La Gouvernance de l'Église dans les premiers siècles selon Jean Calvin
13 juin 2019

Les paragraphes 1 à 9 du chapitre IV du Livre IV de l’Institution sont particulièrement intéressants. Calvin nous y livre en effet son analyse de l’histoire de la gouvernance de l’Eglise dans l’ère patristique. Les paragraphes 1-4 que nous reproduisons ici concernent les anciens, les évêques et les patriarches.

Cela étonnera peut être nos lecteurs, mais l’appréciation de Calvin sur cette période est que les pères ont “conservé l’institution du Seigneur” et “n’ont pas envisagé une manière de diriger l’Église différente de celle que Dieu a prévue dans sa Parole”. En effet, il considère les titres comme patriarches ou évêques non pas comme une hiérarchie mais comme des rôles circonstanciels, par coutume et pour des raisons pratiques, comme le signale d’ailleurs Jérôme qu’il cite. Tout comme Cyprien ou Augustin, pour lui la plus haute autorité dans l’Église est un Concile général de tous les évêques, confirmant ainsi que le protestantisme réformé avec ses synodes se veut l’héritier du conciliarisme médiéval mais aussi patristique de Cyprien et Augustin.

1. Le gouvernement de l’Église ancienne

Nous avons évoqué jusqu’à présent la manière de gouverner l’Église selon les indications de la seule Parole de Dieu. Nous avons aussi parlé des ministères tels que Jésus-Christ les a institués. Maintenant, afin que le tout soit bien inscrit dans notre mémoire, il convient de connaître comment l’Église ancienne a vécu, afin qu’elle puisse être pour nous comme un miroir de l’institution que nous avons présentée1. Bien que les évêques de l’époque aient élaboré de nombreux canons ou règles, qui donnaient à penser qu’ils ordonnaient plus de choses que Dieu ne l’avait énoncé dans l’Écriture, ils ont tellement conformé la discipline et leurs règlements à la seule Parole de Dieu qu’il apparaît avec évidence qu’ils ne s’en sont pas écartés. Même s’il y avait eu des choses à reprendre dans leur façon de faire, le zèle avec lequel ils se sont efforcés de conserver l’institution du Seigneur, sans guère s’en éloigner, nous encourage à examiner maintenant comment ils ont fait.

Nous avons vu que l’Écriture parle de trois catégories de ministres; aussi l’Église ancienne a-t-elle classé en trois groupes les ministres qu’elle a eus. Dans la catégorie des ministres de la Parole, on trouvait les pasteurs et les docteurs; les autres s’occupaient de la discipline et de l’exhortation morale2. Les diacres étaient chargés de servir les pauvres et de s’occuper de l’entraide.

Les lecteurs et leurs assistants ne correspondaient pas à des offices particuliers. On avait l’habitude de préparer, dès la jeunesse, ceux qu’on recevrait dans le clergé ; on leur faisait effectuer certains exercices dans le service de l’Église, afin qu’ils comprennent mieux ce à quoi ils étaient destinés et que, le moment venu, ils soient prêts à mieux accomplir leur charge, comme je le montrerai, bientôt, plus en détail.

Jérôme, après avoir divisé l’Église en cinq catégories, nomme les évêques, ensuite, les anciens, troisièmement, les diacres, puis la masse des croyants et, finalement, les personnes qui n’étaient pas encore baptisées, mais qui s’étaient présentées pour être instruites dans la foi chrétienne avant de recevoir le baptême. Il n’attribue de classement ni au reste du clergé, ni aux moines.

2. La position de l’évêque

Dans l’Église primitive, on appelait «anciens » tous ceux qui avaient la charge d’enseigner. Ces anciens en élisaient un d’entre eux dans chaque ville, auquel ils donnaient le titre spécial d’« évêque», afin qu’aucun conflit ne surgisse à propos de l’égalité, comme cela arrive souvent. L’évêque n’était pas supérieur à ses pairs en dignité et en honneur, comme s’il avait la seigneurie sur eux. Il exerçait la fonction de président dans le conseil, proposant les sujets, s’informant des opinions, dirigeant les autres par de bons conseils et des exhortations, empêchant par son autorité qu’il y ait des conflits et mettant en application ce qui avait été décidé d’un commun accord. Telle était la fonction de l’évêque parmi les anciens.

Les Pères anciens reconnaissent que cela a été introduit d’un commun accord sous la pression des circonstances. Jérôme, à propos de l’épître de Paul à Tite, déclare : Un ancien et un évêque, c’était tout un. Et avant qu’à l’instigation du diable, des clans se soient formés dans la chrétienté et que l’un dise « Moi, je suis de Paul ! et un autre, moi d’Apollos ! » (1 Corinthiens 3.4), les Églises étaient gouvernées, en commun, par le conseil des anciens. Ensuite, pour arracher la pomme de discorde, la charge a été confiée à un seul. C’est pourquoi, de même que les anciens savent qu’ils sont soumis, selon la coutume de l’Église, à l’évêque qui a prééminence sur eux, l’évêque sait que c’est plus en raison de la coutume que par une disposition du Seigneur, qu’il est supérieur aux anciens et qu’il lui revient de diriger l’Église en commun avec eux. Cependant, en un autre lieu, Jérôme montre combien cette manière de procéder est ancienne ; il dit, en effet, qu’à Alexandrie, depuis l’époque de Marc l’évangéliste, les anciens élisaient toujours l’un d’entre eux pour présider et qu’ils l’appelaient évêque.

Ainsi, chaque ville avait un collège d’anciens qui étaient des pasteurs et des docteurs, car tous avaient la charge d’enseigner le peuple, de l’exhorter et de le corriger, comme Paul recommande aux évêques de le faire. Et, afin de laisser des successeurs après eux, ils formaient des jeunes qui étaient reçus dans le clergé pour leur succéder. Chaque ville avait sa circonscription qu’elle fournissait en anciens. Ainsi, tant les habitants de la ville que ceux des campagnes constituaient un seul corps d’Église. Si chaque collège avait son évêque, c’était seulement pour la discipline et afin de maintenir la paix. L’évêque surpassait les autres en dignité tout en restant un membre de l’assemblée. Si une circonscription était si grande que l’évêque ne pouvait pas s’acquitter partout de sa charge, on élisait des anciens en certains lieux pour le remplacer dans les affaires de moindre importance. On les appelait « évêques ruraux», puisqu’ils représentaient l’évêque dans le pays.

3. le ministère de la Parole de Dieu et des sacrements

La charge tant des évêques que des anciens était de répandre la Parole de Dieu et d’administrer les sacrements. Il est arrivé une fois, à Alexandrie, qu’il a été interdit à un ancien de prêcher parce qu’Arius y avait troublé l’Église, comme le raconte Socrate dans l’Histoire tripartite, livre IX ; Jérôme critique cette action à juste titre.

Il aurait été monstrueux pour quelqu’un de se vanter d’être évêque sans s’acquitter de sa charge. En ce temps-là, donc, la discipline voulait que tous les ministres soient contraints d’accomplir leur charge telle que Dieu le leur enjoignait. Je pense que cela ne concernait pas qu’une époque, mais toutes les époques. Même au temps de Grégoire, alors que l’Église se portait vraiment mal, ou pour le moins avait bien dépéri, il n’aurait pas été tolérable qu’un évêque refuse de prêcher. Grégoire indique, dans un passage, qu’un ministre est coupable de mort si on n’entend pas le son de sa voix, car il provoque la colère de Dieu contre lui en ne prêchant pas. Dans un autre passage, il dit : Quand Paul proteste : « Je suis pur du sang de vous tous» (Actes 20.26), nous tous qui sommes ministres sommes cités à comparaître devant un tribunal et accusés et déclarés coupables, puisqu’en plus de nos propres maux, nous sommes coupables de la mort des autres ; car, nous en tuons autant qu’il en meurt quotidiennement, tandis que nous nous reposons et nous taisons. Grégoire estime que lui et les autres sont « silencieux », puisqu’ils ne sont pas aussi assidus au travail qu’ils devraient l’être. Étant donné qu’il ne pardonne pas à ceux qui faisaient leur travail à moitié, que pensez-vous qu’il aurait fait à celui qui s’en serait abstenu totalement ?

Pendant longtemps, dans l’Église, la charge principale de l’évêque a été de nourrir le peuple avec la Parole de Dieu, ou d’édifier l’Église, tant en public qu’en privé, par la saine doctrine.

4. Les archevêques et les patriarches

Pour conserver l’ordre ecclésiastique, au concile de Nicée, il a été ordonné que, comme chaque province avait un archevêque, des patriarches soient établis au-dessus d’eux en dignité et en honneur. Comme l’usage n’en était pas fréquent, j’aurai renoncé à en parler, mais il est bon de le noter, ici, en passant.

Cet ordre a été institué principalement pour la raison suivante : s’il survenait dans une Église une difficulté impossible à résoudre par quelques personnes, elle était transmise au synode provincial. Si l’importance ou la difficulté du sujet nécessitait d’aller plus loin, celui-ci était transmis aux patriarches qui convoquaient un concile des évêques de leur juridiction et, de là, le seul appel possible était devant le concile général.

Certains ont prononcé le terme de « hiérarchie » à propos de cette organisation, terme au minimum impropre, me semble-t-il, car il ne correspond à rien dans l’Écriture. Le Saint-Esprit a voulu éviter, lorsqu’il est question de la direction de l’Église, qu’on imagine quelque pouvoir ou domination. Et si l’on examine la réalité sans se laisser arrêter par le terme, on verra que les évêques d’autrefois n’ont pas envisagé une manière de diriger l’Église différente de celle que Dieu a prévue dans sa Parole.


  1. Les chapitres IV-Vll sont de nature historique. Calvin utilise une quantité importante de sources dans le but de montrer que le projet des Églises de la Réforme s’inscrivait largement en continuité avec la pratique biblique et celle de l’Église primitive.[]
  2. Cf. IC, IV, XII.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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