Dans ce livre, Noonan, moine et prêtre catholique, s’attaque à une thèse actuellement à la mode dans le milieu catholique (en particulier francophone). C’est « l’option finale dans la mort » qui pose que chacun a pendant (pour certaines versions après) sa mort une occasion de choisir Jésus-Christ et donc d’être sauvé ; et ce, même s’il n’a jamais entendu l’Évangile ou qu’il l’a toujours rejeté auparavant. Il l’aborde sous à peu près tous les aspects : exégèse (étude biblique de ce dogme dans la Bible), philosophique (étude de l’homme, philosophie de l’homme ou anthropologie : hylémorphisme vs dualisme cartésien), théologie historique (étude de la doctrine et du Magistère), pastorale (sacrements, impact sur l’évangélisation).
Je confirme la popularité de cette thèse par mon expérience. Je l’ai entendue il y a déjà bientôt dix ans de la part de cousins de ma famille catholique ; à ce moment-là, je ne savais pas du tout à quel point elle était répandue et ne connaissais pas du tout l’avis officiel défavorable de l’Église catholique romaine.
Dans ce qui suit, je donne un résumé et mes notes de chaque chapitre du livre. Je ne reprends pas leurs titres exacts mais plutôt des paraphrases ou résumés. Enfin, mes notes n’étant que des notes (sûrement incomplètes), je vous renvoie au livre pour y retrouver toutes les références précises. Je compte cependant publier plus tard des articles plus détaillés sur chaque partie. N’hésitez pas à me signaler des parties qui vous intéresseraient particulièrement, par exemple en commentaire ou sur les réseaux sociaux.

Partie 1 : Analyse objective de l’option finale
Il y a d’abord une première grosse partie historique qui résume cette position, d’abord ses précurseurs qui sont plutôt ceux qui lui ont ouvert la voie sans pour autant y adhérer (le médecin Pierre Lechevrier, Karl Rahner), ses deux grands formulateurs (Palémon Glorieux, un illustre thomiste puis Ladislas Boros qui s’est appuyé sur lui) et enfin ses partisans plus tardifs (Jean Daujat un disciple de Jacques Maritain, Josef Pieper, le youtubeur catholique Arnaud Dumouch et le catéchisme catholique pour jeunes Youcat par exemple). Dumouch, lui, parle d’une option finale plutôt après la mort et est plus clair et plus honnête, car il reconnaît prendre de la distance avec Thomas d’Aquin, bien que gardant son esprit d’analyse.
L’idée est que l’homme s’accomplirait ultimement à ses derniers instants, pendant la mort, ce qui lui donnerait la lucidité qui lui aurait manqué à cause des défauts de son corps durant toute sa vie, pour considérer l’offre du Christ.
Partie 2 : Critique philosophique
Chapitre 1 : La vie de l’homme chez Thomas d’Aquin
Il s’agit d’une étude de l’anthropologie de Thomas. Il est le premier philosophe à avoir défendu sérieusement une vision unifiée de l’homme contre le platonisme et le dualisme ambiant (Platon, les augustiniens) et l’hylémorphisme purement naturaliste d’Aristote. En gros, son anthropologie est incompatible avec l’option finale dans la mort car celle-ci est très platonisante et dualiste tandis que Thomas insiste sur l’importance du corps lié à l’âme dans l’essence de l’être humain.
Noonan reprend beaucoup d’analyses de thomistes : Antoine Pegis (son étude historique de l’âme), Philippe Margélidon (Les fins dernières), Leon Elders (La philosophie de la nature de Thomas d’Aquin).
Chapitre 2 : La liberté
Il s’agit encore d’une étude de Thomas, de sa position sur la liberté et aussi de celle de saint Bernard ou Bernard de Clairvaux (liberté de la nécessité, liberté du péché et liberté de la misère). On traite ici de la liberté de l’homme, des anges, leurs différences. La position de l’option finale dans la mort suppose que c’est à la mort qu’on devient réellement libre, le plus libre, comme les anges.
Chapitre 3 : La mort est-elle un instant ?
Les partisans de l’option finale redéfinissent la mort comme un moment temporel, un entre-deux (comme faisant partie du status viae, l’état de voie, c’est-à-dire l’état où nous sommes capables de choisir de croire en Christ) alors que soit c’est un moment qui précède la mort, soit c’est la vie après la mort (soit au paradis, soit en enfer).
Chapitre 4 : La mort est-elle un bien ?
L’option finale implique de voir la mort comme un bien et non plus comme un mal, le plus grand mal de l’humanité. C’est une autre de ses faiblesses. La mort est naturelle au sens où c’est une possibilité pour tout corps et où les animaux et les plantes l’expérimentent depuis toujours, même avant le péché originel. Mais elle n’est pas naturelle pour l’homme, dans le sens où avant le péché originel, Dieu agissait pour empêcher l’homme de mourir. Par contre, la mort humaine est une conséquence du péché originel, une punition de Dieu sur l’homme.
