Les égalitariens nient l’existence du genre masculin/féminin
30 septembre 2020

Au cours de ma lecture du livre Discovering Biblical Equality 1 j’ai lu cette citation étonnante:

Quand Piper nous dit que les rôles différents de l’homme et de la femme “ne sont jamais reliés à la chute dans le péché”, il a sans doute raison, vu que l’idée de “rôles” est une notion sociologique moderne et que la Bible ne les mentionne jamais. Un but souvent revendiqué par les traditionnalistes évangéliques est une virilité et une féminité épanouies. Pourtant la Bible ne dit rien à ce sujet non plus, mais exhorte plutôt tous les croyants sans distinction à être remplis de l’Esprit saint et conformes à l’image de Christ. Vu que la masculinité et la féminité sont des concepts qui ne sont nulle part expliqués dans les Ecritures, c’est sans surprise que les “définitions” que Piper en donne sont en fait des résumés de ses propres conclusions au sujet de ces deux réifications plutôt mystiques.

McGregor Wright,  R.K. « God, metaphor and gender: Is the God of the Bible a Male Deity? », in Discovering Biblical Equality, IVP Academic, 2012, p. 299.

Vous avez bien lu : la notion d’« homme » et de « femme » est une réification mystique sans contenu réel, et qui n’existe pas dans la Bible. Je suppose donc que les enfants viennent par parthénogénèse, d’après R.K. McGregor Wright. 

Or, il n’est pas le seul à avoir ce genre d’excès : s’il est le plus outrancier, beaucoup d’autres auteurs de cet ouvrage collectif rabaissent le genre à quelque chose d’insignifiant à un moment ou un autre de leurs contributions. Et nous allons aussi le voir, c’est tout à fait conforme avec la logique égalitarienne.

L’esprit humain agenre de Groothuis

Dans son chapitre sur la logique du complémentarianisme, Rebecca M. Groothuis commence par établir l’absence de distinction des genres dans la relation avec Dieu:

Si hommes et femmes sont égaux devant Dieu, alors sûrement Dieu désire la même sorte de relation avec les croyants femmes qu’avec les croyants hommes. Il n’y a pas de raison de croire que le traitement et les attentes de Dieu quant aux femmes en ce qui concerne les sujets spirituels soient très différents du traitement et des attentes de Dieu quant aux hommes.

Groothuis, Rebecca, « Equal in being, inequal in role », in Discovering Biblical Equality, IVP Academic, 2012, p. 310.

Il n’y a pas lieu de critiquer ici la cohérence de ce qu’avance Groothuis : effectivement, si hommes et femmes sont égaux, alors il y a une sorte de neutralité spirituelle entre Dieu et le genre. À ceci près que pour Rachel Groothuis, c’est l’esprit humain lui-même qui est agenre.

Le but n’est pas de diminuer la valeur de la maternité, mais de faire remarquer que si porter et prendre soin des enfants sont distinctement féminins, ces caractères ne sont pas en eux-mêmes des capacités proprement humaines (telles que la rationalité de haut niveau).

Op. cit.., p. 309.

Arrêtons-nous un instant sur cette citation : 

  • Groothuis développe ici une anthropologie extrêmement platoniste, qui sépare au-delà de ce qui est permis l’esprit et le corps. 
  • À ce compte-là, on peut dire que notre corps tout entier n’a rien d’humain. Avortez et moissonnez donc, messieurs les vampires : ce n’est là qu’un tas de viande animale. L’humanité est dans l’esprit seul.
  • Dans la pratique, cela veut surtout dire que le genre est une réalité purement matérielle, et qui n’existe pas spirituellement.

C’est par ailleurs très semblable à ce que dit McGregor Wright, dont l’outrance a ouvert ce chapitre:

Clairement la personnalité est plus centrale dans la nature humaine que le sexe. Le simple fait que de nombreuses personnes qui ont expérimenté un « changement de sexe » et qu’ils vivent incognito parmi nous montre que le sexe est une catégorie bien plus superficielle que la personnalité. Il faut aussi remarquer que les êtres humains partagent la sexualité avec les chevaux et les papillons, et avec beaucoup de plantes, bien qu’ils ne partagent pas l’image de Dieu  avec aucun d’entre eux. Les preuves créationnelles montrent que la sexualité est basée sur la biologie plutôt que la spiritualité.

