Nous souhaitons ici dans cet article nous prononcer sur le climat qui règne en France sur l’avortement : le droit à l’avortement, scellé aujourd’hui dans la Constitution à la suite d’un vote fortement majoritaire au congrès, serait un acquis définitif, et s’y opposer reviendrait automatiquement à agir comme un extrémiste ou un intégriste intolérant et irrationnel. Pour la compréhension de l’article, pro-vie veut dire « contre l’avortement » (anti avortement) et pro-choix veut dire être pour l’avortement (pro avortement).
La stupidité des lois actuelles sur le délit d’entrave numérique à l’IVG
Non seulement, les lois de notre pays (comme dans de nombreux autres) autorisent l’IVG (ça tout le monde le sait) qui est scientifiquement parlant (il suffit de consulter n’importe quel livre de biologie de référence) et comme l’admettent même les meilleurs philosophes universitaires pro-choix le fait de tuer intentionnellement le foetus qui est déjà un être humain. Mais cela n’a pas suffit, il a carrément fallu légiférer et promulguer une loi qui sous couvert d’une « bonne intention » se révèle complètement liberticide sur la liberté de s’exprimer contre l’IVG sur internet. C’est la loi suivante datant de 2016 sous l’impulsion de la ministre de la santé Laurence Rossignol du gouvernement Cazeneuve sous le mandat présidentiel de François Hollande :
Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 2212-3 à L. 2212-8 par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse :
1° Soit en perturbant l’accès aux établissements mentionnés à l’article L. 2212-2, la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ;
2° Soit en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés au même article L. 2212-2, des femmes venues recourir à une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières.
Code de la santé publique, art. L2223-1 à L2223-2 : Entrave à l’interruption légale de grossesse.
Elle est liberticide car comme l’a très bien souligné l’association catholique Alliance Vita, les expressions et les termes employés sont flous, ce qui permet facilement d’y faire rentrer tout et n’importe quoi :
Pour que l’on puisse prouver ce nouveau délit, il faudrait que chacun de ces termes soit clairement défini et qu’il existe un référentiel. Or ce n’est pas le cas, spécialement pour les conséquences de l’IVG.
De multiples questions se posent. Comment faire la juste différence entre une information et une opinion ? Quand, par exemple, la ministre de la santé Madame Rossignol affirme devant les députés que l’IVG n’interrompt pas une vie, est-ce une information ou une opinion ? Le juge sera-t-il l’arbitre de l’importance des conséquences physiques ou psychologiques d’une IVG ? Et comment déterminer le niveau de compétence à partir duquel une personne sera considérée comme pouvant être condamnée ? Qui va établir que cette personne détenait une forme d’autorité pouvant conduire à une pression ?
Il faut donc s’attendre soit à l’inapplication de cette loi, soit à des procès qui inévitablement mettront en cause la liberté d’expression et de communication.
Alliance Vita, « Délit d’entrave IVG : le Conseil constitutionnel défend la liberté d’expression », article datant de 2017.
Donc même des défenses scientifiquement exactes (contrairement aux désinformations anti-scientifiques du planning familial, comble de l’hypocrisie) et des critiques de l’avortement avec des arguments philosophiques rationnellement construits, de niveau universitaire, seraient potentiellement concernés. C’est en gros une loi qui permet de censurer « en douce » tous les opposants pour peu qu’on vous repère et que quelqu’un porte plainte contre vous.
On peut certes concevoir qu’il y ait de la désinformation et des arguments fallacieux simplistes du côté des partisans anti-avortement. Mais le bénéfice (à savoir interdire la propagation de fake news aisément réfutables à la fois en ligne et sur le terrain si elles s’avèrent réellement factuellement et scientifiquement fausses) dépasse complètement le risque de la censure totale de toute opinion contradictoire sur un sujet aussi crucial comme vu plus haut.
Ainsi, l’hypothèse la plus probable qui explique la raison d’être de ces lois, c’est qu’elles permettent de censurer les opposants à l’avortement sous le prétexte fallacieux qu’ils seraient par définition même, « intolérants » et diffuseurs de fake news, en gros tout ce qui ne rentre pas dans le dogme progressiste. Cela permet d’éviter de faire face aux arguments rationnels et de rendre du coup impossible tout débat. En d’autres mots, de demeurer dans le dogme sans avoir à exercer son esprit critique. Assez drôle venant du pays qui se targue d’être « le pays des Lumières ». On pourrait peut-être même remplacer l’Empire ottoman par nos hommes politiques dans le très connu De l’horrible danger de la lecture de Voltaire que nous avons été nombreux à lire en cours de français au lycée. Et renchérir que les lois sur l’avortement en France sont obscurantistes.
Pour finir, cette loi qui impose un dogme incontestable et musèle tout opposant ou indécis, empêche les « pro-choix » eux-mêmes d’avoir l’occasion de réfléchir (souvent grâce aux défis lancés par les pro-vie) pour se demander sincèrement ce qu’entraîne logiquement leur position. Comme beaucoup de pro-vie l’ont souligné, cautionner l’avortement (qui est, rappelons-le encore, tuer intentionnellement un foetus avant sa naissance) implique logiquement de cautionner aussi l’infanticide post-natal (qui est tuer intentionnellement un bébé après sa naissance) qui est pourtant lui au contraire, légalement interdit. Car quelle différence(s) discriminante(s) de nature y a t-il entre un bébé avant naissance et un bébé qui vient de sortir du ventre maternel il y a quelques heures ou jours ? C’est pour cette raison que les meilleurs philosophes pro-choix comme Michael Tooley, David Boonin et le fameux Peter Singer reconnaissent que l’infanticide post-natal est moralement justifiable.
Le débat rationnel est possible, il est même nécessaire et déjà entamé ailleurs
Il faut surtout se rendre compte que l’avortement n’est pas un enjeu comme les autres. Si les pro-vie ont raison (si l’avortement est mauvais, car il tue réellement des bébés innocents), alors il s’agit du plus grand génocide depuis le début de l’histoire de l’humanité. Il faut donc être fermement convaincu du bien-fondé moral de l’IVG avant de vouloir l’autoriser et le promouvoir. Car si on se trompe, s’il y a même ne serait-ce qu’une infime probabilité d’avoir tort, nous prenons le risque énorme de commettre ce génocide.
Il est aussi intéressant de remarquer que le philosophe américain Michael Huemer, (bien qu’« archi progressiste » et très à gauche sur d’autres sujets comme l’anarchie et l’immigration en politique), auteur à mon sens et selon beaucoup de la meilleure introduction à l’épistémologie et à la philosophie tout court, reconnaît lui-même dans son article de blog Abortion Is Difficult que le débat sur l’avortement n’est pas si évident que cela. Par conséquent, même si on était tout simplement un indécis sans avis sur le sujet, il serait bien plus prudent de laisser place à un débat sur le sujet que de censurer ses opposants comme des extrémistes d’une grande étroitesse d’esprit.
Comme beaucoup de sujets malheureusement (comme le débat entre athée, agnostiques et théistes sur l’existence de Dieu), il n’est jamais (ou quasiment) abordé en France de façon rationnelle mais seulement avec une grande ignorance, des slogans et des cris sauvages (surtout en politique). Pourtant, il existe un débat aux États-Unis dans les milieux universitaires en philosophie, un débat certes animé mais serein et profond sur le sujet. C’est-à-dire qu’on fait des débats de plus d’une heure sur Youtube (par exemple celui-ci et celui-là), qu’on publie des articles universitaires et des livres entiers argumentatifs dessus. Cela permet aux meilleurs représentants des deux côtés de s’exprimer, du côté « pro-choix » par exemple les philosophes David Boonin, Peter Singer et Michael Tooley, et du côté « pro-vie » Christopher Kaczor, Patrick Lee et Francis Beckwith.
Du côté francophone, on peut saluer l’initiative de mon ami Matthieu Lavagna jeune apologète1 catholique qui a publié en vidéo une longue critique de l’avortement et débattu cordialement avec plusieurs personnes sur Youtube (ici et ici). Il publiera très prochainement son nouveau livre La raison est pro-vie: Arguments non-religieux pour un débat dépassionné, le premier livre en français qui critique en détails l’avortement avec des arguments non-religieux purement philosophiques. Il était par ailleurs récemment notre invité sur la chaîne Youtube de notre site.
Même si beaucoup de défenseurs pro-vie sont croyants (souvent chrétiens) et qu’on taxe souvent les pro-vie de « religieux intégristes », c’est une polémique qui se situe premièrement sur un plan purement philosophique indépendamment même de toute religion. Comme je l’écrivais précedemment dans un ancien article :
La preuve en est que l’avortement n’est pas seulement un sujet religieux mais essentiellement philosophique. Beaucoup de non-croyants ouvertement hostiles aux religions sont contre l’avortement1, parmi lesquels :
- Christopher Hitchens (A Left-Wing Atheist’s Case Against Abortion), un apologète de l’athéisme auteur de l’ouvrage God Is Not Great: How Religion Poisons Everything qui critique de façon virulente les religions monothéistes abrahamiques (christianisme, judaïsme, islam) ;
- L’athée progressiste pro-LGBT Terrisa Bukovinac (Liberal Atheist Condemns Abortion: “The Killing of the Unborn is a Violation of Nonviolence”) ;
- L’athée Robert Price auteur du livre Jesus Is Dead et The Case Against The Case For Christ ;
- La très active association Secular pro-life.
On ne peut donc que regretter le cirque irrationnel actuel de notre pays qui ne sait même pas laisser place à un débat calme et intelligent sur l’avortement comme les exemples ci-dessus. En quelques mots : le pays des Lumières a sacrifié la raison sur l’autel des émotions et de l’obscurantisme.
- Un apologète est quelqu’un qui consacre une grande partie de son temps à faire de l’apologétique. L’apologétique est la discipline qui cherche à défendre la foi chrétienne (le fait qu’elle est raisonnable), ses différentes vérités comme l’existence de Dieu, ses attributs, la Trinité, le péché originel, Jésus et les différentes étapes de sa vie, sa résurrection, les miracles, etc.[↩]
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