Résumant cette partie, Noonan conclut qu’on ne peut pas se baser sur Thomas d’Aquin pour défendre l’option finale, comme l’a fait par exemple Palémon Glorieux. Pour la défendre, on doit nécessairement s’appuyer sur une vision platonicienne ou cartésienne l’homme.
Partie 3 : Critique théologique
Chapitre 1 : La mort et le jugement dans les Écritures
Il montre par les Écritures que l’option finale dans la mort est infondée. Au contraire, nombre de passages de l’Ancien (Ecclésiaste) et du Nouveau Testaments (les Évangiles, l’épître aux Hébreux) insistent sur l’imminence du jugement divin et l’urgence de se repentir car le choix est irrémédiable après la mort. En général, ils parlent du jugement universel au retour du Christ mais on peut les appliquer au jugement particulier comme ils se recoupent. Les passages sur les jugements particuliers sont moins nombreux. Le plus clair est celui dans 2 Corinthiens où il est dit qu’on sera jugé pour les actions dans notre corps : il est vraiment imparable. Noonan se base beaucoup sur les pères de l’Église qui valident l’interprétation traditionnelle (jugement directement après, voire à la mort) comme Jean Chrysostome, Grégoire de Nazianze, Cyrille d’Alexandrie, Pierre Chrysologue. Mais il est tout de même très à jour dans les commentaires modernes qu’il prend aussi en compte (Anchor Bible Commentary, Richard Bauckham, C. K. Barrett, etc.) et qui vont dans son sens.
Chapitre 2 : La mort et le jugement dans le Magistère catholique
Dans le magistère médiéval, le conciles de Lyon II et de Latran sont clairs. Dans le magistère post-tridentin suite au concile de Trente, il n’y a pas vraiment de passages nouveaux ou explicites car les réformateurs ont gardé la même doctrine sur le jugement immédiat à la mort. Dans le magistère post-Vatican II, la doctrine traditionnelle est réaffirmée, de même par des papes comme Pie XI. Il traite tout particulièrement l’encyclique Spe salvi de Benoît XVI qui n’est pas forcément très claire, sur laquelle certains comme Dumouch s’appuient pour défendre l’option finale. Noonan montre qu’on peut très bien l’interpréter selon la position traditionnelle et qu’il est peu probable que Benoît XVI ait adhéré à cette idée nouvelle sachant qu’il a coécrit ce document en collaboration avec Jean-Paul II qui était aussi contre. De plus, il s’est prononcé en personne peu après pour éclaircir les choses et démentir une lecture avec les lunettes de l’option finale.
En somme cette relecture des documents magistériels par les partisans de l’option finale transforme le jugement de Dieu en un “auto-jugement”. Selon elle, c’est nous en fin de compte qui décidons de notre sort éternel, Dieu joue un rôle purement passif du Juge qu’il est censé être, idem au niveau de son rôle de Rédempteur. L’illumination venant confirmer notre sort devient une illumination de choix à tort.
Chapitre 3 : Anges, homme, obstination
Dans ce chapitre, Noonan part de et commente la citation connue de Damascène dans sa Foi orthodoxe où il compare l’état irrémédiable des anges bons et des démons avec celui de l’homme après sa mort, aussi irrémédiable.
Puis il étudie la position de la tradition chrétienne, en particulier thomiste sur ces sujets et autres connexes : Pourquoi l’ange a un état irrémédiable ? Comment expliquer l’état définitif de l’homme dans son obstination dans le péché ? (on explique cela par la nature de l’homme), etc. Pourquoi Dieu n’a-t-il pas fait les hommes comme les anges et est-ce que c’est injuste ? Nomman répond que l’homme a dans un sens une place privilégiée : il a toute sa vie pour changer et se repentir alors que l’ange a sa volonté fixée dès l’instant qui suit sa création. Il fait un survol des positions de Thomas d’Aquin qui reprend très clairement la position traditionnelle dans son commentaire des Sentences, dans sa Somme théologique et sa Somme contre les Gentils. Il passe ensuite en revue sur les thomistes qui en très grande majorité reprennent Thomas d’Aquin. Par exemple Suarez, Sylvestre de Ferrare (contra Cajetan), Banez, Garrigou-Lagrange, etc. Ainsi Glorieux n’est qu’une très rare exception avec Cajetan qui rapprochait trop les hommes des anges.
Il traite du rapport entre l’état des anges (intellects séparés) et celui de l’homme après la mort (âme séparée du corps). Il y a certes des points communs mais quand même des différences considérables. L’état « séparé » de l’ange est naturel pour lui mais pas pour l’homme, de sorte qu’il ne redevient vraiment lui-même que lors de sa réunion prochaine avec son corps nouveau.
