Thomas d’Aquin et la beauté subjective
11 janvier 2021

Dans un article précédent j’ai introduit la pensée de Thomas d’Aquin sur la beauté. J’ai fait ressortir ses deux points de considération de cette notion : la beauté comme subjective et la beauté comme objective. Le premier fait l’objet de cet article.

I. La beauté comme subjective

Umberto Eco affirme que la définition de la beauté par l’effet apparait « tellement nouvelle, déconcertante et inusitée dans la terminologie scolastique ; en ce sens, on serait tenté de l’interpréter ni plus ni moins comme une tentative hardie de tempérer une conviction trop objectiviste qui ne permettait pas de comprendre la nature réelle du Beau1». Même si la subjectivité de la beauté semble menacer la compréhension traditionnelle de cette notion, ce n’est pas le cas. Thomas d’Aquin n’a pas eu peur d’aborder cette partie de la réalité et le fait en quelques mots. Quelques mots, mais qui nous plongent dans la pensée plus large du Docteur Angélique. La perception est le premier aspect subjectif de l’expérience esthétique avant de se terminer par le plaisir ainsi défini. Le désir s’interpose entre les deux et a donc aussi sa place dans notre étude.

A. La beauté perçue

La perception sensorielle est au début de notre jugement esthétique, c’est la partie « vue » de la définition de l’expérience esthétique. Nous pouvons percevoir les réalités corporelles par nos capacités corporelles. Notre corps nous relie à notre monde, ce qui nous permet d’acquérir des connaissances sensibles. Les phénomènes physiques qui se produisent dans notre monde peuvent être perçus par nos organes. De plus, notre corps ne reste pas seul, il est formé par notre âme. En effet, l’hylémorphisme de Thomas affirme que l’âme humaine est la forme du corps et le directeur de nos capacités vivantes. Contrairement à l’âme végétative (ou nutritive) et à l’âme sensible, l’âme rationnelle — l’âme humaine — peut manifester les capacités de volonté et d’intellection ; et pas seulement celles de nutrition et de sensation.

Il existe donc chez l’homme deux types de connaissances, la connaissance sensible, commune à tous les autres animaux, et la connaissance intellectuelle, propre à l’homme. La seconde a besoin de la première : « Le corps n’est pas requis pour l’acte intellectuel à la manière d’un organe, mais en raison de l’objet qu’il lui donne2 ».  La perception de la beauté ne se limite pas à la connaissance sensible, car Thomas affirme que « le bien concerne l’appétit, puisque le bien est ce vers quoi tend tout ce qui est » tandis que « le beau, lui, concerne la faculté de connaissance3 ».

Il poursuit en disant que « parce que la connaissance se fait par assimilation » et parce que « ressemblance concerne la forme », la beauté, qui est liée à la faculté cognitive, « à proprement parler, se rapporte à la cause formelle4 ».  Au contraire, parce que la bonté est liée à l’appétit, elle appartient à la nature d’une cause finale. Ainsi, notre âme, qui nous permet d’atteindre la connaissance de réalités intelligibles à partir d’objets sensibles, peut nous amener à extraire la forme de la beauté. Elle peut extraire des réalités universelles sur la base de notre perception sensible qui nous donne les qualités sensibles de l’objet. C’est ce que l’on fait au début d’une expérience esthétique. Un désir peut alors naître.

B. La beauté désirée

L’appétit (ou le désir)5 et la bonté sont liés. En effet, Thomas soutient l’affirmation d’Aristote selon laquelle « le bien est ce à quoi on tend en toutes circonstances »6 en disant que « ce qui fait qu’un étant est bon, c’est qu’il est attirant7 ».  Parce que « le bien a raison de fin », le désir cherche à l’atteindre8. C’est un mouvement intérieur qui se produit face à un bien perçu, qui est dirigé vers la satisfaction que l’on peut éprouver en présence de ce bien.

