Le baptême est le signe par lequel Dieu nous assure sa grâce, nous l’illustre et nous scelle ses promesses. Quand Dieu fait une alliance avec Noé, il lui donne l’arc-en-ciel comme signe de ses promesses, quand il fait alliance avec Abraham, il lui donne la circoncision comme signe de ses promesses. En voyant le signe, nous sommes dirigés vers la promesse et le Saint-Esprit utilise cela pour susciter et raffermir en nous la foi.
Il semble aujourd’hui que dans le mouvement évangélique, le baptême ait été remplacé par quelque chose d’autre. Pensez-y, quel est le rite, le « truc » qui vous fait dire, évangéliques, qu’une personne est maintenant chrétienne ? Nous y sommes : une expérience de conversion ! Cette façon de penser était totalement absente, non seulement pendant les premiers siècles de l’Église mais encore chez nos chers Réformateurs. Mieux, ce n’est que bien tardivement qu’elle a fait son apparition au cours des réveils américains : puisque beaucoup connaissaient une expérience forte les menant à vivre en chrétien, on a commencé à penser peu à peu que cela était la norme, que le signe d’entrée dans la vie chrétienne était d’avoir un avant-après, un jour où tout change et que tous les chrétiens étaient nécessairement passés par ce moment-clé.
Nous nous retrouvons aujourd’hui avec des personnes qui doutent de leur salut parce que, bien qu’elles soient évidemment chrétiennes et baptisées, elles n’ont pas vécu une telle expérience. Elles ne sont pas des Paul, elles sont plutôt des Timothée qui ont grandi en famille chrétienne, qui connaissent la Bible depuis leur enfance et l’ont toujours reçue avec foi. Ce sont les premières « victimes » de cette façon toute moderne de penser la vie chrétienne. Si vous avez lu mon témoignage, vous savez aussi que pendant un temps cette façon de penser a eu de mauvais effets pour moi : au lieu de placer ma foi tout de suite en Christ, je me suis mis à penser que je devais attendre un moment de conversion qui allait venir et qui changerait tout. J’avais même vécu une telle expérience, en février 2013, qui n’a porté aucun fruit. Deux types de victimes donc : ceux qui n’arrivent pas à être sûr de leur salut en raison de cette mauvaise conception de la vie chrétienne et ceux qui attendent désespérément de vivre une telle expérience pour pouvoir devenir chrétiens. Mais les troisièmes victimes sont ceux qui ont vécu une telle expérience forte et qui pourtant manifestent par leur vie qu’ils ne connaissent pas le Christ, se réconfortant à tort dans ce moment où ils ont « donné leur vie à Jésus ».
Ce qui me pousse à écrire cet article est qu’il y a peu, j’ai pu lire sur le blog de nos amis du Bon Combat un rapport de l’expérience de « conversion » de Martin Luther, voici ce qu’il en est dit :
Voici comment Martin Luther raconte sa conversion, survenue alors qu’il lisait l’épître aux Romains :
J’avais brûlé du désir de bien comprendre un terme employé dans l’épître aux Romains, au premier chapitre, là où il est dit : « La justice de Dieu est révélée dans l’Évangile » ; car jusqu’alors, j’y songeais en frémissant.
Ce terme de « justice de Dieu », je le haïssais, car l’usage courant et l’emploi qu’en font habituellement tous les docteurs m’avaient enseigné à le comprendre au sens philosophique. J’entendais par-là la justice « formelle » ou « active », une qualité divine qui pousse Dieu à punir les pécheurs et les coupables.
Malgré ma vie irréprochable de moine, je me sentais pécheur aux yeux de Dieu ; ma conscience était extrêmement inquiète et je n’avais aucune certitude que Dieu fût apaisé par mes satisfactions. Aussi, je n’aimais pas ce Dieu juste et vengeur. je le haïssais et, si je ne blasphémais pas en secret, certainement je m’indignais et murmurais violemment contre lui, disant : « N’est-il pas suffisant qu’il nous condamne à la mort éternelle à cause du péché de nos pères et qu’il nous fasse subir toute la sévérité de sa loi ? Faut-il qu’il augmente encore notre tourment par l’Évangile et que, même là, il nous fasse annoncer sa justice et sa colère ? » J’étais hors de moi, tant ma conscience était violemment bouleversée et je creusais sans trêve ce passage de saint Paul dans l’ardent désir de savoir ce que l’apôtre avait voulu dire.
