Quels contraceptifs sont abortifs ?
29 avril 2023

Une certaine confusion règne sur la nature abortive des contraceptifs. En effet, la plupart des professionnels de santé n’étant pas particulièrement soucieux de l’éthique relative à l’avortement (comme le sont les chrétiens, par exemple), rares sont ceux qui vont chercher à savoir précisément le mode d’action d’un contraceptif dans le but de déterminer s’il est potentiellement abortif. Par abortif, j’entend tout ce qui peut causer la mort d’un organisme humain vivant génétiquement distinct qui n’est pas encore né. Autrement dit, tout ce qui peut faire mourir un être humain au cours de son développement entre le stade de la première cellule et celui de la naissance.

L’information médicale principale à retenir de cet article est que toutes les méthodes contraceptives hormonales sans aucune exception (toutes les pilules de toutes les générations, les implants et le stérilet hormonal) sont potentiellement abortives ainsi que le stérilet au cuivre (non hormonal). Pour le détail, ça se passe en dessous.

Les contraceptions hormonales

Les pilules

Les pilules contraceptives sont des hormones dont la nature et les doses varient d’un type de pilule à l’autre. Quant à la variation de « nature des hormones » entre les pilules, il existe deux types de pilules :

  1. Les pilules œstroprogestatives ;
  2. Les pilules progestatives.

Vous le comprenez par leur nom, les deux contiennent un composé progestatif. Or, voici ce que le référentiel national de gynécologie1, utilisé pour la formation de tous les étudiants en médecine de France, dit à propos des divers mécanismes du mode d’action de ce composé progestatif que l’on retrouve dans toutes les pilules (je traduirai plus bas en langage non médical) :

  1. Action antigonadotrope du composé progestatif, supprimant le pic ovulatoire de LH et FSH et inhibant la croissance folliculaire ;
  2. Modification de la glaire cervicale (épaisse et moins abondante) ;
  3. Atrophie de l’endomètre le rendant plus ou moins inapte à la nidation.

En touchant à cette seule hormone, les effets sont au moins triples. Le premier effet consiste à diminuer la probabilité d’une ovulation, le deuxième consiste à diminuer la capacité des spermatozoïdes à rentrer dans la cavité utérine. Le troisième consiste à diminuer la capacité de l’utérus à accueillir un embryon. Vous le comprenez, c’est ce troisième effet qui est potentiellement abortif.

En effet, aucun de ces effets n’est infaillible2. L’indice de Pearl, qui permet d’évaluer combien de femmes deviennent enceintes sur une année d’utilisation d’un contraceptif pour 100 femmes utilisant ce contraceptif est de 0,3 pour la pilule (cela vaut pour les deux types décrits plus haut). Cela signifie que pour 100 femmes utilisant la pilule, 0,3 vont tomber enceinte chaque année. Autrement dit, pour 1000 femmes utilisant la pilule, 3 vont tomber enceinte chaque année. En réalité, il s’agit là de l’indice de Pearl théorique, résultant d’estimations considérant que toutes les femmes prennent rigoureusement leurs pilules à l’heure, sans oubli, sans interaction médicamenteuse. Un autre indice de Pearl, calculé à partir de vraies femmes prenant la pilule, l’indice de Pearl dit pratique, est de 8 pour la pilule. Cela signifie donc que pour 100 femmes prenant la pilule, 8 vont tomber enceinte chaque année.

Songez à ce que cela signifie. Cela nous montre que, 8 fois sur 100 par an, les trois modes d’action de la pilule vont échouer et conduire à une grossesse. Toutefois, il est tout autant possible que seul l’un des modes d’action ou que deux des modes d’action échouent. Si l’inhibition de l’ovulation échoue (et qu’une ovulation a lieu) et que les spermatozoïdes parviennent à rentrer dans la cavité utérine, il peut y avoir fécondation. Le contraceptif agira alors comme un abortif, empêchant potentiellement cet embryon de se fixer dans l’utérus (empêchant la nidation) : le contraceptif entraînera bien la mort d’un organisme humain génétiquement distinct avant sa naissance.

La réflexion qui précède se fonde sur les trois effets rapportés dans le référentiel de gynécologie. En réalité, il existe au moins un quatrième effet, lui aussi abortif : la pilule agit encore sur la motilité des trompes chargées de conduire l’embryon vers la cavité utérine (et favorisant au passage les grossesses extra-utérines)3.

