Voici des extraits de l’œuvre magistrale du réformateur protestant Jean Calvin, L’institution de la religion chrétienne, et de son commentaire sur l’épître aux Hébreux, où il explique comment la beauté de la création nous révèle la puissance et la sagesse de Dieu.
Extrait du commentaire sur l’épître aux Hébreux
À travers tout l’édifice du monde, Dieu nous a donné des preuves évidentes de sa sagesse, de sa bonté et de sa puissance éternelles. Étant invisible lui-même, Dieu nous apparaît en quelque sorte en ses œuvres. C’est pourquoi le monde est bien à propos appelé miroir de la divinité. Non pas que les hommes aient l’entendement suffisamment éclairé pour connaître Dieu dans sa totalité en regardant le monde, mais il se manifeste ainsi pour que l’ignorance des impies ne trouve pas d’excuses. Et les fidèles, auxquels il a donné des yeux, contemplent les étincelles de sa gloire qui resplendissent en chaque créature. Le monde, à la vérité, a été créé afin qu’il soit le théâtre de la gloire de Dieu.
Jean Calvin, Commentaire sur l’épître aux Hébreux, chapitre 11, verset 3, modernisation libre parue dans Nouveau catéchisme pour la cité, p. 35.
Extraits de l’Institution de la religion chrétienne
Livre I, chapitre V (La puissance de Dieu brille dans la création et dans le gouvernement permanent du monde), §§ 1-3, 6.
1. Dieu a imprimé des marques de sa gloire dans toutes ses oeuvres
Le bonheur suprême et le but de notre vie se trouvent dans la connaissance de Dieu1. Pour que personne n’en soit privé, Dieu non seulement a placé cette semence de religion, dont nous avons parlé, dans le cœur des hommes, mais il s’est grandement manifesté dans ce « bâtiment » si beau et si admirable que sont le ciel et la terre, bâtiment dans lequel il est présent journellement. Tous, en ouvrant les yeux, sont incapables de ne pas l’apercevoir.
L’essence de Dieu est incompréhensible au point que sa majesté semble cachée et échappe nos sens2. Mais Dieu a imprimé, en ses oeuvres, certaines marques de sa gloire si claires et si évidentes que toute excuse d’ignorance est ôtée aux humains, même les plus incultes et les moins intelligents3. C’est pourquoi le psalmiste peut s’écrier à bon droit que Dieu « s’enveloppe de lumière comme d’un manteau » (Psaumes 104,2). C’est comme s’il disait que Dieu, en créant le monde, s’est en quelque sorte paré et revêtu d’ornements admirables de quelque côté qu’on les regarde. Dans le même psaume, l’étendue des cieux est comparée à un pavillon royal que Dieu a lambrissé d’eaux, les nuées constituent le char de Dieu et les éclairs lui servent de messagers. Comme la gloire de sa puissance et de sa sagesse est plus évidente en haut, le ciel est souvent appelé son palais.
Tout d’abord, de quelque côté que nous portions le regard, nous apercevons une petite portion, ou au moins une étincelle, de la gloire de Dieu. Ensuite et surtout, nous ne pouvons contempler ce chef-d’œuvre du monde sans être comme éblouis. Aussi est-ce à bon droit que l’auteur de l’épître aux Hébreux dit que ce que l’on voit du monde « ne provient pas de ce qui est visible » (11,3), la création si bien réglée et ordonnée nous servant de miroir pour contempler Dieu qui, autrement, est invisible. Voilà pourquoi le psalmiste considère les astres comme doués de parole et leur attribue un discours accessible à tous les peuples, même les moins développés. Ce discours est un témoignage clair à la gloire de Dieu (Psaumes 19,2-5). Paul le dit aussi de façon plus simple lorsqu’il déclare que ce qu’on peut connaître de Dieu a été manifesté aux hommes. En effet, « les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité se voient fort bien depuis la création du monde » (Romains 1,20).
2. La sagesse de Dieu est évidente dans la création
La puissance admirable de Dieu nous est attestée tant dans le ciel que sur la terre de façon quasi infinie, non pas seulement par les choses secrètes qui requièrent une étude et des connaissances scientifiques, comme l’astronomie, la médecine et les sciences physiques, mais par tout ce qui est si apparent que les plus limités intellectuellement et les moins instruits ne peuvent ouvrir les yeux sans en être témoins4. Je reconnais que les personnes instruites ou averties et les scientifiques sont mieux placés pour comprendre les secrets de Dieu. Mais ceux qui n’ont pas fait de telles études ne sont pas empêchés de voir tout l’art des œuvres de Dieu et ainsi d’admirer sa majesté. Il est bien vrai que, lorsqu’il sera question en détail de la providence de Dieu pour discerner le mouvement des astres, déterminer leur position, mesurer les distances, noter leurs caractéristiques, beaucoup plus de compétences qu’on n’en trouvera chez la population ordinaire sont nécessaires. Mais les personnes peu instruites ou peu intelligentes, qui ne disposent que de leur vue, ne peuvent pas ignorer, même si elles le voulaient, l’ouvrage admirable de Dieu que sont les innombrables étoiles si grandes, si variées, si bien réglées. Aussi peut-on en conclure que Dieu manifeste sa sagesse, autant que cela est nécessaires, à tout être humain sur la terre. Il faut reconnaître aussi qu’il n’est pas donné à tous, mais seulement à un esprit extraordinairement vif et subtil de découvrir la structure, les relations, les proportions, la beauté et le fonctionnement du corps humain et de ses membres, comme celui de Galien5, dont le grand savoir et l’habileté sont reconnus. Cependant, chacun en contemplant seulement le corps humain perçoit une œuvre unique et exceptionnelle, dont l’auteur a droit à toute notre admiration.
3. L’homme témoigne de la sagesse de Dieu
Certains philosophes anciens ont dit, à juste titre, que l’homme est un petit monde, car il est un chef-d’œuvre qui nous permet de contempler la puissance, la bonté et la sagesse de Dieu, et qui est le siège d’assez de miracles étonnants, si du moins nous ne dédaignons pas d’y arrêter notre esprit. C’est pourquoi aussi Paul, après avoir montré que Dieu peut être trouvé même en tâtonnant comme des aveugles, ajoute qu’il ne faut pas le chercher loin, car chacun perçoit en lui-même la grâce céleste qui nous vivifie tous (Actes 17,27-28). Or, si pour comprendre qui est Dieu, il ne faut point sortir de nous-mêmes, comment pardonner ou excuser l’indifférence de ceux qui, pour cela, ne daignent pas regarder en eux-mêmes pour trouver Dieu là où il habite. À ce propos aussi, David, après avoir célébré, en peu de mots, le nom de Dieu et sa majesté qui brillent partout, s’écrie immédiatement : « Qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui ? » (Psaumes 8,5). Et : « Par la bouche des enfants et des nourrissons tu as fondé ta force. » (8,3) Il propose un miroir bien clair de l’œuvre de Dieu dans le gouvernement commun du genre humain et il précise que les nourrissons ont des langues si éloquentes pour proclamer la gloire de Dieu qu’il n’est pas besoin d’autres discoureurs. Voilà pourquoi David n’hésite pas à utiliser, comme arme suffisante, la bouche des enfants dans le combat destiné à repousser ceux dont l’orgueil diabolique voudrait effacer le nom de Dieu. L’apôtre Paul évoque aussi un poète païen6 qui a dit que nous étions de la race de Dieu (Actes 17,28), lequel, en nous conférant une très grande dignité, s’est désigné comme notre Père. Voilà pourquoi d’autres poètes, écoutant ce que leur dictaient le sens commun et l’expérience, l’ont appelé Père des hommes. En fait, nul n’acceptera volontiers et de son plein gré de s’assujettir à Dieu pour lui plaire, à moins qu’il n’ait goûté son amour paternel qui le conduit à aimer Dieu en retour. […]
6. Des témoignages de la puissance de Dieu
Rappelons-nous, chaque fois que nous considérons notre état, qu’il n’y a qu’un seul Dieu qui, parce qu’il gouverne tout, veut que nous regardions à lui, que notre foi s’adresse à lui, que nous le servions et l’invoquions. Il n’y a rien, en effet, de plus arbitraire et irrationnel que de jouir de grâces précieuses, qui témoignent en nous de la divinité, et de mépriser l’auteur dont nous les tenons.
Quant à la puissance de Dieu, les nombreux témoignages que nous pouvons en considérer ne devraient-ils pas nous éblouir ? Il est évident, en effet, que pour soutenir cette « machine et masse » infinie que sont le ciel et la terre, une grande puissance est indispensable. Quelle souveraineté ne faut-il pas pour faire trembler le ciel et éclater les tonnerres, foudroyer ici et là, illuminer le ciel d’éclairs, lui donner les couleurs les plus sombres dans des tempêtes d’intensité diverses, le nettoyer et lui donner la couleur la plus claire en une minute. Oui, quelle souveraineté ne faut-il pas pour soulever les grands flots de l’océan, pour voir la mer immense menacer de submerger la terre, quand il plaît à Dieu de susciter des vents impétueux qui bouleversent tout et puis, soudain, de les stopper et calmer les vagues !
Voilà à quoi se rapportent les louanges tirées des enseignements de la nature que l’on trouve dans les livres de Job et d’Ésaïe, dont je ne dis rien pour le moment, car je le ferai au moment opportun en traitant de la création du monde selon l’Écriture. Je me borne ici à montrer qu’il y existe une voie commune aux païens et aux familiers de l’Église pour chercher Dieu : à savoir observer les marques, qui, du haut en bas, se présentent comme des portraits de lui. La puissance de Dieu doit nous conduire à discerner son éternité, puisque celui dont toutes choses tirent leur origine est éternel et n’a d’autre commencement que lui-même. Et si on se demande pour quelle raison Dieu a été incité à créer toutes choses au commencement et le pousse à les maintenir en leur état, on ne trouvera comme réponse que sa bonté qui, seule, si tout le reste n’existait pas, suffirait pleinement à nous le faire aimer car, comme le dit le psalmiste, « l’Éternel est bon envers tous et ses compassions s’étendent sur toutes ses œuvres » (Psaumes 145,9).
(Jean Calvin, L’institution de la religion chrétienne, Paul Wells et Marie de Védrines (modernisation), éd. Kerygma / Excelsis, 2009, pp. 16-22.)
Livre I, chapitre XIV (Par la création du monde et de toutes choses, l’Écriture distingue le vrai Dieu des faux dieux), §§ 20-21.
20. Ce que nous apprend la création du monde
Ne soyons pas dédaigneux au point de nous priver de prendre plaisir à contempler les œuvres de Dieu, qui se présentent, devant notre regard, en ce beau et parfait théâtre du monde. Comme nous l’avons dit au commencement de ce livre7, l’ont plus amplement commentée. Nous apprendrons ainsi que Dieu, par la puissance de sa Parole et de son Esprit, a créé de rien le ciel et la terre. À partir d’eux, il a produit toutes les espèces d’animaux et les créatures inanimées et a distingué, selon un ordre admirable, cette variété infinie des choses que nous voyons, assignant à chaque espèce ses caractéristiques naturelles, lui fixant une mission et déterminant où elle sera et comment elle fonctionnera. Bien que ces réalités soient sujettes à la corruption, Dieu a veillé, par sa Providence, à ce qu’elles subsistent jusqu’au dernier jour. Pour cela, il en conserve certaines de façon secrète et cachée de nous, leur accordant en permanence une nouvelle vigueur. À d’autres, il a donné la capacité de se multiplier de génération en génération, afin que, quand les unes meurent, les autres prennent leur place. Dieu a ainsi comblé le ciel et la terre d’une abondance parfaite, de choses diverses et belles à la manière d’un palais grand et magnifique, bien et richement meublé de tout ce qui est nécessaire. Enfin, en créant l’être humain, Dieu a accompli un chef-d’œuvre, d’une perfection plus achevée que le reste, en raison des grâces dont il l’a doté.
21. La méditation de la création doit nous conduire à l’adoration
Il n’est pas besoin de s’étendre longuement ici pour déterminer à quelle fin doit conduire la contemplation des œuvres de Dieu et pourquoi il faut se livrer à cette contemplation, car cette question a déjà, en grande partie, été traitée. Il est donc possible, pour le sujet que nous examinons à présent, de nous limiter à quelques paroles, si elles sont nécessaires. Il est bien vrai que si on voulait expliquer combien sont inestimables la sagesse, la puissance, la justice et la bonté de Dieu qui brillent dans la création, aucune langue humaine ne serait suffisante pour exprimer une telle excellence, même la centième partie de celle-ci. Il est certain que Dieu veut que nous nous consacrions continuellement à cette sainte méditation. Il veut que, quand nous contemplons les richesses infinies de sa justice, de sa sagesse, de sa bonté et de sa puissance dans ses créatures comme dans un miroir, nous le fassions non pas légèrement pour les oublier aussitôt, mais en nous arrêtant longuement afin d’y penser et d’y réfléchir à bon escient, en en conservant un souvenir permanent. Comme ce présent livre est fait pour instruire brièvement, je ne ferai pas de développements qui exigent une longue réflexion.
En résumé, sachons que nous aurons compris ce que signifie le titre de Dieu, « Créateur du ciel et de la terre » si, premièrement, nous veillons à ne pas oublier, avec légèreté, les perfections de Dieu que nous voyons en ses créatures et, secondement, si nous nous appliquons à nous-mêmes la considération de ses œuvres afin d’en être impressionnés et touchés au vif dans nos cœurs.
J’évoquerai le premier point avec des exemples. Nous reconnaissons les perfections de Dieu dans ses créatures, lorsque nous considérons quel grand et excellent ouvrier il a été, lorsqu’il a placé et disposé dans le ciel une telle multitude d’étoiles qu’on ne saurait imaginer spectacle plus remarquable, lorsqu’il a assigné à certaines, les étoiles du firmament, des emplacements fixes dont elles ne peuvent pas bouger, et à d’autres, les planètes, qui peuvent aller çà et là tout en restant dans des limites bien définies et dont les mouvements et la course de chacune permettent de mesurer le temps, en le divisant en jour et nuit, en années, en saisons. L’inégalité de la longueur des jours que nous observons est tellement bien réglée qu’aucune confusion n’est possible. Il en va de même, si nous considérons la puissance de Dieu telle qu’elle se manifeste en soutenant une aussi grosse masse que celle du monde universel et en faisant tourner le ciel si légèrement qu’il achève sa course en vingt-quatre heures, et autres choses semblables. Ces exemples illustrent assez ce que signifie reconnaître les perfections de Dieu dans la création du monde. Si nous voulions traiter cette question comme elle le mérite, nous n’aurions jamais fini, comme je l’ai déjà dit. Car, autant il y a d’espèces de créatures au monde, ou plutôt autant il y a de choses grandes ou petites, autant il y a de miracles dus à la puissance de Dieu, de preuves de sa bonté et d’enseignements sur sa sagesse.
(Jean Calvin, L’institution de la religion chrétienne, Paul Wells et Marie de Védrines (modernisation), éd. Kerygma / Excelsis, 2009, pp. 131-133.)
Illustration : Vincent Van Gogh, La Nuit étoilée, huile sur toile, 1889 (New York, Museum of Modern Art).
- Cf. Augustin, Confessions, X, XX, 29.[↩]
- Cf. Confession de foi des Eglises réformées de France dite Confession de La Rochelle, 1 ; Confession de foi de Westminster, II, 1.[↩]
- Catéchisme de Genève, q. 25.[↩]
- Cicéron, De la nature des dieux, II, II.[↩]
- Médecin et anatomiste de Pergame (vv. 131-200) dont l’influence a duré jusqu’au Moyen Âge.[↩]
- Aratos, Phénomènes, 5. Poète grec du IIIe siècle avant J.-C., de la ville de Soles en Cilicie. Ce poème a été traduit en latin, notamment par Cicéron.[↩]
- IRC, I, V, 1-5.], la première instruction que reçoit notre foi se trouve dans le livre de la nature ; bien que cette instruction ne soit pas la principale, elle nous permet de reconnaître que toutes les choses que nous voyons sont les œuvres de Dieu et de considérer avec respect et crainte à quelle fin il les a créées.
Afin de saisir par une vraie foi ce qu’il est important de savoir de Dieu, nous avons besoin de connaître l’histoire de la création du monde, comme Moïse l’a brièvement exposée (Genèse 1-2) et comme les saints docteurs de l’Église, principalement Basile et Ambroise[[Basile de Césarée, Homélies sur l’Hexaéméron ; Ambroise, Les six jours de la Création.[↩]
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