Je partage ici un extrait de La providence et la confiance en Dieu de Réginald Garrigou-Lagrange, un théologien et philosophe catholique thomiste, fer de lance du néo-thomisme où il présente brièvement des applications pratiques de la cinquième voie de Thomas d’Aquin. Celle-ci est une preuve de l’existence de Dieu qui part de choses inanimées et dépourvues d’intelligence qui suivent des lois régulières, en bref de l’ordre dans le monde pour conclure à l’existence d’un ordonnateur de la nature. On voit ainsi que cette preuve et les autres en général ne sont pas simplement des arguments abstraits pour les intellectuels, mais comme des méditations qui nous poussent à mieux admirer et adorer Dieu de façon concrète.
N’y a t-il pas dans cette preuve de l’existence de Dieu par l’ordre du monde, une grande leçon morale ?
Oui, une très grande leçon, celle qui nous est donnée dans le livre de Job, et plus clairement ensuite dans le sermon de Jésus sur la Montagne.
Cette leçon est celle-ci : S’il y a un pareil ordre dans le monde physique, à plus forte raison doit-il exister dans le monde moral, malgré les crimes que la justice humaine laisse impunis, comme elle laisse sans récompense bien des actes héroïques où apparaît dès ici-bas l’intervention de Dieu.
C’est la réponse du Seigneur à Job et à ses amis. Le livre de Job, nous y insisterons plus loin, a en effet pour but de répondre à cette question : pourquoi les justes souffrent-ils ici-bas parfois plus que les impies ? Est-ce toujours pour expier leurs fautes, du moins leurs fautes cachées ?
Les amis de Job l’affirment, et reprochent au pauvre affligé de se plaindre. Job nie que toutes les afflictions et tribulations des justes viennent de leurs péchés, même de leurs péchés cachés. Et il se demande pourquoi tant de souffrances sont tombées sur lui.
A la fin du livre, le Seigneur répond (c. 32-42) en manifestant l’ordre admirable du monde physique, toute sa splendeur, depuis la vie de l’insecte jusqu’au vol de l’aigle, comme pour dire : s’il y a un pareil ordre dans les choses sensibles, à combien plus forte raison doit-il y avoir de l’ordre dans la conduite de ma Providence à l’égard des justes, même lorsqu’ils sont terriblement éprouvés. Seulement c’est là une chose mystérieuse et cachée, qu’il n’est pas donné aux hommes de voir ici-bas.
Notre-Seigneur dira plus clairement dans le Sermon sur la Montagne (Matth., VI, 25) : « Pourquoi vous inquiétez-vous pour votre vie, de ce que vous mangerez ou boirez… Regardez les oiseaux du ciel, ils ne sèment, ni ne moissonnent, le Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ?… Considérez les lis des champs… ils ne travaillent ni ne filent. Et cependant, je vous le dis, Salomon même dans toute sa gloire n’est pas vêtu comme l’un d’eux.. Si Dieu revêt ainsi l’herbe des champs… ne le fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi ? » S’il y a de l’ordre dans le monde sensible et une providence pour les oiseaux, à combien plus forte raison y a-t-il de l’ordre dans le monde spirituel, et une providence pour les âmes immortelles des hommes.
Enfin Notre-Seigneur donne la réponse définitive à la question posée dans le livre de Job, lorsqu’il dit en S. Jean, XV, 1-2 : « Je suis la vigne et mon Père est le vigneron.., et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il en porte davantage. ».
Il l’éprouve comme job pour qu’il porte les grands fruits de la patience, de l’humilité, de l’abandon et de l’amour de Dieu et du prochain, les grands fruits de la charité, qui est la vie éternelle commencée.
Telle est la grande leçon morale qui ressort de cette belle preuve de l’existence de Dieu : s’il y a un ordre admirable dans le monde sensible, à combien plus forte raison dans le monde moral et spirituel, malgré les épreuves et tribulations : il y a assez de lumière pour ceux qui veulent voir, et marcher ainsi vers la vraie lumière de l’éternité.
Référence : Réginald Garrigou-Lagrange, La providence et la confiance en Dieu, éd. Desclée de Brouwer, 1932, pp. 37-39.
Illustration de couverture : Antoine Nicolas, Saint Thomas d’Aquin, Fontaine de Sagesse, 1648.
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