Imaginez que vous deviez écrire un livre sur l’unité de l’Église, face à des personnes qui s’en sont séparés et prétendent indûment être la vraie Église. Imaginez que ce livre soit long au point de contenir 75 sections. Et imaginez que vous ne mentionniez pas même une fois l’évêque de Rome ou l’Église de Rome ou la nécessité d’être en communion avec cette Église dans ce propos très exhaustif sur l’unité de l’Église.
C’est ce qu’a fait saint Augustin, et le livre s’intitule De l’unité de l’Église. Dans ce dernier, il multiplie les arguments pour convaincre les Donatistes, issus d’un schisme nord-africain, de cesser de rompre la communion avec les autres Églises. Pas une seule fois dans de document il n’invoque un argument s’approchant de près ou de loin à la nécessité d’être en communion avec Rome. Ce fait avait déjà été relevé par l’historien catholique Dollinger, une année avant le premier concile du Vatican :
Saint Augustin a davantage écrit sur l’Église, son unité et son autorité, que tous les autres Pères réunis. Pourtant, de ses nombreux ouvrages, qui occupent dix folios, on ne peut citer qu’une seule phrase, dans une seule lettre, où il affirme que la principauté de la Chaire apostolique a toujours été à Rome – ce qui, bien sûr, pouvait être dit avec autant de vérité d’Antioche, de Jérusalem et d’Alexandrie. Tout lecteur de sa Lettre pastorale aux donatistes séparés sur l’unité de l’Église trouvera inexplicable… que, dans ces soixante-quinze chapitres, il ne se trouve pas un seul mot sur la nécessité de la communion avec Rome comme centre de l’unité. Il avance toutes sortes d’arguments pour démontrer que les donatistes sont tenus de revenir à l’Église, mais à propos de la Chaire papale, qui pourrait être l’un de ces arguments, il reste muet1.
Dollinger trouve cela « inexplicable », mais il existe une explication fort simple : Augustin n’était pas papiste, il était conciliariste. En fait, en 417, il avait participé au concile de Carthage qui, dans son canon 28, expliquait que si un évêque nord-africain avait rendu un jugement disciplinaire, les tribunaux romains ne pouvaient pas en décider autrement. Plus encore, ce concile veut que des personnes qui en appelleraient dans ce contexte à un tribunal « de l’autre côté de la mer », c’est-à-dire à Rome, soient excommuniés :
De même il fut décidé que les prêtres et les diacres et les autres clercs inférieurs, qui dans leurs procès auraient des reproches à faire aux tribunaux de leurs propres évêques, trouveront audience auprès des évêques voisins et que les évêques appelés par eux décideront de leurs différends du consentement du propre évêque. Que si même contre la décision de ceux-ci ils croient devoir interjeter un appel, ils n’en appelleront pas aux tribunaux d’au-delà les mers, mais aux primats de leurs provinces, comme il fut à plusieurs reprises décidé même à propos d’évêques. Ceux qui en appelleront aux tribunaux de l’autre côté de la mer, ne seront reçus à la communion par personne en Afrique2.
Les Donatistes, de leurs côtés, invoquaient l’autorité des conciles de leurs évêques, des miracles et prodiges qui prouveraient que leur Église est la véritable. Augustin propose une voie plus excellente pour déterminer quelle est la véritable Église :
Tous ces reproches, nous pouvons les adresser aussi aux Donatistes, non par le frivole motif d’y appuyer notre cause, mais pour leur montrer que si nous ne voulons point de leurs raisons, ce n’est pas faute d’en avoir de semblables à leur opposer, mais afin de ne point perdre à des choses inutiles un temps que nous pouvons employer à des choses nécessaires. Ils en agissent de la sorte, parce qu’ils ne peuvent trouver à l’appui de leur cause aucun document solide et d’une vérité incontestable. Ils veulent avoir l’air de dire quelque chose ; ils rougiraient de garder le silence, et ils ne rougissent point de dire des absurdités. Qu’ils n’invoquent donc plus de semblables preuves, et qu’ils nous montrent, s’ils le peuvent, leur église, non pas dans les entretiens et les rumeurs des Africains, ni dans les conciles de leurs évêques, ni dans une lettre de je ne sais quels disputeurs, ni dans de faux miracles et de faux prodiges ; la parole de Dieu nous a mis en garde contre tous ces piéges. Qu’ils nous la montrent dans les prescriptions de la loi, dans les prédictions des Prophètes, dans les psaumes, dans les paroles du Pasteur suprême, dans les prédications des évangélistes, c’est-à-dire, dans les témoignages canoniques des saints livres. Et encore, qu’ils n’aillent point recueillir et citer des textes obscurs, à double sens, figurés, que chacun peut interpréter à son gré. Ces textes-là on ne peut les comprendre et les expliquer sans croire fermement les vérités qui ont été manifestement révélées3.
Et, un peu plus tôt :
On me dira peut-être : Pourquoi mettre de côté nos mutuelles allégations, puisque, même en en tenant compte, vous n’avez rien à craindre pour votre communion ? C’est que pour trouver la sainte Eglise je ne veux point invoquer les renseignements humains, mais les oracles divins. Si en effet les saintes Ecritures me montrent que l’Église ne se trouve qu’en Afrique ou chez quelques Cutzupitains ou à Rome, chez quelques Montanistes, ou dans la maison et le domaine d’une femme espagnole, quoi que l’on puisse me citer d’après d’autres écrits, c’est chez les Donatistes que se trouve la véritable Eglise. Si l’Écriture limite l’Église à quelques Maures de la province de Césarée, passons aux Rogatistes. Si d’après les livres saints elle est chez quelques Tripolitains et Byzacènes et chez quelques habitants de la Province, ce sont les Maximianistes qui la composent. N’existe-t-elle que chez les Orientaux, cherchons-la parmi les Ariens, les Eunomiens, les Macédoniens et autres sectes de l’Orient. Et comment énumérer les hérésies éparses dans les différentes nations? Mais n’est-ce pas d’après les témoignages divins et canoniques qu’il faut chercher l’Église parmi les nations? et alors, quoi que puissent alléguer, quelques témoignages que puissent produire ceux qui disent: « Le Christ est ici, le Christ est là », nous écouterons plutôt la voix de notre Pasteur, si nous sommes ses disciples. Il nous dit: « Ne les croyez point ». Ces sectes répandues parmi les nations ne se trouvent pas là où est l’Église; et au contraire, cette Eglise universelle se trouve là même où elles sont. Nous la chercherons donc dans les Ecritures saintes et canoniques4.
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