Lorsque Darwin a publié l’Origine des Espèces, il a proposé deux grandes théories pour expliquer la diversité des espèces sur terre. La première, que nous appellerons théorie spéciale, concerne des changements microévolutifs et visait à expliquer les différences comme celles qu’il a pu observer chez les pinsons des îles de l’archipel des Galapagos. La seconde, théorie générale, consiste à expliquer la diversité du vivant de façon globale en faisant appel aux mêmes mécanismes évolutifs. Pour faire simple, nous pourrions dire que la première théorie permet d’expliquer l’émergence de différentes espèces d’oiseaux à partir d’une espèce d’origine tandis que la deuxième théorie permettrait d’expliquer l’émergence de toutes les formes de vie à partir d’une seule.
À l’époque où il publia ses travaux, il ne disposait d’aucune observation directe des mécanismes qu’il détaillait. Même la sélection naturelle n’avait pas été observée comme force opérant dans la nature. C’est seulement en 1953, par une étude de Kettwell sur les phalènes du bouleau, que le principe fut vérifié dans la nature.
Deux types de preuves peuvent être avancées pour confirmer la théorie spéciale de Darwin, en dehors d’une observation directe. La première consiste à fournir une séquence de formes intermédiaires conduisant d’une forme initiale à une autre, finale. La deuxième consiste à reconstruire de telles formes en donnant une raison plausible pour expliquer chaque changement étape par étape. Bien que Darwin n’ait pu produire de telles preuves à son époque, depuis de nombreuses preuves des deux sortes ont été produites. La théorie spéciale de Darwin fut vérifiée et cela contribua grandement à augmenter la crédibilité de sa théorie générale.
Néanmoins, pour que la théorie générale de Darwin soit vraie, il faut que trois choses soient vraies :
- Que des changements macroévolutifs soient possibles.
- Que des changements macroévolutifs soient possibles par les mêmes mécanismes que ceux qui expliquent les changements microévolutifs.
- Que de tels changements se soient en effet produit.
Pour ce qui est du point 3, les données fossiles ne permettent pas de dire que de tels changements se sont produit. Pour ce qui est du point 1, la réponse ne peut être que spéculative. Penchons-nous donc sur le point 2.
Les « macro-changements » dans les systèmes complexes
Si des petits changements menant jusqu’à la spéciation (émergence d’une espèce isolée d’une autre sur le plan de la reproduction) ont pu avoir lieu au cours d’une courte période, pourquoi des changements plus importants ne pourraient pas avoir lieu si nous disposions d’une longue période ? C’est ce raisonnement qui est à la base de la transition vers la théorie générale de Darwin.
Toutefois, il faut être prudent avec ces généralisations. Des avancées majeures en science que l’on croyait aboutir sur des lois générales ont du reconnaître plus tard leur validité uniquement dans un domaine restreint. Pensons à la physique newtonienne et son incapacité à rendre compte des phénomènes quantiques.
Prenons un système complexe comme la langue française. Il est possible de passer d’une phrase qui a du sens à une autre phrase qui a du sens en changeant simplement une lettre comme lorsqu’on passe de « j’ai acheté un boeuf » à « j’ai acheté un oeuf ». Ainsi, dans ce système complexe, des changements mineurs sont possibles tout en conservant le fait que la phrase ait du sens.
Néanmoins, pour passer de « nous sommes de bons élèves » à « nous sommes de bons bouchers » en ne changeant qu’une lettre à la fois, il faudra passer par plusieurs étapes au cours desquelles la phrase n’aura aucun sens. Nous pouvons imaginer la même chose en changeant les mots un par un à l’échelle d’un paragraphe ou les paragraphes un à un à l’échelle d’un livre. Plus le système devient complexe, moins il y aura de « routes possibles » où un sens est conservé pour aller d’un point à un autre. Ainsi, dans un système complexe, la possibilité de changements progressifs conservant un sens ou une cohérence connait une certaine limite qui semble s’abaisser avec la complexité du système.
Deux autres exemples similaires rendront compte du même fait : dans un système complexe comme celui d’une montre à engrenages, changer légèrement la taille d’un ou deux rouages sera possible, mais au-delà d’une certaine limite, c’est tout le système qui devra changer. Dans le cas d’une machine comme une automobile, changer le diamètre d’un tuyau pourra être envisageable jusqu’à un certain point, mais au delà d’une limite c’est tout le système qui devra être changé.
Ainsi, le fait que la théorie spéciale soit validée par les faits ne constitue en rien une preuve en faveur de la théorie générale, même s’il vaut avouer que cela ait une certaine force rhétorique. Il semble exister un théorème des systèmes complexes qui implique que les changements progressifs conservant la cohérence du système voient leur nombre diminuer avec la croissance en complexité du système. Dit autrement, les changements macro-évolutifs impliquent de passer par des routes « non-viables » biologiquement.
Conclusion
Il y a bien d’autres raisons pour lesquelles des systèmes complexes ne peuvent pas subir des transformations graduelles fonctionnelles via une succession de changements mineurs. Néanmoins, ces quelques exemples analogiques permettent d’illustrer le problème simplement. Le point 2 listé plus haut doit être rejeté : quelque soit le temps dont nous disposons, certains changements dans les systèmes complexes ne seront jamais possibles. Conclure à la validité de la théorie générale à partir des vérifications de la théorie spéciale est une erreur de logique.
Ce constat plein de bon sens a conduit plusieurs scientifiques de tout bord à proposer des révisions radicales du modèle actuel, en postulant des sauts évolutifs impliquant des changements soudains de systèmes complets. Ces explications demeurent bien-sûr tout aussi spéculatives que la théorie darwinienne.
Tu me liras deux fois Etienne Gilson, d’Aristote à Darwin et retour 😛
C’est prévu. Je me suis procuré le livre de 1000 pages, Theistic Evolution, aussi.
comparer un texte avec l’évolution des espèces vivantes, ou avec une voiture c’est ton système qui est complètement absurde; t’as juste des métaphores mais t’as quoi comme preuve en anatomie comparée ? Tu t’es renseigné sur le registre fossile des cétacés depuis pakicetus ? Du registre fossile des équidés depuis éohippus ? Des dinosaures aviens jusqu’aux oiseaux actuels ? Ben non ça se lit. va plutôt apprendre des paléontologues, des anatomistes des généticiens, eux ils savent de quoi ils parlent. La base, c’est déjà écouter les spécialistes du sujets avant d’échafauder des théories fumeuses dans son coin. C’est ça le bons sens. Tu veux que je te donne une liste des personnes qui travaillent toute l’année sur l’évolution ?
Bonjour,
L’analogie provient de Michael Denton, biochimiste diplômé du King’s College. Il a écrit deux ouvrages généraux sur l’évolution et a en effet consulté ces spécialistes.
L’anatomie comparée n’est pas corrélée à la génétique : une modification anatomique peut très bien avoir une cause épigénétique. Ainsi, ça ne nous mènerait pas loin de faire de l’anatomie comparée ici. Il en est de même pour la comparaison des fossiles, puisqu’elle se fait à l’aveugle des génomes de ces fossiles. En bref, une critique bien prétentieuse et peu charitable qui fait flop…
Par ailleurs, la comparaison entre le code génétique et un texte se trouve dans à peu près tous les livres introductifs au sujet, c’est une illustration courante.
Étant étudiant dans une filière scientifique et biologique, j’ai bien entendu suivi des cours de génétique et suis au fait des éléments enseignés en faculté.