McGregor Wright, R.K, « God, metaphor and gender: Is the God of the Bible a Male Deity? », in Discovering Biblical Equality, IVP Academic, 2012, p. 287.

Le problème, c’est que le sexe et le genre sont aussi des réalités mentales. L’esprit des hommes et des femmes est différent en général. Pour plus de détails sur ce point, je vous renvoie vers The End of Gender de Debrah Soh. Je prévois également de revenir sur ce point et de livrer ma propre analyse de ce sujet, quand j’aurai lu davantage.

Pour cet article, il suffira de voir que même si Rebecca M. Groothuis (l’éditrice de cet ouvrage, rappelons-le) n’a pas l’excès de R.K. McGregor Wright, ils sont en réalité d’accord sur le fond: le sexe est un artefact matériel, et l’esprit est purement agenre.

R. K. McGregor Wright
Rebecca Merill Groothuis

Le genre n’a aucune importance

Cynthia Neal Kimball utilise un autre angle : le genre masculin ou féminin ne fait tout simplement aucune différence.

Ce qui est critique, c’est qu’à la fois les hommes et les femmes aient à cœur ces priorités du Royaume de Dieu, pour être des modèles et éduquer leurs enfants d’une façon qui honore la rédemption et la liberté chrétienne responsable basée sur les dons gratuits de Dieu, et non sur des attentes de rôles rigides. Ce qui est important, c’est que nous nous efforcions de devenir des êtres humains épanouis et authentiques, et non de simples répétitions des clichés traditionnels de l’homme et de la femme.

Kimball, Cynthia Neal, « Nature, Culture and Gender Complementarity », in Discovering Biblical Equality, IVP Academic, 2012, p. 478.

Ainsi, un peu comme Judith Butler, Cynthia N. Kimball soutient que le genre est avant tout un rôle culturel, et qu’il ne détermine ni n’exprime la personnalité. Cette position est proche de celle de la philosophe lesbienne Monique Wittig :

Pour Monique Wittig, la restriction binaire des sexes sert les buts reproductifs du système hétérosexuel obligatoire ; de temps en temps, elle affirme que le renversement de l’hétérosexualité obligatoire va inaugurer un vrai humanisme de “la personne” libéré des chaînes du sexe

Butler, Judith, Gender Trouble:  Feminism and the Subversion of Identity, Londres : Routledge, 1999, p.26.

Tout comme Wittig, Kimball parle de la vraie libération de la personne qui viendra quand on mettra enfin de côté ces artefacts culturels de « sexe ». Je me demande si Kimball l’évangélique est d’accord quant a à l’« héterosexualité obligatoire». 

Monique Wittig, philosophe lesbienne des années 70
Cynthia N. Kimball, professeur de psychologie au Wheaton College

Le mariage indifférent au genre

De même, on ne verra pas de différence entre « homme » et « femme » dans le mariage égalitarien. On pourrait tout aussi bien parler de « conjoint 1» et « conjoint 2», mais ce serait introduire les semences d’une diabolique hiérarchie.

C’est ainsi que Judith et Jack Balswick consacrent l’intégralité de leur chapitre sur la pratique du mariage égalitarien à soigneusement éviter toute distinction, même purement formelle, entre homme et femme. C’est ainsi qu’ils suggèrent :

Au lieu de dépenser toute cette énergie à gagner un petit point sur l’autre, il est plus sensé pour les deux époux d’être puissant à 100 %. Dans un mariage de soumission mutuelle, les deux époux atteignent leur plein potentiel et doublent tous les deux la satisfaction de leurs relations.

Balswick, Judith K. et Balswick, Jack O., « Marriage as a partnership of equals »:, in Discovering Biblical Equality, IVP Academic, 2012, p. 451.

Plusieurs remarques:

  • Le refus absolu de distinguer homme et femme. Il n’y a que deux individus dont le genre se dissout dans l’unité du mariage.
  • Depuis quand le mariage a-t-il pour but de satisfaire une relation ? D’épanouir les individus ? C’est bien plus proche de l’existentialisme que de la philosophie biblique.

Ce défaut, particulièrement visible ici, est en réalité présent dans tous les chapitres qui parlent du mariage. Il n’y a pas une seule définition de la virilité ou de la féminité dans Discovering Biblical Equality : les auteurs sont trop occupés à détruire ce qui fait leur différence.

En effet, à partir du moment où vous abolissez la hiérarchie et l’autorité, vous obtenez une égalité radicale où seuls des individus se différencient des individus. Réfléchir par groupe (hommes vs femmes) n’a plus de sens possible. Pire même, c’est faire le jeu des vilains hiérarchistes. Ainsi Liefield écrit:

Le but de l’autorité est de glorifier le Seigneur et de faciliter sa mission dans le monde. Les anciens et les pasteurs sont d’abord des bergers, et non des chefs. La direction est une forme de service. Quand on devient obsédé par la question « qui est le chef ? », nous pouvons obscurcir une question plus importante : qui est le serviteur ?  

Liefeld, Walter L., « The nature of authority in the New Testament », in Discovering Biblical Equality, IVP Academic, 2012, p. 271.

Pourtant, dans mon souvenir le berger est un chef, et même un chef avec énormément de pouvoir. Le berger interdit à son troupeau d’aller à gauche, lui ordonne d’aller à droite, lui dit quelle herbe manger et quand, voire le tond et le mange quand ça lui prend. Comment peut-on être aveugle jusqu’à opposer « berger » à « chef » ? 

Ceci mis à part, l’autorité définie par Liefeld ne permet pas de distinction : il n’y a que des serviteurs, et seule l’individualité sans mention de genre ou d’autre chose que la compétence permet de les distinguer.

Jack et Judith Balswick
Walter Liefield

Je me demande pourquoi ils s’opposent à la théorie du genre de Butler. À moins que ce ne soit pas le cas ?

Conclusion

D’autres détails pourraient être ajoutés, mais il est important ici de se souvenir que la binarité des genres et des sexes n’est pas un accident : elle est la condition première du mandat créationnel (multipliez-vous…) et la binarité des sexes est la première description du genre humain (Dieu les créa mâle et femelle). En niant ou méprisant aussi vulgairement l’existence objective et la centralité du genre, les auteurs égalitariens de Discovering Biblical Equality défigurent la Création. Et c’est d’autant plus absurde que cette différence, non seulement des sexes, mais aussi des genres est attesté scientifiquement. Ainsi la sexologue2 Debrah Soh écrit:

La science qui favorise les explications biologiques du genre est sans rivale. Comme je l’ai dit dans le chapitre 2, les influences sociales peuvent affecter l’extension de l’expression des intérêts et des comportements d’une personne, mais elle ne peuvent pas surmonter les préférences sous-jacentes en elles-mêmes. Le genre est déterminé par l’exposition aux hormones prénatales, plutôt que les normes genrées coercitives imposées aux enfants dès la première minute après leur naissance.

Soh, Debrah, The End of Gender: Debunking the Myths about Sex and Identity in Our Society, New York : Threshold Editions, 2020, p. 170.

Les égalitariens n’ont donc pas d’excuses.

Bibliographie

  • Balswick, Judith K. et Balswick, Jack O., « Marriage as a partnership of equals », in Discovering Biblical Equality, IVP Academic, 2012, p. 448‑463.
  • Groothuis, Rachel, « Equal in being, inequal in role: Exploring the logic of woman’s subordination », in Discovering Biblical Equality, IVP Academic, 2012, p. 301‑333.
  • Kimball, Cinthya Neal, « Nature, Culture and Gender Complementarity », in Discovering Biblical Equality, IVP Academic, 2012, p. 464‑480.
  • McGregor Wright, R.K, « God, metaphor and gender: Is the God of the Bible a Male Deity? », in Discovering Biblical Equality, IVP Academic, 2012, p. 287‑300.
  • Soh, Debrah, The End of Gender: Debunking the Myths about Sex and Identity in Our Society, New York : Threshold Editions, 2020, 337 p.

Illustration: Charles Rochussen, Kermistheater, 1869 (détail).


  1. Ouvrage collectif qui est le pendant de Recovering Biblical Manhood et Womanhood.[]
  2. Neuroscientifique étudiant la sexualité du cerveau humain.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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