propitiation pour nos péchés. C’est le grand événement de l’histoire de l’univers : l’union des natures divine et humaine en la seule personne du Rédempteur.

4. C’est la plus féconde des répercussions, de gloire pour Dieu, de bien pour l’homme.

a. De gloire pour Dieu. Les anges ont poussé des cris de joie. Ils crient gloire à Dieu au plus haut des cieux. Tous les regards se tournent vers la crèche de Bethléem. L’idée du Corrège d’un enfant lumineux n’est qu’un faible symbole du Christ répandant la lumière dans tout l’univers. C’est une exposition (a.) de son amour et de sa condescendance, (b.) de sa sagesse et de sa puissance.

b. Du bien de l’homme.

1. Moyen de réconciliation avec Dieu, de paix, de communion, de participation à sa nature.

2. Moyen de paix dans l’union de toute la famille des rachetés, d’exaltation de notre nature, d’établissement de ce royaume dont le Théanthropos, l’homme-Dieu, est la tête.

3. Du triomphe de Dieu sur Satan.

Inférences.

1 La gratitude. 2 La joie. 3 L’obéissance. 4 La dévotion.

Charles Hodge, Conference Papers, pp. 26-27.
Le Corrège, L’Adoration des bergers (La Nuit), huile sur bois, 1522-1530 (Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde).

Que ce dimanche de Noël soit l’occasion pour nous de sortir de notre « pauvre état » habituel de conscience du grand salut que Dieu nous a accordé pour atteindre un sommet permettant de contempler plus à fond son glorieux Évangile.

Les membres de Par la foi souhaitent de joyeuses
et saintes fêtes de Noël à tous nos lecteurs !


Illustration de couverture : Josef Langl, Bethléhem la nuit.

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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