Le bien est la cause, le début du mouvement de l’appétit. C’est aussi son terme, sa fin. Le mouvement de l’appétit est amorcé par l’objet bon et se termine en lui :

Or, dans les mouvements de l’appétit, le bien possède comme une force attractive, et le mal comme une force répulsive. Donc : 1° Le bien produit dans la puissance affective une sorte d’inclination ou d’aptitude au bien, une connaturalité avec lui ; c’est la passion de l’amour, qui a pour contraire la haine du côté du mal. 2° Si le bien n’est pas encore possédé, il donne à l’appétit du mouvement pour lui faire atteindre le bien qu’il aime, et cela ressortit à la passion du désir ou convoitise. A l’opposite, dans l’ordre du mal, on aura la fuite ou aversion. 3° Lorsque le bien est obtenu, il donne à l’appétit un certain repos en lui, qui a nom délectation ou joie. A quoi s’opposent, du côté du mal, la douleur ou tristesse9.

Il existe différents types de biens qui déterminent différents types d’appétits en raison des connaissances correspondant à chaque bien. Ainsi, la hiérarchie des biens est parallèle à la hiérarchie des connaissances et à la hiérarchie des appétits. Sevier nous donne cet ordre des appétits10. Tout d’abord, il y a l’appétit naturel qui se manifeste sans connaissance de la part de l’être lui-même. Les plantes et les objets inanimés ont ce type d’appétit. Deuxièmement, il y a l’appétit sensoriel qui se manifeste avec une certaine connaissance de certains biens sensoriels. Les animaux rationnels et non rationnels possèdent ce type d’appétit. Troisièmement, l’appétit rationnel (la volonté) « s’oriente vers les biens perçus sous la catégorie universelle du bien perçu par l’intellect4 ».  L’appétit rationnel est le privilège de l’homme.

Par conséquent, notre âme, qui nous permet d’atteindre la connaissance de réalités intelligibles à partir d’objets sensibles, peut nous amener à extraire la forme de la beauté. C’est un bien perçu sous la catégorie universelle du bien, c’est un bien intellectuel. Notre appétit rationnel (notre volonté), que nous possédons en tant qu’humain, tend vers ce bien perçu. Il y tend jusqu’à ce qu’il y trouve son plaisir.

C. La beauté appréciée

Lorsque nous atteignons le bien perçu, notre appétit est au repos, nous éprouvons du plaisir11.  La poursuite de notre appétit est terminée et notre âme se réjouit de cette victoire. Par conséquent, le désir, ou l’appétit, précède le plaisir. Cependant, un paradoxe semble apparaître dans la pensée de Thomas d’Aquin.

Un paradoxe ?

Sur la relation entre la beauté et la bonté, Thomas affirme que « le beau et le bien, considérés dans le réel, sont identiques12 ».  Ils sont tout deux basés sur la forme, mais ils diffèrent logiquement. Cette distinction d’aspect au sein d’une similitude se retrouve dans les mots suivants : « Le beau est identique au bien ; leur seule différence procède d’une vue de la raison13. »  Cette différence logique, cette différence d’aspect, est due à la notion associée à chacun d’entre eux. Le bien « concerne l’appétit, puisque le bien est ce vers quoi tend tout ce qui est » tandis que « le beau, lui, concerne la faculté de connaissance, puisqu’on déclare beau ce dont la vue cause du plaisir12 ».  Le paradoxe qui en ressort est le suivant. La beauté est associée au plaisir et donc, comme nous l’avons vu, l’appétit doit le précéder. Mais, ici, Thomas n’affirme pas que le beau est liée à l’appétit — comme il le fait pour le bon — mais à la faculté cognitive. Sevier nous aide à résoudre ce paradoxe :