Chapitre 4 : La mort comme jugement
Noonan analyse la mort sous son aspect de jugement sur les incroyants, aspect qu’il ne faut pas oublier. Il y a une grosse partie exégèse sur les passages compliqués dans les épîtres de Pierre : sur Christ qui est allé prêché à l’époque de Noé et Christ allé prêcher aux morts. Noonan déroule toutes les interprétations et conclut qu’il est sûr que celle qui dit que Christ a prêché à tout le monde sans exception est fausse.
Chapitre 5 : La mort comme moment de grâce
Certains se réfugient dans un salut avant la mort après l’échec de défendre un salut pendant ou après la mort. Tout le monde verrait le Christ et pourrait choisir de croire avant sa mort. C’est une hérésie condamnée à Oxford par un archevêque de Canterbury. L’autre problème est qu’une telle vision nécessite un miracle de la part de Dieu, qu’il peut bien sûr faire exceptionnellement quand il veut, mais par définition ce ne peut pas être tout le temps, car c’est un miracle. S’il avait lieu tout le temps, on devrait avoir des indices empiriques qui font pourtant défaut.
Innocent III parle d’une vision du Christ pour tous les morts, mais pas pour le choisir ; plutôt pour être confirmé dans son sort éternel (salut ou damnation). Ceux qui l’interprètent dans le sens d’un choix encore possible font donc fausse route.
Partie 4 : Critique pastorale
Chapitre 1 : La foi
La foi est censée naître d’un processus assez long pour que la grâce puisse se développer et faire son effet chez l’homme. Or l’option finale va à l’encontre de cela, même s’il peut certes y avoir des exceptions. L’option finale rend la foi claire alors qu’elle est censée être obscure pour pouvoir être méritoire (Hébreux 11, 2 Corinthiens où l’on voit seulement sur terre les choses comme dans un miroir et non face à face au ciel).
Elle mine aussi les sacrements, les rendant optionnels, tout particulièrement l’extrême-onction : n’importe qui peut s’en passer grâce au choix final.
De même pour le mérite. Ici, Noonan défend la position catholique sur les mérites contre les protestants : la grâce nous rend capables de faire des œuvres réellement méritoires pour notre salut. Et l’option finale détruit cela.
Chapitre 2 : Le péché mortel, véniel
L’option finale ne « colle » pas dans le système catholique basé sur l’état de grâce et l’état causé de péché mortel qu’il faut éviter et duquel il faut se sortir à l’aide des sacrements. Elle a pour conséquence qu’on se dit finalement que le péché mortel n’est pas si mortel ou grave que cela. Noonan critique ceux qui l’identifient au blasphème contre l’Esprit. En tant que protestant, j’émets bien sûr des réserves quand il prétend qu’on a besoin du risque de tomber dans un péché mortel comme source de motivation pour faire le bien. Il suffit d’avoir pour motivation la gratitude envers Dieu comme nous l’enseigne Paul dans chaque partie parénétique de ses épîtres (par exemple Romains 12 à 14).
Chapitre 3 : Problèmes pastoraux
Noonan rapporte ici les effets négatifs de la thèse de l’option finale dans la prédication de l’Évangile. Elle tend à minimiser la gravité du péché et du jugement de Dieu, c’est sûrement même en fait ce qui motive la défense d’une telle thèse : trouver un moyen de rendre plus acceptable un Dieu qui serait trop sévère, trop en colère sinon. Ce qui va avec notre époque : minimisation de la justice de Dieu, oubli volontaire de la mort, à l’opposé d’une époque précédente où l’on insistait trop sur la mort.
Les théologies qui s’aventurent dans ce genre de spéculations (salut possible pour tous) sont dangereuses, car cela risque d’égarer des âmes mal affermies dans la foi.
Chapitre 4 : Les solutions de Boros
Noonan liste les problèmes de doctrine de Ladislas Boros dans les différents domaines : sur le salut, sur le Christ, sur le Purgatoire, etc. Le chapitre est utile seulement si on connaît la pensée (peu connue) de Boros.
Chapitre 5 : Questions annexes
Dans ce dernier chapitre, Noonan traite des sujets annexes, mais qu’il juge tout de même important d’aborder vu leur popularité aujourd’hui : la résurrection des morts, où certains ont des positions spéciales, les expériences de mort imminente, les « voyages » de l’âme. Il montre ce qui est problématique dans la doctrine de la résurrection de certains partisans de l’option finale. Sur le reste, il reste mitigé et sceptique ; comme il n’y a pas de science exacte qui traite ces sujets polémiques (EMI), on ne peut pas en conclure grand chose. Les EMI relèvent plus de la mythologie.
Illustration : Antonio de Pereda, Le Rêve du chevalier, huile sur toile, vers 1650 (Madrid, académie royale des Beaux-Arts Saint-Ferdinand).
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