Le péché n’est pas forcément volontaire – Turretin (9.2)
23 juin 2025

Est ce que ce qui est ἑκούσιον ou délibéré (ce qui relève de celui qui fait une choses volontairement et en conscience) est l’essence du péché. Nous le nions contre les papistes et les sociniens

François Turretin, théologien réformé du XVIIe siècle, répond ici à une question disputée avec les théologiens catholiques (comme Bellarmin) et les sociniens (rationalistes anti-trinitaires). Ces derniers affirmaient que seuls les actes délibérés, faits sciemment et par choix, pouvaient être considérés comme péchés, afin de minimiser le péché originel et les mouvements involontaires de la nature humaine déchue.

Formulation de la question

Turretin commence par poser des distinctions claires. Le « volontaire » peut être compris de deux façons :

  • Au sens large : un péché affecte la volonté ou y est lié, même vaguement (comme une pensée fugace). Les réformés acceptent que tout péché soit volontaire en ce sens.
  • Au sens strict : un péché exige un choix conscient et délibéré (comme voler). C’est cette idée que les réformés rejettent comme étant l’essence du péché.

Il distingue aussi l’« involontaire » :

  • Au sens positif : refuser activement de faire le bien, ce qui est un péché volontaire. Les réformés nient que le péché puisse être involontaire ainsi.
  • Au sens négatif : une absence d’engagement explicite de la volonté (par exemple, un défaut non choisi). Ici, Turretin affirme qu’un péché peut exister sans être volontaire.

Ainsi, tous les péchés ne sont pas nécessairement volontaires au sens strict.

Argumentation

Premier argument : Certains péchés échappent à la volonté consciente. Le péché originel, par exemple, précède tout choix personnel et toute liberté ; il habite la volonté sans provenir d’elle. De même, des péchés d’ignorance sont reconnus dans l’Écriture :

  • L’ivresse accidentelle de Noé (Genèse 9:21),
  • Abimélek prenant Sarah par méconnaissance (Genèse 20:2-6),
  • ou Paul persécutant les chrétiens avant sa conversion : « J’ai obtenu miséricorde, parce que j’agissais par ignorance, dans l’incrédulité » (1 Timothée 1:13).

Deuxième argument : Les premiers mouvements de la convoitise (concupiscence) sont déjà peccamineux, même s’ils ne sont pas pleinement choisis. Turretin cite :

  • Romains 7:7 : « Je n’ai connu le péché que par la loi ; car je n’aurais pas connu la convoitise, si la loi n’avait dit : Tu ne convoiteras pas. »
  • Romains 7:13 : « Mais le péché, pour se montrer péché, m’a produit la mort par ce qui est bon, afin que le péché devînt excessivement pécheur par le commandement. »
  • Jacques 1:14-15 : « Chacun est tenté, étant attiré et amorcé par sa propre convoitise. Puis la convoitise, lorsqu’elle a conçu, enfante le péché ; et le péché, parvenu à son terme, produit la mort. » Jacques montre que le péché commence dans le cœur comme un désir, mais il devient mature lorsqu’il se traduit en acte.

Paul ajoute une nuance en Romains 7:15 : « Je ne fais pas ce que je veux, et ce que je hais, je le fais. » Même ces luttes internes révèlent un péché qui échappe à la pleine volonté.

L’ignorance peut atténuer la faute, mais seulement si elle porte sur les faits (et non sur la loi), et si elle est invincible (impossible à éviter), non volontaire ou surmontable.

Objection : Augustin écrit : « Le péché est si volontaire que ce n’est même pas un péché, à moins qu’il ne soit volontaire » (De la vraie religion, 14).
Réponse : Augustin vise ici les péchés actuels, ceux commis consciemment. Il précise ailleurs : « C’est en vain que vous pensez qu’il n’y a pas de faute chez les petits enfants sous prétexte que le péché exige une volonté, qu’ils n’ont pas. Cela concerne le péché propre à chacun, non la contagion originelle du premier péché » (Contre Julien, 3.5).

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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