La solution à ce paradoxe réside peut-être dans le fait que le beau et le bon se distinguent simplement in ratio. Un seul et même objet peut être appréhendé sous l’aspect du bien ou sous l’aspect du beau. Considéré sous l’aspect du bien, il est l’objet de l’appétit (lorsque l’objet n’est pas encore atteint), ou du plaisir (lorsque l’objet est atteint). Considéré sous l’aspect du beau, c’est un objet de connaissance. Néanmoins, dans la même définition, Thomas d’Aquin a dit que « beau » s’applique à tout objet qui plaît lorsqu’il est perçu, c’est-à-dire lorsqu’il a été saisi par la raison via l’un des sens les plus rationnels, comme la vision ou l’ouïe. L’expérience (l’appréhension) de la beauté (ou des belles choses) semble impliquer irréductiblement à la fois le plaisir (qui est lié à la réalisation d’un bien) et la cognition. Que la beauté se rapporte à la cognition plutôt qu’à l’appétit, c’est-à-dire qu’elle n’est pas l’objet du désir, nous ne devons pas nécessairement en conclure que ce qui est beau n’est pas un bien. Il s’agit en fait d’un bien (et même d’un bien qui peut être désiré) car il produit du plaisir ; et le plaisir produit est cognitif plutôt que sensoriel14.

Cela semble être confirmé par les mots de Thomas : « le beau ajoute au bien un certain rapport à la puissance connaissante13».  Nous pouvons donc parler du désir de la beauté, comme nous l’avons fait dans la partie précédente.

Un plaisir désintéressé

Dans une question portant sur la volonté de l’homme selon sa fin, Thomas affirme les propos suivants :

Si ces jeux ne se proposent pas de fin extrinsèque, ils tendent au bien du sujet, qui y trouve un plaisir ou un repos. Or le bien de l’homme porté à la perfection, c’est sa fin ultime15.

Pour Thomas d’Aquin, le jeu (comme activité non sérieuse) est une activité qui n’a pas d’autre fin qu’elle-même, il n’évolue pas vers d’autres fins que la sienne. C’est un plaisir qui est une fin en soi, un plaisir désintéressé. Un plaisir désintéressé est un plaisir « qui est une fin en soi, et qui ne doit pas être associé à l’assouvissement de besoins animaux ni à quelque autre préoccupation de type utilitariste16 ».   Le jeu est en effet un plaisir désintéressé puisqu’il s’accomplit dans sa réalisation, il se satisfait en soi. Le plaisir ressenti par le joueur ne le poussera pas vers d’autres fins que lui-même.

Le plaisir esthétique ressemble au jeu sur deux points : c’est une fin en soi et il « intervient en qualité d’activité supérieure, propre à la créature spirituelle4 ».  Ce dernier point se retrouve dans la pensée de Thomas sur la tempérance :

Et comme le plaisir accompagne l’acte qui s’accorde sur la nature, les plaisirs sont d’autant plus intenses que les actes qu’ils accompagnent sont plus naturels. Or, ce qui est par-dessus tout naturel aux êtres vivants, ce sont les actes par lesquels se conserve la nature de l’individu : le manger et le boire, et la nature de l’espèce : l’union de l’homme et de la femme. Voilà pourquoi ce sont les plaisirs de la nourriture et de la boisson et les plaisirs sexuels qui sont proprement l’objet de la tempérance17.

Plus l’opération est proche de nos besoins naturels, plus le plaisir ressenti est grand. C’est pourquoi la tempérance, qui implique une certaine modération, sobriété, « éloigne des plaisirs auxquels incline la nature18 ».  La satisfaction des besoins des animaux n’est donc pas l’objectif de la tempérance. Et elle n’est pas non plus celle de la beauté :

Quoique la beauté convienne à toute vertu, elle est cependant attribuée éminemment à la tempérance, pour deux motifs. D’abord selon la raison commune de tempérance, à laquelle appartient une certaine proportion dans la mesure et la convenance, en quoi consiste la raison de beauté, selon Denys. Ensuite, parce que les biens dont détourne la tempérance sont les plus inférieurs chez l’homme et lui conviennent selon la nature bestiale, comme on le dira plus loin. Aussi est-ce surtout à cause d’eux que l’homme a tendance à s’avilir. En conséquence la beauté est surtout attribuée à la tempérance, qui a pour effet primordial d’écarter l’avilissement de l’homme19.