Considérations statistiques

On est en droit de se demander, à partir de ces données, combien d’avortements sont engendrés par la pilule dite « contraceptive ». Avant de se pencher sur ce sujet, il faut noter que les considérations statistiques n’ont que peu de pertinence en éthique. En effet, si vous pouviez obtenir quelque chose de désirable, à condition d’appuyer sur la gâchette d’une arme à feu en direction d’une personne, il importe peu que ce pistolet soit chargé d’une balle sur cinq ou de quatre sur cinq. Certes, l’effet sera différent et la différence quantitative considérable. Mais, pour ce qui est de l’éthique ou de la morale de cet acte, cela importe peu. Pourtant, un certain médecin chrétien, jugeant que l’effet abortif potentiel de la pilule était plus rare ou moins probable statistiquement avec une génération de pilules en particulier, s’est permis de dire dans des émissions et dans un livre que celle-ci n’était pas abortive, induisant en erreur ses auditeurs et lecteurs. C’est la diffusion de ses propos qui m’a poussé à écrire ce correctif. Ces précisions étant faites, passons à ces considérations statistiques.

Il faut tout d’abord dire qu’il est impossible de déterminer précisément ce chiffre. Pour ce faire, il faudrait qu’un nombre suffisant de femmes sous pilule se soumissent à des examens réguliers. La nature même de ces examens est difficile à déterminer, puisqu’il n’existe pas de marqueur biologique pour nous avertir de la présence d’un embryon avant sa nidation. Il est très peu probable qu’une telle étude voie le jour. En revanche, ce chiffre peut être estimé à partir de plusieurs hypothèses. C’est ce qu’a proposé le docteur Benoît Bayle4. Partant des proportions connues dans l’état physiologique (sans prise de pilule), il calcule une IDE (indice de destruction embryonnaire) qui correspond au nombre d’embryons morts par femme par année. Pour la pilule œstroprogestative, l’IDE calculé est de 3 à 10 pour 100 femmes par an. Pour la pilule microprogestative, l’IDE calculé est de 8 à 30. On constate que le « pistolet » microprogestatif contient plus de balles que l’œstroprogestatif.

Pour que l’ordre de grandeur soit plus concret, en 1990 (lors de la réalisation de son étude), 130 000 à 450 000 avortements ont été provoqués par la pilule et par an en France. La fourchette est large, il est impossible d’être plus précis et de vérifier l’ensemble des hypothèses. Mais il est aussi indéniable que des ovulations dites « d’échappement » ont lieu sous pilule et que, par conséquent, l’effet anti-nidatoire de celle-ci agit alors comme un abortif précoce. Il est aussi évident que les chiffres actuels seraient bien plus élevés que ceux de 1990.

Le docteur Rudolf Ehmann, quant à lui, évalue en 2007 à environ 172 000 cet IDE5.

Quoi qu’il en soit, il convient de répéter le propos que j’ai tenu en introduction de cette section : quelle que soit la proportion d’avortements engendrés par la pilule (et cette proportion varie selon la composition de la pilule), le simple fait qu’un avortement puisse être entraîné par la pilule est moralement significatif. Ce n’est donc pas sur ces évaluations statistiques approximatives que doit se fonder la réflexion.

L’implant hormonal

Si vous avez bien compris ce qui précède, il vous sera aisé de comprendre que l’implant hormonal est, lui aussi, potentiellement abortif. En effet, le procédé d’action de l’implant est similaire à celui de la pilule : la différence consiste dans le fait que l’hormone, au lieu d’être avalée, diffuse lentement dans le corps de manière continue.

Pour ce qui est des statistiques, une différence notable est le fait que l’indice de Pearl théorique et l’indice de Pearl pratique seront quasiment équivalents, puisque la femme ne peut pas oublier de prendre son implant, celui-ci étant comme son nom l’indique implanté sous la peau.

Pour les mêmes raisons que la pilule donc, l’implant est aussi potentiellement abortif.

Le stérilet hormonal

Le stérilet hormonal fonctionne aussi par diffusion hormonale dans le corps et, à ce titre, tout ce qui précède peut être répété ici, avec les mêmes précisions sur l’oubli que celles faites à propos de l’implant.

D’autres effets communs à tous les stérilets et potentiellement abortifs aussi viennent toutefois s’ajouter :

  1. En tant que corps étranger que le corps chercher à expulser, le stérilet est responsable d’une inflammation qui inhibe la capacité de la matrice utérine à accueillir l’ovocyte fécondé6 ;
  2. Pour les mêmes raisons, une accumulation de leucocytes dans les trompes inhibe la motilité de celles-ci7.

Le stérilet hormonal est donc, lui aussi, abortif.

Le stérilet au cuivre

Les deux effets communs aux stérilets décrits précédemment se retrouvent avec le stérilet au cuivre, qui est donc lui aussi potentiellement abortif. Par ailleurs, les récepteurs hormonaux de la muqueuse utérine diminuent en nombre sous stérilet au cuivre, empêchant aussi par ce phénomène la nidation8.

En outre, le stérilet au cuivre ne vient pas inhiber l’ovulation comme celui aux hormones. On pourrait considérer, sous ce rapport, que le stérilet au cuivre agit exclusivement par avortement. Mais ce serait inexact de l’affirmer de manière absolue puisque le stérilet au cuivre a aussi une action sur la viabilité des spermatozoïdes eux-mêmes.

La pilule du lendemain et du surlendemain

Le principe même de la pilule du lendemain ou du surlendemain indique qu’elle est potentiellement abortive. En effet, si lors de sa prise la fécondation a déjà eu lieu, son action consistera simplement à entraîner la mort d’un organisme humain distinct avant sa naissance. Si la fécondation n’a pas eu lieu, l’action pourra être exclusivement contraceptive.

Confusion et honnêteté

Si les choses sont si claires, médicalement parlant, pourquoi cette confusion sur l’effet abortif des contraceptifs dont nous avons traités ?

  1. Premièrement, comme nous l’avons dit, les entreprises qui commercialisent ces pilules et les professionnels de santé ne sont parfois pas particulièrement sensibles à l’éthique de l’avortement, si ce n’est peut-être pour dire qu’il s’agit d’un droit fondamental ! Ils sont donc peu nombreux à s’informer sur l’effet potentiellement abortifs de ces dispositifs puisque cet effet n’aurait aucune conséquence éthique de leur point de vue. De ce fait, les pilules et dispositifs contracepto-abortifs sont commercialisés comme contraceptifs et prescrits comme tels.
  2. Deuxièmement, le discours peu scrupuleux comme celui du médecin que j’évoquais contribue à cette confusion. Fonder, sur la base d’une différence quantitative statistique présumée une différence éthique qualitative n’est pas un raisonnement valide (cf. l’illustration de la roulette russe). La pilule de troisième génération qu’il mentionne comme non abortive est donc, la vérité scientifique impose de le dire, potentiellement abortive.
  3. Dernièrement, le discours académique lui-même a connu des glissements de sens. En effet, le docteur Lauritzen dit par exemple en 1989 : « La pilule dans sa forme classique agit dans tous les cas comme contraceptif, non comme abortif. Avec les préparations par étapes et combinées il s’agit pratiquement toujours d’une inhibition de l’ovulation. Ceci n’est qu’un des effets protecteurs. En plus, avec les préparations monophasiques et séquentielles, il existe également des effets contraceptifs au niveau du mucus cervical, de l’endomètre et des influences sur la motilité des trompes et finalement à l’ovaire même.9» On le voit, il décrit parfaitement les quatre modes d’action que j’ai listés plus haut mais décide arbitrairement de qualifier ceux-ci de contraceptifs et non d’abortifs. En effet, comme le note Rudolf Ehmann, Lauritzen limite le terme « avortement » à la fin d’une grossesse dont il place le début à la nidation10. Ce jeu sémantique a évidemment pour but de masquer la réalité, car si certains de ces effets empêchent la procréation d’une vie humaine génétiquement distincte (effet contraceptif), d’autres entraînent bien la mort d’une vie humaine génétiquement distincte déjà existante (effet abortif). Or, c’est bien cette différence (l’existence d’une vie humaine distincte) qui importe sur le plan éthique et non le fait que cette vie ait connu ou non la nidation (après tout, moi non plus je ne suis plus branché à un utérus et pourtant ma vie a de la valeur !). En effet, les lecteurs chrétiens de mon article se posent une seule question : « tel contraceptif entraine-t-il la fin d’une vie humaine ? » et non la « fin d’une grossesse » dont les limites seraient différentes de celles de la vie (la césarienne ou l’accouchement provoquent aussi la fin d’une grossesse, mais pas la fin d’une vie humaine !). Lauritzen lui-même reconnaît pourtant, avec l’intégralité de la communauté scientifique, que la vie humaine commence « avec l’union de l’ovocyte avec le spermatozoïde et la division consécutive du zygote11», c’est-à-dire avec la fécondation, soit avant la nidation. On peut donc conclure que même les scientifiques qui nient que les pilules sont abortives ne nient pas qu’elles mettent fin à une vie humaine mais jouent sur les mots, pour ainsi dire, en redéfinissant « abortif ». Mais ce jeu de mots suffit pour entraîner une confusion.

Je conclurai à propos de ces trois causes de confusion par les mots de la féministe radicale Germaine Greer12:

Aujourd’hui, la contraception est synonyme d’avortement, car il n’a pas été démontré que les pilules de troisième génération empêchent les spermatozoïdes de féconder un ovule. […] Que vous estimiez ou non que la création et le gaspillage de tant d’embryons est une question importante, vous ne pouvez que constater combien il s’agit d’une tromperie cynique de millions de femmes de vendre des abortifs comme s’il s’agissait de contraceptifs et que cela est incompatible avec le respect dû aux femmes en tant qu’êtres humains.

En bref, toutes les méthodes contraceptives hormonales sans aucune exception sont potentiellement abortives ainsi que le stérilet au cuivre. Les méthodes de régulation des naissances qui ne sont pas potentiellement abortives sont les méthodes barrières, les spermicides et les méthodes naturelles de régulation des naissances. J’explique dans d’autres articles pourquoi la licéité éthique de certaines de ces dernières doit aussi être questionnée.

Illustration :  Lodovico Mazzolino, Massacre des innocents, huile sur toile, vers 1528.


  1. CNGOF, Gynécologie Obstétrique ECNi, Elsevier Masson, 2021.[]
  2. Barjot P. et al., Grossesses survenants sous contraception orale : les leçons de l’étude GRECO, Gynécologie obstétrique & fertilité, 2006, vol. 34 / 2, pp. 120-126.[]
  3. Leidenberger, F.A., Klinische Endokrinologie für Frauenärzte, Berlin/Heidelberg : Springer-Verlag, 1992 ; Mall-Häfeli, M., Brief an Apotheker Wöppelmann vom 22.5.86 ; Taubert, Hans-Dieter/Kuhl, Herbert, Kontrazeption mit Hormonen, Stuttgart/New York : Georg Thieme Verlag 1995² ; Schering-Information, Folge 4, 1980-1984.[]
  4. Bayle, B., « L’activité antinidatoire des contraceptifs oraux », Contraception Fertilité Sexualité, 1994.[]
  5. Ehmann, R., Les menaces multiples de la vie à naître, 6e colloque international de bioéthique, Bioéthique et Vie humaine, 2007.[]
  6. Wollen, A.L., Sandvei, R., Mork, S., Marndon, J.L., Matre, R., In situ characterization of leukocytes in the fallpian tube in women with or without an intrauterine contraceptive device, Acta Obstet. Gynecol. Scand. 73, 1994a ; pp. 103–112.[]
  7. Ortiz, M.E., Croxatto, H.B., Bardin, C.W., Mechanisms of Action of Intrauterine Devices: Obstet. and Gynecol. Survey, 1996, vol. 51/12, suppl., pp. 542-551.[]
  8. Buckley DH, The Patology of Intra-Uterine Contraceptive Devices, Current Topics in Pathology, vol. 86. Berlin / Heidelberg, Springer-Verlag, 1994, pp. 307–330.[]
  9. Lauritzen, C., Fragen aus der Praxis, « Die Pille: (auch) ein Abortivum ? », Deutsche medizinische Wochenschrift 114/14, 1989, p. 567.[]
  10. Ehmann, R., op. cit.[]
  11. Lauritzen, C., Frage – Antwort, Nidationshemmung, Tägl. Praxis (1986) 27, 694.[]
  12. Greer, G., The Whole Woman, Londres Doubleday, (1999), pp. 92-93.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *