La transsubstantiation est la doctrine romaine selon laquelle, lors de la consécration, la totalité de la substance du pain et du vin est changée en corps et sang du Christ, tout en conservant l’apparence du pain et du vin.
À plusieurs reprises, des Pères de l’Église se sont opposés à cette idée, principalement dans un contexte christologique. En effet, pour illustrer le fait que le Christ était vraiment Dieu et vraiment homme, il leur arrivait d’employer comme analogie la Cène : même après consécration, le pain et le vin conservent leurs substances et pourtant nous recevons par leur moyen la vraie substance du corps et du sang de Jésus. De même, lorsque Jésus s’est incarné, il n’a pas aboli la nature humaine, mais la jointe à la nature divine. C’est un argument que l’on rencontre par exemple chez Théodoret de Cyr. Fait intéressant, cette idée se retrouve dans un traité théologique, un enseignement public donc, d’un évêque de Rome, Gélase. Selon le catholicisme romain, cet évêque doit être considéré comme pape. Voici ce qu’il disait :
Le sacrement que nous recevons du corps et du sang du Christ est une chose divine. C’est pourquoi aussi grâce à elle nous devenons participants de la nature divine. Pourtant, la substance ou la nature du pain et du vin ne cesse pas d’être. Et certainement l’image et la ressemblance du corps et du sang du Christ sont mises en valeur dans la célébration des mystères. Il nous est donc clairement montré que nous devons penser cela à propos du Seigneur Christ lui-même, que nous confessons, célébrons et recevons à propos de son image. Ainsi, à mesure que les éléments passent dans celle-ci, c’est-à-dire la substance divine par le Saint-Esprit, et n’en demeurent pas moins dans leur nature propre, de même ils montrent que le mystère principal lui-même, dont ils rendent réellement présentes l’efficacité et la vertu, (représentant) pour nous, consiste en ceci que les deux natures demeurent chacune dans son être propre, de sorte qu’il y a un seul Christ parce qu’il est entier et réel1.
Voici encore une fois l’argument de Gélase ; il déclare en somme : « vous voyez bien que dans la cène nous participons à une substance divine et pourtant les éléments ou les espèces restent dans leur nature propre, de même dit-il dans l’incarnation les deux natures demeurent chacun dans son être propre. » Cette analogie lui permet de répondre aux hérétiques auxquels il s’adresse.
Voici ce qu’en dit l’historien catholique romain Joseph Tixeront, qui a reçu l’imprimatur pour son livre Histoire du dogme :
Le pape saint Gélase, dans son traité De duabus naturis in Christo adversus Eutychem et Nestorium, tente de prouver contre les monophysites que les natures humaine et divine du Christ conservent leur essence propre dans l’union hypostatique et, pour prouver son affirmation, il fait appel à l’Eucharistie. Il argumente ainsi : Les sacrements du corps et du sang du Christ, que nous recevons, sont certainement une chose divine. L’Eucharistie est une image de l’Incarnation ; or, dans les mystères sacrés, les éléments eucharistiques « n’en demeurent pas moins dans leur nature propre » ; c’est pourquoi, dans ce mystère principal dont l’Eucharistie est l’image et « dont elle nous représente véritablement l’efficacité et la vertu », la nature humaine et la nature divine conservent leur être propre dans l’unique Christ. Pour que cet argument soit concluant, il ne suffit évidemment pas que la première prémisse affirme que les accidents, espèces et apparences sont conservés dans l’Eucharistie — car les Monophysites ne niaient pas que Jésus-Christ soit apparu extérieurement comme homme — il faut aussi que les éléments eucharistiques, une fois consacrés, même lorsqu’ils « passent dans une substance divine », conservent leur nature propre de pain et de vin, et c’est apparemment ce que dit Gélase : « esse non desinit substantia vel natura panis et vini. . . permanentes tamen in suae proprietate naturae« 2.
De même, un autre historien plus récent, prêtre catholique, dans un ouvrage consacré à la théologie eucharistique de Gélase, déclare :
Il est en effet bien clair que Gélase, tout autant que Théodoret, fait appel à l’expérience des sens pour prouver que la nature du pain et du vin reste inchangée. Et pourtant, ces éléments fonctionnent comme des symboles sacrés en vertu d’une activité divine sanctifiante par laquelle ils acquièrent une relation réelle avec une réalité divine. La motivation est la même dans les deux cas : réfuter la thèse monophysite selon laquelle le corps du Christ se transforme en essence divine en vertu de la glorification. Les deux théologiens argumentent sur la correspondance, qui constitue un strict parallèle, entre une théologie de l’Eucharistie et de l’union hypostatique, pour confirmer le dogme du Concile de Chalcédoine3.
Les citations de cet article sont issues d’un travail plus général sur l’Eucharistie chez les pères de l’Église, abordant plusieurs dizaines d’autres citations de ce type, nous vous invitons à poursuivre l’étude par cette vidéo :
- Gélase, Traité 3 contre Eutychus et Nestorius.[↩]
- Joseph Tixeront, History of Dogmas, Volume III, trans. Henry L. Brianceau, B. Herder, 1916, pp. 365-366.[↩]
- Edward J. Kilmartin, S.J., “The Eucharistic Theology of Pope Gelasius I,” Studia Patristica, Vol. XXIX, ed. Elizabeth A. Livingstone, Leuven, Peeters, 1997, pp. 283-284.[↩]
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