L’être humain devient-il une personne pendant la grossesse ? — Christopher Kaczor
16 août 2024

Dans l’urgence de la situation actuelle, alors que l’avortement (qui n’est rien de moins que le fait de tuer intentionnellement un foetus, en gros un bébé) vient d’être inscrit dans la Constitution et qu’il y a un vide intersidéral chez les chrétiens protestants et évangéliques sur le sujet, je vous propose régulièrement un résumé d’un chapitre du meilleur livre avec des philosophiques contre l’avortement The Ethics of Abortion: Women’s Rights, Human Life, and the Question of Justice de Christopher Kaczor. Ici le résumé du chapitre 3 : L’être humain devient-il une personne pendant la grossesse ?


Dans ce chapitre, Kaczor va répondre à ceux qui font remonter le critère ou les conditions pour une être personne à un moment pendant la grossesse. Pour être plus clair : Pourquoi tuer le fœtus encore dans le ventre maternel avant un temps t, mais pas celui qui l’a dépassé, en plus d’épargner ceux qui sont déjà nés ?

I. Le critère d’avoir des désirs conscients

Certains philosophes pro-choix affirment que pour être une personne, il faut être doté de désirs conscients, c’est-à-dire trouver un intérêt plus dans quelque chose que dans une autre.

Kaczor répond au début à Boonin sur un point très technique sur les distinctions entre désirs co-occurents et désirs dispositionnels d’une part, et entre désirs actuels et les idéaux d’autre part ; je passe cela sous silence aujourd’hui et le réserve donc probablement pour un futur article. Continuons avec des objections d’ordre plus général.

On remarquera tout d’abord qu’avoir des désirs personnels implique d’avoir une conscience de soi, ce qui, nous l’avons vu au chapitre, 2 mène à des contradictions.

Deuxièmement, ce critère semble non nécessaire car on peut imaginer des êtres sans désirs (ou d’un ordre considérablement différent du nôtre) qui seraient pourtant bien des personnes : des anges, des extraterrestres, des dieux ou Dieu, des maîtres bouddhistes parvenus au nirvana. Tous ces êtres ne seraient pas des personnes : ce qui est absurde.

Troisièmement, on a des cas réels de personnes qui, après un accident physique, n’ont plus de désirs car la zone de leur cerveau correspondante est endommagée, mais qui pour le reste sont comme nous. Il serait absurde de dire qu’elles ne sont plus des personnes.

Quatrièmement, on peut imaginer un scientifique qui réussisse à inventer un médicament qui permette grâce à des réactions chimiques dans le cerveau de ne plus avoir de désirs. Par conséquent, tous ceux qui le prendraient ne seraient plus des personnes : ce qui est absurde.

Cinquièmement, cette vision du droit à la vie contredit la vision des droits inaliénables de l’homme : rien ne peut nous les ravir, hormis bien sûr des sanctions pénales en cas de mal commis, car selon elle, la présence ou non de nos désirs le peuvent.

Sixièmement, il s’ensuivrait que les hommes ne sont pas égaux dans leur droit de vivre car, comme le désir de vivre varie chez chacun (l’homme heureux, l’homme triste, l’homme suicidaire, etc.), alors leur droit à la vie varie en conséquence : ce qui est absurde.

Septièmement, cette vision exclut des personnes les bébés nés prématurés et des bébés tout court car il n’est pas du tout établi qu’ils éprouvent réellement des désirs. Certes, ils éprouvent du plaisir (exemple : au biberon) et de la douleur, mais cela n’implique pas qu’ils ont vraiment des désirs. En effet, avoir des désirs personnels suppose la capacité à avoir des pensées, et donc à prendre des décisions (la volonté) basées sur des croyances sur la réalité (l’intelligence). Comme il faut attendre que le bébé atteigne un certain âge pour l’acquérir, cela exclut des personnes le bébé jusqu’à un certain âge, tout autant que le fœtus. De plus, même si on abaisse l’exigence à l’intelligence qu’on trouve chez des animaux comme les écureuils, le foetus n’est pas aussi intelligent qu’un écureuil adulte, et n’aurait donc pas, contrairement à ce dernier, droit à la vie, ce qui est absurde.

II. Le critère de la viabilité

La viabilité est le critère que la Cour suprême des États-Unis a retenu lors du fameux cas Roe v. Wade pour justifier l’avortement : tant que le fœtus n’est pas viable, c’est-à-dire tant qu’il ne peut pas survivre en dehors du ventre de la mère bien qu’avec une assistance artificielle. C’est un très mauvais critère.