Thomas d’Aquin illustre cette particularité humaine par une scène de vie animale20. Lorsqu’un lion voit ou entend un cerf, il éprouve un plaisir qui est directement lié à sa faim. Il salive à l’idée de son prochain repas. Le cerf est considéré comme de la nourriture et son destin dans la pensée du lion s’arrête là, il ne peut pas aller plus loin dans la pensée d’un animal non rationnel. La vue et l’ouïe du lion sont liées aux sens du toucher et ne peuvent être désintéressées. Bien entendu, l’homme aussi éprouve ce type de plaisir. Mais il peut éprouver des plaisirs plus profonds, il peut utiliser ses sens à des fins plus grandes et meilleures que sa préservation et la préservation de son espèce par l’alimentation et la reproduction. Alors que le toucher encadre les plaisirs ressentis par les animaux non rationnels, « chez l’homme, au contraire, les autres sens que le toucher procurent des plaisirs non seulement en référence à celui-ci, mais aussi à cause de la convenance des sensations qu’ils donnent eux-mêmes4 ».

Ainsi, l’expérience esthétique n’est pas soumise à la nécessité de la préservation : « en tant que les impressions de ces autres sens sont agréables à cause de leur propre convenance, par exemple lorsque l’homme se réjouit à l’audition d’un son harmonieux, ce plaisir ne se rapporte pas alors à la conservation de la nature4 ».  Par conséquent, « tandis que les autres animaux ne trouvent leur plaisir dans les réalités sensibles qu’en fonction de la nourriture ou de la sexualité, l’homme seul trouve son plaisir dans la beauté des choses sensibles prise en elle-même21 ».

Le plaisir spirituel et son effet

Comme nous l’avons déjà dit, la beauté est fondamentalement liée à la raison. Seuls les êtres rationnels peuvent éprouver un plaisir esthétique, c’est leur privilège. En effet :

Nous avons vu que la beauté consiste dans un certain éclat et une harmonie de proportions. Or ces deux facteurs ont leurs racines dans la raison, car il revient à celle-ci d’organiser, dans tout le reste de l’homme, la lumière qui manifeste la vérité, et l’harmonie des proportions. C’est pourquoi la beauté se trouve directement et essentiellement dans la vie contemplative, qui consiste dans un acte de la raison. Aussi est-il écrit de la contemplation de la sagesse (Sg 8, 2) : « je suis devenu amoureux de sa beauté22. »

D’autres passages justifient la relation intime entre la beauté et la raison. Par exemple, lorsque Thomas affirme que le beau consiste « dans une juste proportion des choses, car nos sens se délectent dans les choses proportionnées qui leur ressemblent en tant qu’ils comportent un certain ordre, comme toute vertu cognitive23 », il fonde son raisonnement sur le fait que la raison est par nature un ordre. En effet, la raison ordonne son univers intérieur et se reconnaît dans l’ordre extérieur. Ainsi, la raison prend plaisir à l’ordre lorsqu’elle reconnaît ce dernier. Et, nos sens sont une sorte de raison, ils sont la faculté cognitive qui se rapporte à cette faculté cognitive par excellence. Par conséquent, nos sens prennent plaisir à des choses dûment proportionnées24

De plus, dans le I-II, q. 27, a. 1, ad. 3, nous avons vu que le beau et le bon calment le désir. Cependant, Thomas précise que le beau effectue ce calme en étant vu ou connu. Selon lui, c’est par la vue et l’ouïe que l’on reconnaît principalement le beau. En effet, ces sens « sont ceux qui procurent le plus de connaissances », ils servent la raison. L’odorat et le goût n’ont pas ce privilège. La relation d’honneur que la vue entretient avec la raison est due au fait que « la vue est au service de l’intelligence25 ».  Si nous parlons de ce « plaisir sensible au point de vue de la connaissance, il est manifeste que la vue est source d’un plus grand plaisir que tout autre sens26 ». 

Sur l’effet du plaisir, Thomas affirme l’expansion de l’affection de l’homme par le plaisir. Lorsque l’âme humaine atteint le bien, elle se dilate27. Cela se fait sous deux aspects. Premièrement, la faculté d’appréhension

appréhende l’union au bien qui convient. Cette appréhension fait connaître à l’homme qu’il a atteint une certaine perfection qui est une grandeur spirituelle ; et à ce point de vue on dit que par le plaisir l’âme de l’homme s’est agrandie ou dilatée28.

Deuxièmement, la faculté appétitive « donne son assentiment à la réalité agréable et s’y repose, s’offrant à lui en quelque sorte pour le saisir intérieurement28 ».  Par conséquent, « l’affectivité de l’homme est dilatée par le plaisir, quand elle se livre, en quelque sorte, pour retenir en elle la chose qui la délecte28 ».

Considérant « trois facteurs requis pour le plaisir : le bien présent, ce à quoi il est uni, et l’union elle-même », les plaisirs spirituels intellectuels sont plus grands que les plaisirs corporels sensibles29. Sur ce troisième point, Thomas affirme que la conjonction avec le bien est plus intime, plus parfaite et plus ferme :

Plus intime, parce que le sens s’arrête aux accidents extérieurs de l’être, tandis que l’intelligence pénètre jusqu’à l’essence, car son objet est ce que la chose est. Plus parfaite parce que l’union du sensible et du sens est accompagnée d’un mouvement, acte imparfait. C’est pourquoi les plaisirs sensibles ne se réalisent pas pleinement tous ensemble ; il y a en eux quelque chose qui passe, et quelque chose dont on attend la consommation, comme c’est évident pour les plaisirs de la table et du sexe. Les réalités intellectuelles, au contraire, excluent le mouvement, de sorte que les plaisirs de ce genre se réalisent pleinement tous ensemble. Enfin l’union spirituelle est plus ferme, car les sources du plaisir corporel sont corruptibles et disparaissent rapidement ; les biens spirituels, au contraire, sont incorruptibles28.

Cette supériorité en conjonction pour les plaisirs spirituels intellectuels semble ouvrir les frontières des plaisirs corporels pour un plus grand plaisir. L’expansion du plaisir peut se produire lorsque l’âme est en présence de plaisirs intellectuels. Cela est confirmé par les mots suivants :

Mais les plaisirs spirituels ne dépassent jamais l’équilibre naturel ; au contraire, ils perfectionnent la nature. Aussi, lorsqu’on parvient au sommet de ces plaisirs, c’est alors qu’ils sont le plus agréables ; sauf peut-être par accident, du fait que l’activité contemplative met en œuvre des facultés physiques qui sont fatiguées par la prolongation de leur activité30.

Avec Maritain, nous pouvons conclure que

Le beau est ce qui donne la joie, non pas toute joie, mais la joie dans le connaître ; non pas la joie propre de l’acte de connaître, mais une joie qui surabonde et déborde de cet acte à cause de l’objet connu. Si une chose exalte et délecte l’âme par là même qu’elle est donnée à son intuition, elle est bonne à appréhender, elle est belle. La beauté est essentiellement objet d’intelligence, car ce qui connaît au sens plein du mot, c’est l’intelligence, qui seule est ouverte à l’infinité de l’être. Le lieu naturel de la beauté est le monde intelligible, c’est de là qu’elle descend31.

Ainsi, le plaisir esthétique, qui est un plaisir intellectuel, élargit l’affection de l’âme. Lié à la raison, ce plaisir n’est pas limité par les plaisirs corporels – sauf accidentellement par les puissances corporelles qui l’escortent – et peut s’accroître en présence du bien désiré. Il en résulte le plus grand plaisir. Ce plaisir est désintéressé, il ne cherche que sa propre fin. Si, en tant qu’humain, nous arrivons à ce plaisir, c’est parce que notre désir, notre appétit, a guidé notre âme jusqu’ici après avoir été confronté au bien intellectuel perçu. Cette rencontre s’est faite à partir de la conjugaison corps-âme qui nous a permis de percevoir la beauté d’un particulier. Mais, toute cette expérience esthétique n’aurait pas été possible sans la beauté objective. C’est ce que nous verrons dans un prochain article.


Illustration : Caspar David Friedrich, Deux hommes contemplant la lune, huile sur toile, vers 1825-1830.

  1. Umberto Eco, Le problème esthétique chez Thomas d’Aquin, trans. Javion Maurice, Paris: Presses Universitaires de France, 1993, 69.[]
  2. ST, I, q. 75, a. 2, ad. 3.[]
  3. ST, I, q. 5, a. 4, ad. 1.[]
  4. Ibid.[][][][][]
  5. Nous suivons Sevier qui les considère comme des synonymes dans Christopher Scott Sevier, Aquinas on Beauty, Lanham: Lexington Books, 2015, 40.[]
  6. Aristote, Éthique à Nicomaque, i.[]
  7. ST I, q. 5, a. 1, co.[]
  8. ST I, q. 5, a. 2, ad. 2.[]
  9. ST I-II, q. 23, a. 4, co.[]
  10. Sevier, Aquinas on Beauty, 40.[]
  11. ST I-II, q. 33, a. 1, ad. 2.[]
  12. ST I, q. 5, a. 4, ad. 1.[][]
  13. ST I-II, q. 27, a. 1, ad. 3.[][]
  14. Sevier, Aquinas on Beauty, 55.[]
  15. ST I-II, q. 1, a. 6, ad. 1.[]
  16. Eco, Le problème esthétique chez Thomas d’Aquin, 17.[]
  17. ST II-II, q. 141, a. 4, co.[]
  18. ST II-II, q. 141, a. 1, arg. 1.[]
  19. ST II-II, q. 141, a. 2, ad. 3.[]
  20. ST II-II, q. 141, a. 4, ad. 3.[]
  21. ST I, q. 91, a. 3, ad. 3.[]
  22. ST II-II, q. 180, a. 2, ad. 3.[]
  23. ST I, a. 5, a. 4, ad. 1.[]
  24. Note 4 de l’éditeur dans Thomas d’Aquin, Somme théologique, Book I (Paris: les Éditions du Cerf, 1984), 190.[]
  25. ST I-II, q. 31, a. 6, co.[]
  26. Ibid. Nous pouvons noter que cette question renforce également ce que nous avions dit sur le toucher, et les différences de plaisir entre les animaux rationnels et non rationnels. En effet, elle nous apprend que selon la relation de connaissance, le sens qui apporte le plus grand plaisir est la vue. Selon la relation d’utilité, c’est le toucher. Selon l’aide apportée par les sens à l’esprit, les plaisirs de la vue dépassent ceux du toucher. Ainsi, nous retrouvons ce que nous avons déjà vu plus haut.[]
  27. ST I-II, q. 33, a. 1, co.[]
  28. Ibid.[][][][]
  29. ST I-II, q. 31, a. 5, co.[]
  30. ST, I-II, q. 33, a. 2, co.[]
  31. Maritain, Art et Scolastique, 35-36.[]

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  1. Thomas d'Aquin et la beauté – Par la foi - […] esthétique et révélée dans la première définition. Elle fera l’objet d’un second article. Comme le dit Maritain, les quatre…

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