Hooker contre la laïcité
26 mars 2021

Dans une dernière série d’articles, nous avons vu la première querelle des puritains, et comment elle est devenue un débat sur la liberté chrétienne et une théologie politique particulière. On l’a vu, le débat peut facilement être caricaturé : aux gentils puritains théonomistes et prenant la Bible au sérieux s’oppose le méchant Hooker rationaliste, qui réduit l’autorité de la Bible à certains domaines seulement. Hooker a-t-il cherché à défendre la liberté dans la Parole, ou à être libre de la Parole (premier pas vers le sécularisme) ? Littlejohn discute la thèse qui voudrait que Hooker ait été le premier à avoir exclu les Écritures de la vie publique, ouvrant la voie à la déchristianisation.

Comme pour les autres articles de cette série, il s’agit d’une vulgarisation du livre Promise and Perils of Christian Liberty de Bradford Littlejohn. C’est vers le chapitre 6 de ce livre que vous devez vous tourner pour avoir la substance de ce qui n’est que vulgarisé ici. Les deux protagonistes de ce dialogue sont donc Richard Hooker, théologien anglican auteur du chef d’œuvre : Laws of Ecclesiastical Polity d’une part ; et un personnage complètement fictif, dont vous comprendrez vite les contours.


Regards réformés aujourd’hui – Bonjour à tous, je vous suis reconnaissant d’être là pour cette interview un peu spéciale de votre journal préféré, afin d’interroger un grand théologien qui s’appelle Richard Hooker. Richard Hooker est le gars qui a fait le premier pas vers une théologie politique complètement séculière, et qui a libéré l’Occident de l’Église en suggérant de se fier à notre raison plutôt qu’à la Bible. C’est donc grâce à lui que nous vivons dans un occident déchristianisé. En tant que réformé, je suis infiniment soulagé et reconnaissant que vous ayez accompli ce chemin. En liquidant la chrétienté, vous avez vraiment libéré le christianisme de son carcan de dogmes et de religion, et je me sens plus libre. Richard Hooker, bienvenue !

Richard Hooker – On m’avait dit que les Français étaient dégénérés, mais je ne croyais pas que c’était à ce point.

Ça, c’est la version courte.

Regards réformés aujourd’hui – Je ne comprends pas votre remarque, vous avez pourtant insisté sur le fait que nous devions utiliser notre raison plutôt que le sola scriptura. Vous avez dit que l’Église était soumise à l’État et que l’État avait le droit de déterminer les formes et les limites du culte de l’Église. Vous avez même défendu une forme de constitutionalisme et la démocratie.

Richard Hooker – Fieffé menteur que vous êtes ! J’ai dit au contraire : « Les œuvres de l’autorité suprême qui au départ a tout amené à l’existence par la puissance du Fils de Dieu sont maintenant très réellement et convenablement les œuvres du Fils de l’Homme. La parole faite chair siège à la droite de Dieu et règne en tant que Seigneur souverain sur toutes choses1. » Mieux encore, j’ai entrepris d’attaquer les premiers puritains parce qu’ils séparaient christianisme de l’Église et chrétienté de l’État. Ces ânes de puritains accordaient aux magistrats leur indépendance en affirmant que l’Église n’avait aucune relation avec eux !

Regards réformés aujourd’hui – En quoi est-ce mal ?

Richard Hooker – C’est une erreur grossière de penser que le pouvoir royal doit servir le bien du corps mais pas celui de l’âme, doit s’occuper de la paix temporelle des hommes, mais pas de leur sécurité éternelle ; comme si Dieu avait ordonné les rois pour aucun autre but que de nous engraisser comme des porcs et veiller à ce que nous remplissions notre gamelle2 !

Regards réformés aujourd’hui – Pourtant vous avez défendu que nous devions avoir recours à la raison plutôt qu’à la Bible pour définir nos lois.

Richard Hooker – Mais je n’ai jamais imaginé qu’il puisse exister une raison extérieure à Dieu, et encore moins opposée à lui. L’univers tout entier est ordonné selon la raison divine, et notre propre raison est façonnée selon le modèle, et en vue du Logos de Dieu qui est Jésus Christ. Je ne suis donc pas en train d’opposer raison et Écriture, et en affirmant le pouvoir de la raison diminuer l’autorité des Écritures. J’ai simplement dit que dans les choses naturelles, nous devons utiliser le témoignage naturel de notre droite raison, qui ne peux jamais être contraire aux Écritures.

Regards réformés aujourd’hui – Mais vous avez tout de même défendu la laïcité contre les ayatollahs puritains ?

Richard Hooker – La quoi ?

Regards réformés aujourd’hui – Laïcité : l’État ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucune religion.

Richard Hooker – Oulah non je n’ai pas défendu ça ! Pas même la semence ! Au contraire, j’ai résisté à la proposition puritaine de séparer complètement l’Église de l’État. Contre les puritains qui défendaient que l’Église était un peuple à part dans le peuple anglais, soumise aux lois de Dieu, comme si Dieu était étranger au pays, j’ai défendu que l’Église était une communauté naturelle, faisant partie de notre nation.

Regards réformés aujourd’hui – Certes, mais il semblerait que Cartwright avait raison, dans le sens où Jésus dirige l’Église en tant que sauveur, tandis qu’il dirige l’univers de façon plus lointaine en tant que créateur.

Richard Hooker – Non plus ; contre Cartwright j’ai défendu au contraire que le Christ seigneur et sauveur a strictement les mêmes pouvoirs et attentes envers le magistrat et le pasteur. Bien que le pasteur n’ait pas de pouvoir sur le magistrat, le magistrat doit de son côté se soumettre à Dieu au même titre que le pasteur doit prêcher fidèlement l’Évangile.

Regards réformés aujourd’hui – Une chrétienté ? Mais c’est horrible !

Richard Hooker – Au contraire, c’est la responsabilité naturelle du magistrat que de s’occuper de religion : car dans toute société politique ce que dit Aristote est vrai lorsqu’il dit : « que le but n’est pas simplement de vivre, ni le devoir de faire simplement vivre, mais de donner les moyens de bien vivre ». Vu que l’âme est la partie la plus précieuse de l’homme, les sociétés humaines doivent beaucoup plus s’occuper de l’état de notre âme que des choses nécessaires à la vie temporelle. D’autres preuves peuvent être ajoutées en rappelant que nous devons « chercher d’abord le royaume de Dieu ». Ainsi donc, dans toutes les communautés les choses spirituelles doivent être pourvues. Et parmi les choses spirituelles, la plus haute de toutes est la religion3.

Regards réformés aujourd’hui – Bon certes, la religion en général, mais on ne va quand même pas promouvoir le christianisme en particulier.

Richard Hooker – Je ne connais qu’une seule religion, celle de Jésus-Christ. Les autres sont au mieux des mélanges de vérité et de mensonge. Le devoir du magistrat est de donner à ses sujets la meilleure religion possible, qui est le christianisme.

Regards réformés aujourd’hui – Mais c’est du césaro-papisme, où la tête politique est le chef de l’Église ! L’indépendance de l’Église est complètement abolie !

Richard Hooker – Non, l’autorité que nous donnons aux rois est exercée de façon visible et ne concerne que les affaires extérieures des affaires de l’Église ; c’est tout à fait différent de l’autorité de Christ dans la nature et le type même4. Et même dans ces lois sur les affaires externes de l’Église, il faut distinguer entre ce qui porte sur l’ordre de l’Église (la prédication et les sacrements) qui sont la prérogative de l’Église seule, et le domaine de l’Église (son empreinte politique et culturelle) qui sont du domaine du magistrat.

Regards réformés aujourd’hui – Mais cette union entre Église et État promet d’être monstrueuse et injuste !

Richard Hooker – L’union de la religion avec la justice est si naturelle que nous pouvons facilement nier avoir l’une ou l’autre si nous n’avons pas les deux5.


  1. Laws, VIIII.4.6[]
  2. Ibid., VIII.3.5[]
  3. Ibid., VIII.1.4[]
  4. Ibid. , VIII.4.5[]
  5. Ibid., V.1.2[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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