Premièrement, prenons une femme enceinte qui prend l’avion pour se rendre dans une ville. Si elle doit accoucher arrivée à destination, elle le pourra dans un hôpital de la ville et dans ces conditions, le fœtus sera viable ; alors que, si elle doit accoucher quand l’avion n’est pas encore arrivé ou lorsqu’elle est bloquée disons, dans un désert, le fœtus né ne pourra pas survivre faute de moyens et il ne sera donc pas viable. Le statut du fœtus dépend alors de l’endroit où il accouche, ce qui est tout à fait absurde.

Deuxièmement, grâce aux progrès de la science, on arrive à faire survivre des bébés prématurés nés de plus en plus tôt. Donc un bébé prématuré né il y a longtemps qui n’était pas viable à l’époque serait désormais viable s’il était né à notre époque. Le statut du fœtus dépend alors de l’époque à laquelle il est né, ce qui est tout autant absurde.

III. Le critère du mouvement foetal ou de son accélération

D’autres affirment que le fœtus devient une personne dès qu’il commence à bouger ou à bouger de façon plus remarquée. Ou pour affirmer moins, le pro-choix peut simplement dire que le mouvement est au moins une condition nécessaire pour être une personne. On trouve trois arguments en fonction de ce critère.

En premier lieu, comme le mouvement est un indice qui montre que quelque chose est vivant (c’est au moins une condition nécessaire pour être une personne) et que c’est quand le fœtus accélère son mouvement que la mère peut savoir qu’il y a en elle un être vivant, alors tant qu’il n’y a pas d’accélération du mouvement fœtal, le fœtus n’est pas une personne. En réponse, on peut donner en contre-exemples les adultes handicapés qui ne peuvent (quasiment) plus bouger ou au moins moins bouger. Soit ils ne seraient pas non plus des personnes, soit ils seraient « moins » des personnes que des adultes qui peuvent bouger plus librement : deux cas encore absurdes.

En deuxième lieu, c’est à partir du moment où le fœtus commence à bouger plus rapidement qu’il n’est plus simplement une partie de sa mère (comme ses dents, ses cheveux, son cœur, etc.), qu’il devient indépendant ; or, une partie de la mère n’est pas une personne, donc avant le mouvement, le fœtus n’est pas une personne. On peut répondre ceci. Premièrement, comme le dit le troisième argument, on peut détecter grâce aux ultrasons les mouvements du fœtus bien avant le ressenti de la mère : donc celui-ci n’est pas déterminant. Deuxièmement, on a de nombreuses raisons de penser que le fœtus n’est pas juste une partie de la mère mais un être différent distinct à part entière : il ou elle peut mourir sans que l’autre meure, le fœtus est plus jeune qu’elle, a un code génétique différent, ils peuvent être de sexe différent. Troisièmement, à supposer même que le fœtus ne soit qu’une partie de la mère, on est confronté à des absurdités : la mère a quatre jambes, a quatre mains, a quatre yeux, et si elle a en elle des jumeaux, elle a maintenant six jambes, six mains, et enfin, si on implante artificiellement un fœtus chinois dans le ventre d’une mère états-unienne, la mère devient soudainement aussi chinoise, etc.

En troisième lieu, on peut dire que ce n’est pas le ressenti de la mère qui est déterminant pour savoir si le fœtus bouge car on peut le savoir bien avant grâce aux ultrasons. On confère alors au fœtus le statut de personne à un âge plus bas. On peut donner la même réponse que celle donnée au premier argument.

IV. Le critère de la sentience

D’autres philosophes considèrent que l’être humain devient une personne dès le moment qu’il est doté de sentience, c’est-à-dire qu’il peut éprouver du plaisir et de la douleur. En réponse, premièrement, on exclut des personnes exclut les gens dans le coma et les gens sous anesthésie, ce qui est absurde. Deuxièmement, on considérerait que des animaux tels que les vers de terre et la guêpe sont aussi des personnes car ils ont aussi la sentience et donc qu’on n’a pas le droit de les tuer (exemple : pas le droit de tuer la guêpe qui nous énerve pendant un pique-nique). Ce à quoi l’opposant pourra rétorquer qu’être une personne demande un certain degré de sentience que n’ont pas les animaux. Le problème qui en découle, c’est que les êtres humains ne seraient pas tous égaux en droits car ils diffèrent tous dans leur sentience, leur sensibilité au plaisir et à la douleur. Ce qui fait du droit à la vie quelque chose de relatif, ce qui est absurde. Troisièmement et enfin, il n’y a pas de lien nécessaire entre sentience et personnalité. Si l’on imagine qu’un homme arrive à l’ataraxie (arriver à ne plus éprouver de souffrance, l’idéal des stoïciens), cela ne lui ôterait pas soudainement son statut de personne, dire cela serait absurde.

Selon une autre version du critère, pour être une personne il faudrait avoir un cerveau d’une certaine structure rendant possible la sentience. Cependant, avoir un cerveau d’une certaine structure est une condition nécessaire, mais pourquoi choisir cette condition au lieu d’une autre condition ?

Enfin, l’opposant peut donner une autre définition de la sentience : être capable d’avoir des expériences sensibles par ses sens (entendre, écouter, sentir, etc.). Le problème, c’est qu’on exclut alors les bébés nés inconscients, les personnes malades insensibles à la douleur ; on est conduit à dire qu’un bébé inconscient plus âgé n’est pas une personne alors qu’un bébé sans maladie qui vient de naître en est une, or tout ceci est absurde.

V. Le critère de la ressemblance à un être humain

Selon d’autres, il faut ressembler à un être humain pour être une personne, ce qui n’est clairement pas le cas de l’être humain très tôt après la fécondation (« un tas de chair »).

En réponse, on peut dire premièrement que ce critère est dangereux car c’est ce qu’utilisaient auparavant des gens pour justifier de mauvaises pratiques. Par exemple les négriers qui réduisaient en esclavage les africains car, pour eux, ils ne ressemblaient pas à des êtres humains.

Deuxièmement, il conduit à exclure des gens qu’on reconnait comme des personnes : des gens très gravement brûlés, des gens avec des maladies graves de la peau, des gens avec le visage gravement défiguré.

VI. Le critère du développement du cerveau

Pour d’autres, il faut avoir un cerveau assez développé pour être une personne. Implicitement, ils défendent par symétrie comme pour eux, la mort de l’être humain, c’est la mort du cerveau, qui « alimente » le reste du corps.

En réponse, premièrement, on peut contester cette définition de la mort. Des biologistes avancent de nombreuses expériences qui la réfutent, qui montrent que beaucoup de parties du corps fonctionnent sans le cerveau et qu’il a plutôt un rôle d’« organisateur », et qu’il y a des cas de gens qui continuent à vivre malgré un cerveau mort.

Deuxièmement, certains malades ont un cerveau mort temporairement qui se « réallume » après, et pourtant on les considère toujours comme des personnes, sinon on rencontre de nouveau le problème épisodique. De plus, la situation du fœtus qui aurait un cerveau pas encore allumé qui s’allume après ressemble à leur situation, et devrait donc aussi être considéré comme une personne pour la même raison.

Troisièmement, cela conduit à des absurdités : accorder le statut de personne à des animaux qui ont aussi des cerveaux comme les fourmis, les guêpes et les vers de terre, et donc interdire de les tuer.

Quatrièmement, il n’y a pas de lien nécessaire entre cerveau et être une personne, on peut très bien imaginer des êtres sans cerveau intelligents et doués de volonté qui auraient le droit à la vie : les anges qui, étant immatériels, n’ont pas de corps, ou des extraterrestres intelligents et sans cerveau.

Cinquièmement et enfin, si le critère, c’est avoir un cerveau tout court, le cerveau du fœtus apparaît dans le premier trimestre, et si par contre, il s’agit d’avoir un cerveau qui a fini son développement, c’est le cas bien après la naissance car il continue à se développer durant l’enfance (et même en toute rigueur pendant toute la vie), donc bien au-delà de la durée possible pour pratiquer l’avortement (à ce stade, on parle d’infanticide).

VII. Le critère de la nidation

D’autres affirment que l’être humain est une personne uniquement à partir de la nidation, qui est la fixation de l’embryon dans l’utérus.

En réponse, premièrement, si c’était vrai, il s’ensuivrait alors qu’un enfant issu d’un utérus artificiel ne serait pas une personne, ce qui est absurde. Deuxièmement, on peut encore concevoir des personnes qui ne sont pas pas passées par la nidation : des extraterrestres spéciaux, les anges.

Troisièmement, on peut se demander pourquoi choisir l’étape de la nidation et non pas un stade plus ou moins avancé, en quoi ce choix n’est pas arbitraire ?

Quatrièmement, si l’on répond que c’est parce qu’à ce stade, le foetus est bientôt un véritable être humain, or c’est exactement ce qu’il faut prouver, donc on a un raisonnement circulaire.

Cinquièmement, il s’ensuivrait que tous les animaux qui passent par un utérus sont aussi des personnes, ce qui est absurde. Si l’on répond que l’embryon animal dans l’utérus n’est pas une personne car il n’est pas humain, cela revient à accorder un statut moral à tout homme, ce que la personne refusait pourtant initialement : on a de nouveau une contradiction.

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *