Dans cette série d’articles, je me propose d’interagir avec ce que Wayne A. Grudem, un théologien charismatique dont la Théologie systématique a été traduite en français, enseigne sur les dons spirituels. Parce que c’est l’édition de 1994 qui a été traduite dans notre langue, c’est avec les sections de cette édition (que j’ai consultée dans sa version originale) consacrées aux dons spirituels que j’interagirai dans ces cinq articles, en suivant simplement l’ordre dans lequel Wayne Grudem présente la matière. À chaque fois, je résumerai d’abord son enseignement de la manière la plus neutre possible (I) avant d’en proposer une évaluation située dans la tradition réformée évangélique (II).
Dans ce premier article, j’examine la première partie des deux chapitres que Grudem consacre aux dons spirituels. Le chapitre 52 de l’ouvrage sert en effet à introduire la question en traitant des dons spirituels en général (pp. 1016-1031 de l’édition originale de 1994), et la première des deux sections de ce chapitre sert à définir le sujet en question dans ces grandes lignes :
I. Les dons spirituels en général : résumé
La première chose que fait Grudem dans ce chapitre est d’apporter une définition du sujet d’étude : est un don spirituel toute capacité, naturelle ou surnaturelle, que donne Dieu et qu’utilise l’Esprit pour équiper les chrétiens dans leur service.
Il aborde tour à tour huit sujets généraux dans ce chapitre :
1. Les dons spirituels dans l’histoire du salut : Grudem affirme d’abord que le Saint-Esprit était déjà à l’œuvre sous l’ancienne alliance sans que sa puissance n’ait cependant été pleinement déployée à cette époque. Cette puissance était toutefois perçue par anticipation par les prophètes et annoncée par Jean-Baptiste comme imminente. Cette puissance se manifeste pleinement lors de l’inauguration du royaume, suprêmement en la personne de Jésus-Christ, mais également en celle des Douze et des Soixante-Dix durant son ministère terrestre, puis dans l’Église tout entière à partir de la Pentecôte. Grudem affirme très fort que l’intensité des manifestations de puissance de l’Esprit et la distribution de dons spirituels à tous les croyants caractérisent la Nouvelle Alliance.
2. La finalité des dons spirituels sous la nouvelle alliance : Grudem affirme que les dons spirituels sont donnés pour que l’Église puisse remplir sa mission jusqu’à ce que le Christ revienne. Ils doivent donc être utilisés principalement pour édifier l’Église. De manière annexe, les dons spirituels donnent un avant-goût de ce que sera le siècle à venir.
3. Combien y a-t-il de don ? Grudem remarque que les six listes de dons spirituels que contient le Nouveau Testament sont assez différentes les unes des autres. Aucune d’entre elles n’est donc exhaustive, et un certain nombre de dons cités semblent se superposer à d’autres. Le nombre de dons auquel on arrivera dépend donc en fait du degré de précision qu’on souhaite atteindre dans l’établissement d’une telle liste. Plusieurs classifications des dons sont possibles : (i) on peut distinguer les dons de paroles et les dons de service, (ii) on peut distinguer les dons prophétiques des dons sacerdotaux et royaux, (iii) on peut distinguer les dons de connaissance des dons de puissance et de parole. Grudem signale que le plus important n’est pas tant de proposer une classification et de déterminer le nombre exact des dons spirituels que de se rendre compte de la diversité des dons que confère l’Esprit. Un corollaire pratique important est que, puisque Dieu nous a constitués en un seul corps, chacun avec des dons différents, nous devons apprendre à vivre en dépendant les uns des autres.
4. Les dons varient en intensité dans leur manifestation : Grudem énonce qu’un même don, chez des personnes différentes mais aussi à des moments différents, peut varier en intensité dans ses manifestations selon le bon plaisir de l’Esprit et selon des facteurs humains telle que l’expérience, l’entraînement, la sagesse et la capacité naturelle de la personne à utiliser ce don. Grudem estime qu’il n’est d’ailleurs pas toujours facile de distinguer entre ce qui relève de l’exercice d’un don spirituel, d’une capacité naturelle ou même d’une mission générale qui est confiée à tous les chrétiens : Grudem conçoit les dons spirituels comme relevant souvent des intensifications chez des chrétiens particuliers de phénomènes que la plupart des chrétiens connaissent à un niveau moindre. Grudem ajoute alors qu’un don spirituel a cependant pour caractéristique d’être suffisamment puissant dans sa manifestation pour être profitable à l’Église.
5. Les dons sont-ils possédés de manière temporaire ou permanente ? Grudem estime que le langage du Nouveau Testament suggère que dans la plupart des cas les dons sont possédés de manière permanente par les individus qui les ont reçus. Il énonce toutefois que cela ne peut être vrai des dons qui sont en fait des états (célibat et mariage) ou qui sont donnés pour une occasion bien précise. De plus, il signale qu’il ne faut pas oublier que l’Esprit est souverain dans l’exercice des dons et qu’il peut reprendre ce qu’il a donné, même si Grudem considère que le Saint-Esprit à l’habitude d’accorder ses dons de manière permanente aux personnes qui les reçoivent.
6. Les dons sont-ils nécessairement miraculeux ? Pour Grudem, la réponse à cette question dépend de la définition que l’on donne du miracle : si l’on conçoit le miracle comme une activité extraordinaire de Dieu qui suscite l’étonnement, il lui semble devoir répondre par la négative à cette question. L’Esprit est en effet aussi bien à l’œuvre dans les dons miraculeux que dans les dons non miraculeux.
7. Découvrir et rechercher les dons spirituels : Grudem en vient à l’une des question les plus courantes à ce sujet. Puisque chacun a reçu au moins un don, comment savoir quel est le sien ? Selon lui, la démarche la plus efficace consiste à se demander quelles sont les opportunités de ministères au sein de l’Église et à s’impliquer en tenant compte de ses aspirations et capacités. Pour ce qui est de rechercher des dons spirituels supplémentaires, tous les chrétiens peuvent le faire en les demandant à Dieu avec une bonne motivation, c’est-à-dire par amour et dans le but d’édifier l’Église, et en cherchant des opportunités pour voir si ce don est accordé, tout en continuant à exercer sans les négliger les dons qu’ils ont reçu auparavant. Grudem signale qu’il ne faut cependant pas oublier la souveraineté de l’Esprit dans la dispensation des dons.
8. Les dons spirituels ne sont pas nécessairement des signes de maturité spirituelle : Grudem conclut avec une forme de mise en garde. Il signale en effet que les dons spirituels sont donnés pour que l’Église soit édifiée et non pour servir d’indicateur de maturité spirituelle, et d’ailleurs tout croyant, aussi immature soit-il, possède au moins un don !
II. Évaluation
Commençons par signaler que Grudem a totalement raison de fournir une définition des dons spirituels qui soit suffisamment large pour inclure les dons non miraculeux. De cette façon, notre attention n’est pas immédiatement détournée vers des questions telles que le débat sur la continuation/cessation des dons, et la nature exacte de dons miraculeux particuliers tels que la prophétie et les langues. C’est un choix judicieux, à mon avis, de traiter des dons qui font débat dans un chapitre ultérieur (chap. 53).
Bien que Grudem note à juste titre que les dons spirituels devraient être étudiés dans le cadre général de l’histoire du salut, je me demande si nous devrions dire que la Nouvelle Alliance est caractérisée par une plus grande puissance de l’Esprit saint. C’est une chose de dire que le langage des dons spirituels est plus important en cette ère de l’historia salutis, c’en est une autre de dire que leur réalité ou leur présence est nécessairement plus grande. De la même manière que la régénération n’était pas une catégorie de langage de l’Ancien Testament (parce que c’était encore le temps de la promesse) mais qu’il est toutefois impératif au plan dogmatique d’admettre que les saints de l’Ancien Testament étaient régénérés autant que nous, de même, il se pourrait fort bien que l’Esprit, au temps de la promesse, déversait ses dons sur son peuple de l’Ancien Testament tout autant qu’à nous, même s’ils n’étaient sans doute pas aussi conscients que nous qu’il s’agissait là de dons de l’Esprit.
Une deuxième affirmation de Grudem qui mérite d’être nuancée est celle par laquelle il déclare que les dons spirituels sont donnés à l’Église pour qu’elle exerce son ministère jusqu’au retour du Christ. C’est certes tout à fait juste, et à vrai dire, personne ne conteste cela ! Mais dire cela, ce n’est pas dire que tous les dons spirituels manifestés lors de l’établissement de l’Église du Nouveau Testament doivent nécessairement tous perdurer sans exception jusqu’à son retour… Il est possible en effet que certains des dons mentionnés dans le Nouveau Testament aient eu un caractère fondateur, et qu’une fois les fondations jetées, ces dons puissent avoir cessé. Dire que l’Église aura besoin des dons spirituels jusqu’à la parousie, ce n’est donc pas dire qu’elle aura besoin de chacun d’entre eux jusque-là. Il faudra y revenir dans la suite de cette série d’articles…
Quand à la discussion sur le nombre précis de dons que nous sommes susceptibles de trouver dans le Nouveau Testament, elle m’a toujours paru vaine, en particulier parce que certains des dons nommés dans le Nouveau Testament n’y sont pas du tout définis et que le contexte immédiat ne permet pas de savoir ce dont il était alors précisément question. Il me semble donc que la remarque de Grudem selon laquelle aucune liste exhaustive de dons ne peut être établie est à accueillir chaleureusement : ce qui compte vraiment, c’est la variété des dons spirituels. Le corollaire pratique de cette affirmation est plus crucial encore : que nous avons besoin les uns des autres dans l’Église.
J’ai enfin été convaincu par les arguments de Grudem selon lesquels les dons peuvent varier en force et j’ai été très impressionné par son argumentation nuancée en faveur de la permanence de la plupart des dons spirituels. Les étapes pratiques qu’il décrit pour découvrir son ou ses dons et pour rechercher des dons supplémentaires étaient, à mon avis, équilibrées et sages. Et la mise en garde qu’il donne sur le fait de ne pas nécessairement relier la possession de dons à la maturité chrétienne est évidemment des plus nécessaires dans une théologie systématique charismatique comme l’est celle de Grudem. Des deux chapitres sur les dons spirituels proposés par Wayne Grudem, celui-ci n’est donc pas le plus problématique… Et je prévois donc de m’attarder plus longuement sur le chapitre suivant, ce qui nous conduira à parler, entre autres, au don de prophétie, des miracles et du parler en langues. Avant cela, toutefois, il nous faudra nous pencher sur la présentation que Grudem fait du débat entre cessationisme et continuationisme. C’est ce que nous ferons dans le prochain article.
Illustration : La Pentecôte dans le missel de Sherbrooke, parchemin du XIVe siècle originaire d’Angleterre (bibliothèque nationale du pays de Galles).
Bonjour
pourriez-vous expliquer les différences entre une théologie « systématique évangélique » (j’ignorais que Grudem relevait de ce courant) et une théologie de « tradition réformée évangélique », svp ?
Merci
Bonjour,
Avez-vous pensé à consulter une confession de foi réformée ? Elles donnent en quelques pages les grandes lignes de la foi réformée et l’on comprend par comparaison ce qui la distingue des évangéliques comme Grudem. Nous en proposons dans la section Ecrits des Pères du site.