Cet article reproduit un devoir rendu pour un cours de la faculté Jean Calvin, que je recommande.
Il arrive que certains débats de dogmatique paraissent trop spéculatifs et lointains et que l’on fait des montagnes de petites choses. Mais nous allons voir aujourd’hui que des subtiles différences dans une distinction technique, difficile et pointue amènent parfois à des différences très visibles et lourdes de conséquences. Il y a bien sûr bien plus que des différences dogmatiques qui sont en jeu, mais tout de même, comme le dit le proverbe : « les idées ont des conséquences », et c’est ce que nous allons voir.
Une des différences dogmatiques les plus subtiles et importantes à la fois entre réformés et baptistes porte sur la nature de l’Église visible : est-elle distincte de l’Église invisible, soit le rassemblement des élus parfaitement régénérés par Dieu ? Distincte jusqu’à quel point ? Quelles sont les conséquences de perspectives différentes sur cette distinction ?
Dans cette dissertation, je vais commencer par exposer le point de vue de Jean Calvin sur la question, comme point de référence pour la doctrine réformée. Ensuite, j’exposerai le point de vue des deux fondateurs du mouvement baptiste : Helwys et John Smyth sur cette distinction. En troisième point, je dresserai une comparaison entre Jean Calvin et la première génération de baptistes, pour situer avec précision les points d’accord et de désaccord. Enfin, je discuterai des implications très visibles que ces différences font.
I. Exposition de Jean Calvin
Jean Calvin expose la distinction entre Église visible et invisible dans l’Institution de la religion chrétienne (livre IV, chapitre 1, sections 7 et 8). Dans le contexte immédiat, Jean Calvin cherche à définir comment l’on peut reconnaître la véritable Église et il entame cette section en établissant la distinction entre Église visible et invisible.
La définition de l’Église invisible est la suivante :
Car nous avons dit que l’Escriture saincte parle de l’Église en deux sortes : c’est que quelquesfois en usant de ce nom, elle entend l’Église qui est telle à la vérité, et en laquelle nuls ne sont comprins sinon ceux qui par la grâce d’adoption sont enfans de Dieu, et par la sanctification de son Esprit sont vrays membres de Jésus-Christ. Et lors non-seulement elle parle des Saincts qui habitent en terre, mais de tous les esleus qui ont esté depuis le commencement du monde.
Jean Calvin, Institution de la Religion Chrétienne (IRC), 1559, 4.1.7.
Elle se caractérise donc en ce que :
- Les membres en sont exclusivement les élus, à l’initiative de Dieu.
- Elle n’est pas limitée à un lieu particulier, ni à un temps particulier.
La définition de l’Église visible est la suivante :
Souvent par le nom de l’Église elle signifie toute la multitude des hommes, laquelle estant esparse en diverses régions du monde, fait une mesme profession d’honorer Dieu et Jésus-Christ : a le Baptesme pour tesmoignage de sa foy : en participant à la Cène proteste d’avoir unité en doctrine et en charité : et consentante à la Parole de Dieu, et de laquelle elle veut garder la prédication, suyvant le commandement de Jésus-Christ. En ceste Église il y a plusieurs hypocrites meslez avec les bons qui n’ont rien de Jésus-Christ fors que le tiltre et l’apparence : les uns ambitieux, les autres avaricieux, les autres mesdisans, aucuns de vie dissolue, lesquels sont tolérez pour un temps, ou pource qu’on ne les peut convaincre juridiquement, ou bien pource que la discipline n’est pas tousjours en telle vigueur qu’elle devroit.
Ibid.
Elle a pour caractéristiques que :
- Les membres en sont définis par des critères extérieurs et visibles, à savoir : confession audible de la foi, participation aux sacrements, assistance à la prédication.
- C’est un peuple mixte : ces mêmes critères extérieurs peuvent cacher des membres sans vie chrétienne. Ils ne sont maintenus dans l’Église visible parce que l’on ne peut pas encore les identifier, ou les discipliner, ou par faiblesse et échec du gouvernement de l’Église.
- Elle est localisée dans le présent seulement, et dans une multitude de lieux discrets (esparse en diverses régions du monde).