Enfin, Dieu me prit en pitié. Pendant que je méditais, nuit et jour, et que j’examinais l’enchaînement de ces mots : « La justice de Dieu est révélée dans l’Évangile, comme il est écrit : le juste vivra par la foi », je commençais à comprendre que la justice de Dieu signifie ici la justice que Dieu donne et par laquelle le juste vit, s’il a la foi. Le sens de la phrase est donc celui-ci : « L’Évangile nous révèle la justice de Dieu, mais cette justice est la ‘justice passive’ par laquelle Dieu, dans sa miséricorde, nous justifie au moyen de la foi ».
Aussitôt, je me sentis renaître, et il me sembla être entré par des portes largement ouvertes au Paradis même. Dès lors, l’Écriture tout entière prit à mes yeux un aspect nouveau. Je parcourus les textes comme ma mémoire me les présentait et notais d’autres termes qu’il fallait expliquer d’une façon analogue.
Autant j’avais détesté ce terme de justice de Dieu, autant j’aimais, je chérissais maintenant ce mot si doux, et c’est ainsi que ce passage de saint Paul devint pour moi la porte du paradis. »
Adapté par Albert Greiner dans Luther, Éssai biographique (Labor et Fides), p. 39.
Si une personne a un arrière-plan évangélique, elle va lire ce texte et dire « Ah ben oui, c’est là qu’il s’est converti ». Cela pose deux problèmes : Premièrement, Luther n’a jamais parlé de cela comme d’une conversion, il ne pense pas avoir été sauvé ce jour-là mais avoir compris une vérité qui impactera toute sa vie de chrétien, mais c’est bien en tant que chrétien qu’il a compris cette vérité et c’est ainsi que le voyaient tous les chrétiens de son temps; deuxièmement, quand nous lisons la vie de Luther nous voyons que c’est loin d’être la seule expérience qui pourrait être reprise comme une « conversion » par le mouvement évangélique.
Voici ce que dit l’historien Carl Trueman au sujet de l’expérience de la Tour chez Luther :
Luther a-t-il, par exemple, connu une conversion au sens évangélique ? La fameuse « expérience de la Tour » est souvent considérée ainsi par les Évangéliques – mais l’était-elle ? Luther la présente plutôt comme une percée exégétique, une crise aux conséquences existentielles. De plus, que cette expérience se soit réellement passée comme il l’a décrite, en particulier en terme de chronologie (note : il semble y avoir des contradictions dans les différentes chronologies de la vie de Luther) est débattu parmi les érudits depuis longtemps. Mais que cette expérience soit une crise de conversion telle que le conçoit le protestantisme évangélique moderne n’est pas débattu. Elle n’est tout simplement pas une conversion. Quand Luther était tenté par le diable de douter de son salut, Luther ne dirigeait pas son doigt vers la Tour mais vers le Baptistère. « J’ai été baptisé ! » était sa réponse constante aux tentations de Satan.
Carl Trueman, The Most Dangerous Man in Christendom ?, dans le Journal First Things.
J’ai bien peur qu’aujourd’hui cette façon de considérer le baptême soit devenue incompréhensible pour un évangélique. Mais elle ne l’est pas totalement, Carl Trueman et moi-même sommes de milieu évangélique et nous avons réussi à changer de « paradigme », de façon de penser et de voir les choses quant au lien entre baptême et vie chrétienne. Si nous considérons l’arc-en-ciel comme signe que Dieu ne détruira pas la terre, la circoncision comme signe de la descendance promise et de la justice de la foi (Rom 4:11), pourquoi avons-nous tant de mal à considérer le baptême comme signe de la promesse du salut ?
Pendant des mois, en lisant Calvin, je ne comprenais pas non plus comment il faisait un lien entre assurance et baptême. Il parle de son baptême comme d’un véritable réconfort qui lui donne de l’assurance devant Dieu. Je peux désormais vivre aussi cela en me souvenant qu’à mon baptême, ce n’est pas seulement moi qui me suis engagé à suivre Jésus-Christ, c’est aussi le Père qui m’a dit « Je suis ton Dieu ».
Il faut ici avertir le lecteur évangélique que Trueman et moi-même ne défendons pas le fait que le baptême sauverait de façon magique, sans la foi. Ce que j’ai voulu dire dans cet article est en fait très simple :
- Pour être chrétien, il n’est pas nécessaire d’être passé par une expérience d’avant-après. Certains passent par là, d’autres acceptent avec foi, dès leur enfance, ce que leurs parents leur disent sur le Christ, d’autres encore acceptent les choses peu à peu et progressivement, d’autres encore passent par plusieurs crises.
- Ce qui est le signe du salut, ce n’est pas telle expérience, c’est le baptême. Il fonctionne comme l’arc-en-ciel : en le regardant, l’oeuvre que Dieu a accompli en Christ nous est remémorée et nous saisissons la promesse de Dieu avec foi.
- Ne remplaçons pas le signe donné par Dieu par une expérience toute moderne. Et ne lisons pas dans la vie des chrétiens du passé des choses étrangères à leur façon de penser.
Ainsi, le baptême est lié à l’assurance du salut, non pas en ce qu’il serait un acte magique sauvant le baptisé, mais parce qu’il est le signe des promesses de Dieu. Tout comme, dans l’arc-en-ciel, Dieu déclare « je ne détruirai pas la terre », de même, dans le baptême, Dieu déclare « je ne te détruirai pas ». Et c’est en saisissant ces promesses par la foi, chaque jour et non uniquement lors d’une expérience, que nous en jouissons et que Dieu se plait à nous donner l’assurance par son Saint-Esprit, voilà pourquoi Paul rappelle sans cesse aux chrétiens leur baptême.
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« … une expérience de conversion ! Cette façon de penser était totalement absente, non seulement pendant les premiers siècles de l’Église mais encore chez nos chers Réformateurs. »
>> Mais bien sur ! Les confessions d’Augustin et son expérience dans le jardin n’était une expérience de ce type. Pas plus que celles, successives, de Luther, ou de Farel. Que l’on critique l’emphase évangélique sur « l’expérience unique de conversion », soit. Je serais d’accord pour dire qu’il s’agit d’une approche émotionnelle de type Second Grand Réveil. Je suis d’ailleurs tout à fait d’accord sur le paragraphe qui associe « conversionnisme » exacerbé et doutes de ceux qui n’ont pas fait une telle expérience. Mais rejeter tout bonnement l’expérience de conversion dans son ensemble, c’est aller trop loin.
Quand à ta conclusion sur le rôle du baptême dans ce processus, je doute que Luther aurait été d’accord avec toi !
Luther considérait bien le baptême comme son assurance d’être membre de l’église.
Encore une fois, si tu relis ma conclusion tu verras que je ne suis pas contre l’idée d’une conversion : je suis moi-même passé par là. Au final on est d’accord : la conversion n’est pas le schéma-type pour chaque chrétien.
Pour Augustin, les Confessions sont si appréciées par les évangéliques car c’est justement le seul homme dans l’antiquité qui aborde le salut et la vie dans son ensemble de manière si individuelle. C’est le père qui a vécu quelque chose le plus proche de ce que les évangéliques appellent conversion. Mais notons que Augustin est l’exception et qu’il ne faisait pas de son expérience la règle.
De toute façon le pape Trueman a parlé : il n’y a pas de débat sur ce qu’a vécu Luther dans la Tour :-p
bonjour Maxime Merci pour tes recherches. Je réagis sur le tout dernier mot de ton article. Sais- tu, et peux- tu ,’s’ il te plaît ,argumenter au sujet de la nature de ce baptême dont Paul fait, tu as raison, si souvent mention(s)? S’ agit- il du baptême d’eau…. ou d’ Esprit? Merci pour ta réponse. Bien fraternellement. Simon.
Bonjour,
Je ne sépare pas ce que Dieu a uni 😉 L’un est le signe et le sceau de l’autre. Je pense que Paul ne parle pas du signe sans parler de la réalité et je pense que Dieu n’est pas un menteur pour donner le signe sans la réalité. Dans les sacrements, Dieu offre vraiment le Christ qui doit toujours être saisi par la foi bien sûr. J’ai tout un tas d’articles sur le baptême en tête qu’il faudra bien que j’écrive un jour mais ça ne sera pas dans l’année je pense.
Assurance du salut et théologie luthérienne… c’est un oxymore! L’objectivité et le réalisme des sacrements chez les luthériens ne mènent pas à l’assurance du salut puisque celui-ci peut être perdu à tout moment.
Oui, mais il faut distinguer théologie luthérienne et théologie de Luther parfois 😉
J’approche ici Luther comme ancêtre de la théologie réformée. Car il ne faut pas voir ces deux traditions comme des vases clos. On peut se réclamer de Luther sur certains points tout en en rejetant d’autres.
Pour ce qui est du vocabulaire utilisé dans ton commentaire : sache que les réformés ont tenu à toujours maintenir, face aux luthériens et catholiques, que leur position était réaliste et objective (par opposition à celle des anabaptistes). Il n’y a pas d’oxymore entre position réformée et position réaliste.
Bavinck peut dire par exemple « Baptism, understand as sign and seal, regenerates. »