La présence réelle… du pain chez Saint-Augustin
5 décembre 2020

Une des raisons pour lesquelles les réformés rejettent la doctrine de la transsubstantiation est qu’elle revient à faire Dieu menteur. En effet, ce serait trompeur de présenter à son Église l’apparence d’un pain sans que la réalité du pain soit aussi présente. Or le dogme de la Transsubstantiation n’enseigne pas simplement la présence réelle du Christ mais nie la présence réelle du pain. Autrement dit, les papistes doivent croire que bien qu’ils tiennent dans leurs mains ce qui a le goût, la couleur et toutes les caractéristiques du pain, il n’y a en fait pas de pain dans leurs mains. Pour les réformés, cela répugne aux sens et à la raison. Les miracles de Dieu ne trompent point. Ils ne détruisent pas la nature créée mais la sanctifient pour une œuvre de grâce.

De même, les réformés maintiennent que le Christ nous est réellement offert, corps et âme, humanité et divinité par la vertu de son Saint-Esprit dans la Cène1. Présence réelle du Christ donc, mais présence réelle du pain, aussi. Les réformés affirment encore que les Pères de l’Église, et en particulier Augustin, ne soutenaient pas une telle transformation des éléments (mais qu’ils confessaient, bien évidemment, une présence réelle du Christ que nous confessons aussi).

Ayant ce débat en tête, un passage du Combat chrétien (De Agone Christiano) de saint Augustin m’a frappé lors de ma lecture suivie de ses œuvres. Dans celui-ci, l’évêque d’Hippone répond à ceux qui jugent impossible que le Fils de Dieu soit né d’une femme. Il répond en montrant que cela ne répugne pas à la raison et mentionne en passant l’épisode où le Saint-Esprit descendit sous la forme d’une colombe sur le Christ lors de son baptême. Voici l’extrait en question :

Aussi ne disons-nous pas que Jésus-Christ seul s’est revêtu réellement d’un corps, tandis que le Saint-Esprit se serait montré aux yeux des hommes, sous de fausses apparences ; nous affirmons que nous croyons à ces deux corps, que ces deux corps sont vrais. Si le Fils de Dieu ne devait pas tromper les hommes, le Saint-Esprit non plus ne pouvait les abuser. Mais à Dieu, qui a tiré du néant toute créature, il n’était pas plus difficile de former en dehors des lois de la nature un vrai corps de colombe, que de créer un corps dans le sein de Marie, sans le concours de l’homme. Dans le sein de la femme pour former l’homme, comme dans le ciel même pour créer une colombe, la nature n’obéissait-elle pas à la volonté souveraine du Seigneur ? 

De Agone Christiano, XXII, 24.

Pour Augustin, il était inconcevable que le Saint-Esprit fût apparu uniquement sous l’apparence d’une colombe. Le miracle a consisté en ce que Dieu créât un vrai corps de colombe pour être le signe de la présence et de l’action de l’Esprit divin. Autrement, Dieu aurait abusé des hommes. Comme le traduit B. Roland-Gosselin, “il ne convenait pas que l’Esprit-Saint trompât les hommes”.

Fait intéressant, Jean Calvin lui-même donne comme illustration de la doctrine réformée de la Cène cet épisode des Évangiles dans son Petit Traité de la Sainte-Cène.

Notre Seigneur voulant faire apparaître son Esprit au baptême de Christ, le représenta sous la figure d’une colombe. Saint Jean-Baptiste, rapportant cette histoire, dit qu’il a vu le Saint-Esprit descendre. Si nous nous enquérons de plus près, nous trouverons qu’il n’a vu que la colombe, vu que le Saint-Esprit en son essence est invisible. Toutefois, sachant que cette vision n’était pas une vaine figure, mais un signe certain de la présence du Saint-Esprit, il ne douta pas et dit qu’il avait vu l’Esprit car il s’est manifesté à lui selon sa capacité. Ainsi en est-il de la communication que nous avons au corps et au sang du Seigneur Jésus. C’est un mystère spirituel, qui ne peut se voir à l’œil, ni se comprendre par l’intelligence humaine. Il nous est donc représenté par des signes visibles, puisque notre faiblesse le requiert, de telle façon néanmoins que ce n’est pas une figure nue, mais conjointe avec sa vérité et substance. C’est donc à bon droit que le pain est nommé corps, puisque non seulement il nous le représente, mais aussi nous le présente.

Ainsi, pour Calvin, tout comme l’Esprit était réellement présent sous la figure d’une colombe (qui était une véritable colombe), Christ est réellement présent sous la figure des espèces du pain et du vin, qui demeurent vrai pain et vrai vin.

Si, pour Augustin, il aurait été malhonnête de la part de Dieu de nous présenter une colombe qui ne fût qu’une apparence de colombe, lorsqu’il s’agit de nous communiquer par un signe la présence de son Esprit, comment croire qu’il aurait jugé honnête que le Christ fût offert à notre âme comme notre pain, sans que ce ne fût plus qu’une apparence de pain ?

Illustration en couverture : Philippe de Champaigne, Saint Augustin, huile sur toile, 1645-1650 (Musée d’art du comté de Los Angeles).


  1. « Si Dieu ne peut tromper ni mentir, il s’ensuit qu’il accomplit tout ce qu’il signifie. Il faut donc que nous recevions vraiment en la Cène le corps et le sang de Jésus-Christ, puisque le Seigneur nous y représente la communion de l’un et de l’autre. » CALVIN Jean, Petit Traité de la Sainte-Cène, modernisé par votre serviteur. Voir encore notre article sur la tradition réformée et la Cène.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

6 Commentaires

  1. Samuel

    Y’a des réformés qui rejettent toute présence réelle (consubstantielle); pourquoi ne pas avoir abordé la question et s’être contenter de fustiger les papistes? Lol

    Réponse
    • Maxime Georgel

      Bonjour,

      Alors non, il n’y a pas de réformés qui rejettent toute présence réelle consubstantielle pour deux raisons :

      1) Nous ne croyons pas à la consubstantiation, tous les réformés rejettent donc cela…

      2) Si l’on rejette la présence du Christ dans la Cène, on ne peut pas prétendre adhérer à une confession réformée qui sont toutes claires sur ce sujet

      Ensuite, j’ai bien critiqué ceux qui nient que Christ nous soit offert corps et âme dans la Cène en début d’article mais surtout je l’ai fait dans d’autres articles (une dizaine environ) sur le blog.

      Finalement, cet extrait d’Augustin est à propos pour critiquer ceux qui nient la présence réelle du pain, pas pour ceux qui nient la présence réelle du Christ, puisque les accidents du Christ sont absents quoi qu’il en soit.

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      • Manu

        Bonjour Maxime,

        Quelle est votre point de vue sur la doctrine luthérienne de la Sainte-Cène ? Tu viens de dire que les réformés rejettent le point de vue luthérien (consubstantiation) mais la Concorde de Wittemberg signée en 1536 par Bucer,Luther et Melanchthon et accepté par Calvin, dispose d’une déclaration commune sur l’eucharistie ou ils disent:
        I

        Ils confessent, conformément aux paroles de st Irénée (1), que l’Eucharistie consiste en deux choses: l’une terrestre et l’autre céleste.

        Ils affirment et enseignent, donc, que, avec le pain et le vin, le corps et le sang du Christ sont réellement et substantiellement présents, offerts et reçus.

        II

        Et quoiqu’ils nient la transsubstantiation, et ne croient pas qu’il y ait une inclusion locale dans le pain, ou une connexion quelconque en dehors de l’usage du sacrement, ils concèdent cependant que, par l’union sacramentelle , le pain est le corps du Christ; c’est-à-dire qu’ils soutiennent que, lorsque le pain est présenté, le corps du Christ est en même temps présent et réellement offert.

        Mais en dehors de l’usage, lorsque le pain est placé dans le ciboire ou promené en processions –comme cela se fait dans le papisme– ils croient que le corps du Christ n’est pas présent.

        Personnellement je suis satisfait du point de vue luthérien et réformé sur ce sacrement, car j’estime que les deux parties sont d’accord sur une chose fondamentale mais diffèrent dans leurs manières d’expliquer.

        Fraternellement,

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        • Maxime Georgel

          Bonjour,

          La doctrine luthérienne et la doctrine réformée diffèrent en ceci que la réformée n’implique pas de transférer à la nature humaine du Christ ce qui ne convient qu’à sa nature divine. En effet, pour prétendre que le Christ est corporellement présent en de multiples lieux, il faut attribuer l’ubiquité à l’humanité du Christ. Les luthériens parlent de communication des idiomes d’une nature à l’autre. Mais c’est tout simplement une contradiction de Chalcédoine qui nous enseigne à ne pas confondre les caractéristiques propres à chaque nature. Or si l’on communique ne serait-ce qu’un attribut divin à la nature humaine, on confond les deux natures car l’essence divine toute entière est alors communiquée, étant donné que chaque attribut EST l’essence purement et simplement. Ainsi, il faut maintenir que Christ est aux cieux corporellement, que le pain est fait signe de ce corps de telle sorte que le vrai corps est donné par la foi aux fidèles qui prennent par la bouche le pain, par la vertu de l’Esprit unissant les espèces à Christ. Il est difficile d’exprimer comment cela se fait et il est plus aisé de dire comme cela ne se fait pas :
          1. Cela ne se fait pas en détruisant la nature du pain, contre les papistes.
          2. Cela ne se fait pas en attribuant à la nature humaine des caractéristiques divines, contre les luthériens.

          Réponse
          • Manu

            Je comprends ta réponse , mais que fais-tu de la Concorde de Wittemberg (1536) ou luthériens et réformés signent une déclaration commune sur l’eucharistie ? En effet si les aïeux de la Réforme magistérielle se sont concertés pour être d’accord sur une vision commune sur la sacrement de la table du Seigneur, alors il faut dépasser les anathèmes ou critiques lancés par chacun, car sinon ça reviendrait à être plus calviniste que Calvin ou luthérien que Luther.

            Je pense que cette donnée doit être pris en compte, car ce blog à vocation à être irénique envers les traditions luthériennes et anglicanes, or nous avons la chance de disposer de solides concordes et déclarations signées par les réformateurs bien avant œcuménisme moderne 🙂

            Je vous donne en pièce jointe un article qui dégage la vision commune de cette concorde sur la Cène: http://blog-confessant.blogspot.com/2020/05/annotations-sur-la-concorde-de_24.html

          • Maxime Georgel

            La Concorde n’empêche pas le débat. Les luthériens ont tort et leur erreur est sérieuse. Mais je suis aussi d’avis qu’une formulation générale puisse exister sur la Cène, comme celle que Calvin propose dans son petit Traité ou celle que la Concorde formule. Néanmoins, dans les implications de la position luthérienne, à savoir la communication des idiomes, l’accord n’est pas possible.

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