Avant de donner les signes qui annoncent la véritable Église visible, Jean Calvin expose à la section 8 ce qu’il entend par « visible » et « invisible » : l’Église invisible est proprement non visible par les hommes et seul Dieu connaît qui lui appartient (2 Timothée 2,19). Il affirme cela au moins trois fois dans la seule section 81. Pour Calvin, c’est une évidence dont nous faisons tous l’expérience :
nous advertissant journellement par expérience, combien ses jugemens secrets surmontent nostre sens. Car d’une part ceux qui sembloyent advis du tout perdus et qu’on tenoit pour désespérez, sont réduits au droict chemin : d’autre costé ceux qui sembloyent estre bien fermes, trébuschent. Parquoy selon la prédestination de Dieu cachée et secrette, comme dit sainct Augustin, il y a beaucoup de brebis hors l’Église, et beaucoup de loups dedans.
Jean Calvin, IRC, 4.1.8.
Se pose alors le problème suivant pour nous : comment pourrions-nous nous joindre à une Église qui ne se voit pas ? Nous qui sommes par nature localisés dans le temps et l’espace, comment nous joindre à une Église sans lieu ni ancrage temporel ? Considérant à quel point l’Église est essentielle à notre salut et que c’est un commandement de Jésus, nous avons là un grand problème. À ceci, Dieu répond en accomodant à notre faiblesse : il donne une Église visible, dont la nature est distincte de l’Église invisible, mais dont l’union avec la première est garantie par les marques de la véritable Église qui seront décrites dès la section 9 : la prédication de la Parole de Dieu et le juste usage des sacrements. Mais nous laissons là cette question des marques, car elle est hors sujet.
En aucun cas il n’est permis de confondre ensemble Église visible et Église invisible. Le principe même par lequel on reconnaît l’appartenance à l’une ou l’autre est différent : chez l’Église invisible, c’est la véritable foi du cœur ; dans l’Église visible c’est un jugement de charité2 où l’on se contente d’un critère assez bas : profession audible de sa foi, comportement visiblement chrétien, participation physiques aux sacrements. L’expression même de jugement de charité signifie « présomption de sincérité », mais qui n’est que cela : une présomption. Nous partons du principe que la foi visible de notre frère est sincère, mais nous restons aussi conscients qu’il est possible qu’il soit hypocrite et sommes prêts à réviser notre jugement si son comportement devait changer.
Une chose remarquable dans cette distinction Église visible/invisible est qu’elle fondamentalement pratique. Elle est pratique dans son fondement : elle part du constat que concrètement, l’Église visible et la communauté des saints ne coïncident pas parfaitement. Elle est pratique dans son principe : c’est par des éléments concrets et extérieurs que l’on juge de la véritable Église visible. Elle est pratique dans sa mise en œuvre : il s’agit d’avoir un jugement de charité à l’égard des frères et soeurs, partant du principe qu’ils sont sincèrement chrétiens, sauf s’ils ne le sont visiblement pas.
En résumé, les points communs entre Église visible et invisible sont :
- Les deux sont une seule et même institution de Dieu.
- Elles ont toutes deux pour objet l’Évangile de Dieu, et le rassemblement des élus.
- C’est un seul et même Dieu qui rassemble son peuple à l’intérieur.
Les différences entre Église visible et invisible sont :
- L’Église invisible est un peuple homogène et pur de saints, régénérés par Dieu ; l’Église visible est un peuple mixte, où les saints sont mélangés aux hypocrites.
- Le principe d’origine de l’Église invisible est le décret de salut de Dieu ; le principe d’origine de l’Église visible est l’évènement historique de la Pentecôte et l’Évangile de Jésus-Christ.
- L’Église invisible est connaissable de Dieu, mais pas des hommes ; l’Église visible est connaissable par les hommes et Dieu.
- L’Église invisible n’a pas de lieu, ni géographique ni temporel ; l’Église visible est répandue en autant de lieux de culte particuliers, dans le présent.
- Il n’y a pas de précautions à avoir entre membres de l’Église invisible ; dans l’Église visible, le jugement de charité n’exclut pas la prudence et requiert du sens critique.
Voici pour la distinction exposée par Calvin. Voyons maintenant une tradition protestante qui n’a pas retenu cette distinction, et qui est généralement méfiante envers le concept d’Église visible : les baptistes.
II. La position baptiste
Je choisis de cibler en particulier la première génération de baptistes, à travers Helwys et John Smyth. En effet, la distance temporelle entre l’Institution de la religion chrétienne de Calvin (1559) et les textes que je vais étudier n’est pas trop grande (environ 50 ans) et permet de faire des comparaisons suffisament significatives. En contrepartie, cela signifie que nous n’étudierons peut être pas les meilleures défenses des distinctions baptistes, mais, comme le montrera une comparaison rapide entre la Confession de foi baptiste de Londres (1689) et celle de Helwys (1611), la méfiance envers le concept d’Église visible est très stable dans cette tradition.
La confession de foi de Helwys (1611)
En 1609 fut fondée la première Église baptiste, qui ne considérait comme membres que ceux qui étaient capables de professer leur foi, et surtout n’admettait pas la nature mixte du peuple de l’Église, mais considérait que la véritable Église était seulement constituée des élus. Deux ans plus tard, une confession de foi est publiée qui témoigne de ses premières doctrines au sujet de l’Église. Cette confession de foi est intitulée A Declaration of Faith of English People Remaining at Amsterdam in Holland. ou bien encore « Confession de Helwys », le principal auteur et un des cofondateurs de cette Église baptiste.
Les articles pertinents pour cette dissertation sont les articles 10 et 11 :
10. That the church of CHRIST is a company of faithful people (1 Corinthians 1:2. Ephesians 1:1) separated from the world by the word &Spirit of GOD (2 Corinthians 6:17) being knit unto the LORD, &one unto another, by Baptism. (1 Corinthians 12:13) Upon their own confession of the faith (Acts 8:37) and sins. (Matthew 3:6)
11. That though in respect of CHRIST, the Church be one (Ephesians 4:4) yet it consists of divers particular congregations, even so many as there shall be in the World, every of which congregation, though they be but two or three, have CHRIST given them, with all the means of their salvation. (Matthew 18:20. Romans 8:32. 1 Corinthians 3:22) Are the Body of CHRIST (1 Corinthians 12:27) and a whole Church. (1 Corinthians 14:23) […]
Helwy’s Confession, consultée à l’adresse suivante : https://www.reformedreader.org/ccc/helwysconfession.htm (dernière consultation: 23 septembre 2023).
Dans cette confession de foi, l’Église est une et unique, composée uniquement des fidèles et non des hypocrites qui ne sont membres en aucune façon. En même temps, cette Église est visible et localisée géographiquement. Il y a donc un refus de la distinction entre Église visible et invisible. Dans ce court document, ils ne détaillent pas comment expliquer comment il se fait qu’il y ait beaucoup de brebis hors l’Église et beaucoup de loups dedans, comme le dict Saint Augustin2.
La discipline de John Smyth (1607)
Nous avons plus de chances de trouver une telle exposition dans le livre de John Smyth Principles and inferences concerning the visible church (1607), l’autre cofondateur du mouvement baptiste. Ce livre est une sorte de petite discipline (30 pages environ) baptiste, la toute première du genre. John Smyth ouvre son livre sur plusieurs aphorismes, en commençant par le tout premier :
A man may be a member of the visible Church and no member of the Catholique Church. John 17.12, Gen 4.11,13, Heb. 12.17, 2 Sam. 7.153.
Si, d’après la définition qui suivra, l’Église catholique est comprise comme « la compagnie des élus et invisible », Smyth est en accord avec Jean Calvin, c’est la situation des hypocrites.
Aphorisme 2 :
A man may be a member of the Catholique Church and no member of the visible church. 1 Kings 14.13 ; Rev. 18.4, Rom. 11.4, 1 King 19.183. Ici, ce n’est pas possible si l’on suit Calvin : les élus sont rassemblés dans l’Église visible, et il n’y a pas d’élus en dehors de l’Église visible. Mais cela reste possible dans l’ecclésiologie baptiste, si l’on considère le cas de l’élu qui n’est pas encore appelé.
Aphorisme 3 :
The catholique church is the company of the Elect […] and it is invisible3. Elle ne nécessite aucun commentaire particulier, elle est suffisamment proche de celle de Calvin.
Aphorisme 4 :
The visible church is a visible communion of saints. […] whiche are to be accounted faithful and elect […] til they by obstinacy in syn and apostacy declare the contrary.[…]3
On voit ici que les hypocrites sont exclus de l’Église visible, alors que c’était le seul cas où l’on pouvait envisager être membre de l’Église visible sans être dans l’Église invisible. Il semblerait que l’aphorisme 4 soit en contradiction avec l’aphorisme 1. Mais une lecture plus attentive de l’aphorisme 4 nous montre qu’en réalité Smyth parle d’un jugement de charité et non d’une description réelle: are to be accounted […]til they […] declare the contrary4.
Aphorisme 5 :
It is one thing to be a Sainct, another thing to be of the visible communion of Saincts.
John Smyth, Principles And Inferences Concerning The Visible Church, 1607, p. 7.
Pour l’expliquer, il propose de comparer 1 Rois 14,135 et 2 Chroniques 13,8-126. La conclusion semble être donc qu’il est possible d’être dans l’Église visible sans être dans l’Église invisible, soit la situation de l’hypocrite.
Nous concluerons sur une définition complémentaire que donne Smyth, à la page 8 :
A visible communion of Saincts is of two, three or moe Saincts joyned together by covenant with God and themselves, freely to use al the holy things of God, accodring [sic] to the word, for their mutual edification and Gods glory. […] The visible communion of Saincts is a visible Church.
John Smyth, Principles And Inferences Concerning The Visible Church, 1607, p. 8.
III. Comparaison
Un schéma peut aider à comprendre. La distinction proposée par Calvin est la suivante :
Les aphorismes de Smyth sont les suivants:
Comme on le voit, la principale différence chez Smyth est l’existence d’une Église invisible en dehors de l’Église visible (Aphorisme 2). D’autre part, si la présence des hypocrites n’est pas niée par Smyth (il les mentionne plus tard dans sa discipline), il nie tout de même qu’ils fassent partie de l’Église. Cela est reconciliable si l’on considère la distinction proposée par Pascal Denaut7 entre peuple mixte de jure8 et peuple mixte de facto9. Certes, on ne peut dans les faits empêcher des hypocrites d’exister concrètement au sein des frères, mais il faut tout de même maintenir que l’Église n’est faite que de vrais fidèles, et les hypocrites sont au mieux des aberrations non encore détectées.
Rappelons cependant que selon la pensée calvinienne, ce n’est pas parce que l’Église est un peuple mixte qu’il faut préserver les hypocrites qui sont en elles. Il dit lui-même qu’ils sont tolérez pour un temps, ou pource qu’on ne les peut convaincre juridiquement, ou bien pource que la discipline n’est pas tousjours en telle vigueur qu’elle devroit2. Il serait donc d’accord avec les baptistes qu’il faut une discipline bien administrée qui réduise l’hypocrisie dans l’Église. Mais alors, quelle différence cela fait-il entre Calvin et les premiers baptistes ? Nous allons le voir, de légères differences de perspective impliquent des différences réelles dans la vie des Églises réformées ou baptistes.
IV. Implications
Chez les baptistes, on ne distingue plus entre Église visible et invisible : on sépare. Cela amène à une relativisation des aspects les plus visibles de l’Église, au profit de la communion intérieure. Par conséquent, les sacrements et la liturgie, les aspects les plus visibles de l’Église visible, auront tendance à être méprisés, ou bien perpétués sans se souvenir de leur but et de leur rôle.
Les marques de la vraie Église ne sont plus liées à des éléments objectifs et visibles. Calvin propose des marqueurs très concrets et objectifs, facilement soumis au sens critique : y a-t-il une prédication biblique ? Les sacrements sont-ils droitement dispensés ? De son côté, Smyth dit que la forme visible de la véritable Église consiste en a vowe, promise, oath or covenant betwixt God and the saints10. Certes la profession de foi est un élément objectif, mais que se passe-t-il si elle est hypocrite ? Le marqueur le plus objectif de la vraie Église chez les baptistes est plein de subjectivité.
D’ailleurs, pourquoi encore s’embarrasser d’une Église visible ? Comme le dit Smyth en toutes lettres : on peut faire partie de l’Église invisible connue de Dieu sans être dans l’Église visible connue des hommes. Comme Dieu est au centre de notre religion, l’Église devient périphérique à la théologie baptiste. On reconnaît là l’anti-institutionnalisme particulièrement prégnant dans les milieux protestants évangéliques.
Cette mutation baptiste a des conséquences très concrètes sur le témoignage public des Églises évangéliques. Comme le dit Smyth, la marque visible de la véritable Église consiste en l’alliance entre ses membres fidèles. Or, il n’est pas nécessaire d’être dans une Église locale pour être en alliance : on peut l’être dans le cadre d’une association de lobby politique. C’est ainsi que l’engagement social et politique des évangéliques du XXe siècle s’est déroulé hors de toute Église :
the parachurch nature of the movement likewise informed evangelical sociopolitical engagement. In the 1970s and 80s, therefore, evangelical political action was not focused on the church, but on “parachurch” political entities. Carl Henry, therefore, should not have been surprised when Moral Majority and other activist groups engaged the political arena through constituency lists and direct-mail campaigns. The evangelical movement as a whole operated through constituency lists and direct-mail campaigns in areas ranging from global missions to evangelistic crusades to hunger relief. And such had been the case from the very beginnings of the movement through the efforts of Henry, Billy Graham, and others.
Russel D. Moore, The Kingdom of Christ : the New Evangelical Perspective, Crossway Books, 2004, p. 166. Précisons que Russell D. Moore est un théologien baptiste.
Or, ce mode d’organisation en association volontaire a globalement nui à l’efficacité de leurs démarches : l’anti-institutionnalisme des évangéliques empêche de soutenir au long terme des causes qui nécessitent plusieurs générations pour être remportées.
Also, the parachurch nature of evangelical Christianity, with its lack of sustained confessional identities at the grassroots level, it can be argued, is at least one factor that doomed the postwar evangelical movement’s hopes for a cohesive presence in the public square. “The organizational ontology that comes most naturally to most evangelicals is a decentralized, voluntary association situated on a fragmented field of church groups and parachurch organizations,” observes sociologist Christian Smith. “A unified, widespread conservative Christian campaign to ‘reclaim the nation for Christ,’ therefore, is simply not in evangelicalism’s organizational ‘cards’ or its cultural ‘DNA.’” As [Carl F.H] Henry conceded in later life, “the Jesus movement, the Chicago Declaration of young evangelicals, independent fundamentalist churches and even the so-called evangelical establishment, no less than the ecumenical movement which promoted structural church unity, all suffer a basic lack, namely, a public identity as a ‘people,’ a conspicuously unified body of regenerate believers.” It now appears that this lack of cohesion was the result of expecting from a movement that which ultimately can come only from a church.
Russel Moore, The Kingdom of Christ, p. 166.
Revenons à Jean Calvin. Loin d’affirmer avec Smyth que l’on peut faire partie des élus et ne pas faire partie de l’Église visible, il affirme au contraire qu’il est impossible d’être sauvé en dehors de l’Église visible.
Mais parce que maintenant mon intention est de parler de l’Église visible, apprenons […] combien la connaissance nous en est utile, voire nécessaire, d’autant qu’il n’y a nulle entrée en la vie permanente, sinon que nous soyons conçus au ventre de cette mère […]. Il est aussi à noter que, hors du giron de cette Église, on ne peut espérer la rémission des péchés […].
Jean Calvin, IRC, 4.1.4.
Dès lors, il n’y a aucun mépris possible de l’institution. Même si seule une partie de l’Église est faite d’hypocrites, tout ce que doivent faire les chrétiens se fait dans le cadre de l’Église et non en dehors d’elle. Puisqu’elle est visible et objective, les éléments d’unité sont eux aussi concrets et objectifs, et cela a aidé les Églises réformées de France à être bien plus unies sous la persécution que les baptistes ne l’ont jamais été dans la paix.
Pour ce qui est de l’engagement public, le protestantisme français est un bon exemple de comment ce respect de l’aspect visible de l’Église est une force : bien que les libéraux soient moins nombreux que les évangéliques, et même au sein de la Fédération protestante de France, l’Église protestante unie de France reste l’union d’Églises protestantes la plus grosse et nombreuse. Ce poids lui permet de dominer la Fédération protestante de France, et de représenter à elle seule le visage public et « officiel » du protestantisme français. Tout en saluant les efforts du CNEF pour présenter lui aussi un visage unique aux autorités, il faut tout de même constater que la dispersion et la diversité évangéliques n’aide pas ses efforts.
Conclusion
On pourrait discuter aussi de l’impact que les différences quant aux marques de la véritable Église ont réellement sur la vie des Églises réformées et baptistes, respectivement, mais cette dissertation est déjà assez longue. Nous l’avons vu, de petites différences sur des points techniques et pointus de notre dogmatique peuvent engendrer des Églises très différentes, avec des forces et faiblesses très variables.
Mais il ne faut pas non plus exagérer ces différences : très souvent, nous ne vivons pas exactement selon notre confession. Ainsi, la plupart du temps, les baptistes qui se respectent ont aussi de l’estime pour l’Église visible. Si on interroge un pasteur baptiste ou un simple membre d’Église, il est peu probable d’entendre que venir à l’Église visible est indifférent. Ainsi, sur le terrain, la différence entre réformés et baptistes (conservateurs) s’avère négligeable. Pour moi-même, cela est un avertissement contre l’orgueil : il ne m’est pas permis de me glorifier hors de propos de subtilités qui ont moins d’impact que l’intensité d’une vie de prière et de piété bien ordonnée, un domaine où les baptistes sont exemplaires et où je dois les imiter.
Mais cette différence recommence à compter lorsque vient le temps de s’organiser et d’avoir des ambitions plus grandes. En effet, au moment de mobiliser d’importantes ressources, la question de la vision se pose nécessairement. Et cette vision, nécessairement abstraite, ne peut pas aller contre nos croyances fondamentales, ou dogmes. C’est alors seulement que le congrégationalisme baptiste va prendre toute son influence, et que l’institutionnalisme réformé va engendrer des organisations très différentes. Cela n’empêchera pas les personnes de s’apprécier et de s’entraider, jusqu’à une certaine mesure. Mais celui qui prétend qu’il faut ignorer les dogmes et bâtir une coalition évangélique la plus large possible ne révèle qu’une seule chose : c’est qu’il a des dogmes néo-évangéliques. Il est bon alors d’écouter les paroles d’avertissement de Russel D. Moore, lui-même de cette école néo-évangélique et qui pourtant voit les limites de cette relativisation évangélique (pour ne pas dire baptiste) des dogmes :
Now, however, evangelical theology resembles less the “united action” of theological allies envisioned by the movement’s founders and more the theologically fractured coalition of the fundamentalists from whence they came. At least, however, the fundamentalist coalition could unite around a minimal set of doctrinal affirmations, however sketchy and reactionary they might have been. Reformist evangelical theology has been unable thus far to articulate what unites the movement beyond a vague commitment to an undefined “high view of Scripture” and an even more undefined “family resemblance” of shared evangelical identity.
Russel Moore, The Kingdom of Christ, p. 186.
La conclusion de ce théologien baptiste est la suivante : il faut refaire de l’ecclésiologie la base de la coalition évangélique qu’il espère.
As evangelical theology faces the future, it must supplement a biblical and theological synthesis on the Kingdom of God with a renewed attempt at a theological basis for evangelical identity and cooperation. Without such a consensus, the disparate voices of the evangelical Kingdom activity in the public square may only prove that, sometimes, an easy conscience is not enough.
Russel Moore, The Kingdom of Christ, p. 187.
Que Dieu nous donne à tous de mettre du soin à ce qui mérite du soin, là où cela le mérite. Qu’il nous donne la prudence d’être dogmatiques dans les dogmes, et fraternels en fraternité.
Illustration de couverture : Jean Colombe, Le concile de Clermont, XVe siècle.
- Au début, il écrit : Vray est que ce privilège appartient à luy seul, de cognoistre qui sont les siens. Plus loin, au milieu du texte, il écrit : Car il cognoist et a marqué ceux qui ne cognoissent ne luy ny eux-mesmes. Et juste après, il insiste encore : il n’y a que les yeux de luy seul qui voyent lesquels sont saincts sans feintise.[↩]
- Jean Calvin, IRC, 4.1.8.[↩][↩][↩]
- John Smyth, Principles And Inferences Concerning The Visible Church, 1607, p.7.[↩][↩][↩][↩]
- Le texte dit qu’ils doivent être considérés comme des saints et élus, jusqu’à preuve du contraire : c’est l’essence du jugement de charité.[↩]
- C’est le seul de la famille de Jéroboam qui sera mis dans un tombeau, parce que c’est le seul de la maison de Jéroboam en qui se trouve quelque chose de bon devant le Seigneur, le Dieu d’Israël. Le fils de Jéroboam fait partie des élus tout en étant « étranger » au reste de sa famille.[↩]
- Condamnation de Jéroboam par Abiyah. Jéroboam est le type de l’hypocrite, dans l’Église visible sans être dans l’Église invisible.[↩]
- Cf. Henri Blocher, La doctrine du péché et de la rédemption, Edifac, 2001.[↩]
- Position réformée : La présence des hypocrites dans l’Église fait partie de la vie normale d’une Église.[↩]
- Position baptiste : Il se trouve qu’il y a des hypocrites, mais il n’y a pas de place pour eux dans le concept même de l’Église.[↩]
- John Smyth, Principles And Inferences Concerning The Visible Church, 1607, p.10.[↩]
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