La raison est pour Dieu – résumé (7/12) : Les indices de l’existence d’un créateur
29 mai 2021

Cette série d’articles propose un résumé des arguments donnés par Timothy Keller en faveur du christianisme et contre les objections courantes contre la foi chrétienne dans son livre La raison est pour Dieu. C’est un très bon livre, assez généraliste dans ses réponses, au sens où il n’entre pas dans les détails philosophiquement et ne se base pas sur une tradition philosophique particulière (thomiste par exemple).

Mais il reste très bon comme première lecture d’apologétique et ouvrage de référence accessible à tous (croyants et non-croyants). Keller sait attirer l’attention du lecteur, présenter des arguments tout en restant toujours humble et sympathique. Il est agréable à lire et très bien traduit.

Le but de cet article est résumer, regrouper les arguments de Keller mais aussi de les rendre plus compréhensibles. C’est pour ça que je les complèterai ou les expliquerai parfois un peu plus en détails. Bien sûr aussi de rendre accessible gratuitement ce que présente Keller mais aussi de vous donner envie de le lire quand vous en aurez les moyens. Je reprendrai certains paragraphes d’un article que j’ai écrit dans le passé comme je m’inspirais déjà du contenu de ce livre.


L’approche de Keller

D’après Keller, il n’existe pas de preuve irréfutable de l’existence de Dieu, mais seulement des arguments probables qui gagnent en puissance lorsqu’on les considère tous ensemble. Pour argumenteur en faveur de l’existence de Dieu, il emploie ce qu’on peut appeler une approche en dossier. En voici une bonne description :

Ici le mot dossier fait référence à la construction d’un dossier juridique. La logique n’est donc pas séquentielle, dans le sens d’une argumentation philosophique (A donc B donc C), mais cumulative (A et B et C). Il s’agit ainsi de présenter un faisceau d’indices factuels et d’arguments en vue de soutenir que la vision du monde chrétienne explique, mieux que n’importe quelle autre, tout un tas de phénomènes importants.

Cinq approches apologétiques, Visiomundus

Plus précisément, le dossier de Keller inclut l’argument du réglage fin, l’argument de l’uniformité des lois de la nature, l’argument de la beauté, l’argument moral et l’argument de la raison (ou argument évolutionniste contre le naturalisme). Pour lui, ces arguments sont des indices qui pointent vers l’existence de Dieu.

1. L’argument cosmologique du kalÂm (l’explosion mystérieuse)

Cet argument part du principe que tout ce que nous connaissons dans l’univers est fini (et a donc un commencement dans le temps) et a donc une cause. Comme l’univers n’est que l’ensemble des choses finies, il doit lui aussi avoir une cause. Cette cause doit être différente de l’univers et donc surnaturelle, sans dépendre de quoi que ce soit pour son existence. C’est ce qu’on appelle Dieu.

Cet argument est l’argument cosmologique du kalâm (arabe کلام « discussion, dialectique ») bien que présenté sous une forme assez simpliste. Pour Keller, cet argument ne parvient pas à montrer que cette cause de l’univers est personnelle. Il faut tout de même remarquer que les défenseurs les plus chevronnés du kalâm (comme William Lane Craig dans Foi raisonnable) prétendent qu’il est possible de montrer que cette cause est personnelle.

En ce qui concerne notre équipe, étant des philosophes thomistes, nous ne sommes pas particulièrement « fans » de cette preuve. Nous y sommes soit opposés, soit indécis pour l’instant. Cela s’explique en grande partie par le fait que, pour la majorité des thomistes, il est impossible de montrer par la raison que l’univers a un commencement. On peut tout de même noter quelques exceptions aujourd’hui comme Robert Koons, David Oderberg et Arnaud Dumouch. Voici le résumé en vidéo.

2. L’argument du réglage fin (l’accueil du cosmos)

Les lois et les constantes universelles de la physique (constante de gravitation, constante de Hubble pour l’expansion de l’univers) sont très finement réglées (d’où l’expression « réglage fin ») de sorte à rendre la vie possible sur terre. Ce qui est très peu probable (plutôt même quasi impossible) si tout s’était déroulé purement par hasard. La probabilité serait à peu près la même que celle d’avoir un grand nombre d’horloges parfaitement synchronisées. Tout se passe donc comme si quelqu’un avait créé exprès l’univers de manière à ce qu’il pût abriter la vie. C’est même l’avis du célèbre physicien Stephen Hawking :

Il serait très difficile d’expliquer pourquoi l’univers a commencé exactement de cette façon sans que ce soit le fait d’un Dieu dont l’intention était de créer des êtres tels que nous.

Francis Collins, The Language of God : A Scientist Presents Evidence for Belief, p. 75

Une objection qu’on oppose souvent à cet argument, c’est la théorie des multivers. En gros, il existerait en plus de notre univers, des milliards d’autres d’univers. Il n’y aurait donc rien d’incroyable à ce qu’il y ait au moins un seul univers dans lequel la vie soit possible.

Keller reconnaît que s’il existe réellement de nombreux autres univers, alors l’argument du réglage fin perd sa force. Mais, en réalité il est impossible à la fois de prouver l’existence et l’inexistence de ces autres univers.

Pourtant, d’après Keller, notre bon sens nous oblige au moins à considérer cet argument comme probable. Par exemple, d’après un exemple du philosophe Alvin Plantinga, si quelqu’un avec qui l’on joue au poker expliquait à l’aide de la théorie des multivers comment il a obtenu quatre as de suite sans tricher, peu de gens le croiraient. De même, d’après un exemple du philosophe John Leslie, même s’il est possible en théorie que cinquante tireurs d’élite ratent tous leur cible lors de l’exécution d’un criminel, on préférerait en déduire qu’ils ont sûrement fait exprès de manquer leur cible pour sauver le condamné. Voici le résumé en vidéo ici et ici.

3. L’argument de l’uniformité des lois de la nature (la vie bien réglée de la nature)

L’uniformité des lois de la nature renvoie à l’idée que les lois de la nature sont stables et régulières, c’est-à-dire que l’on peut s’attendre à ce que des phénomènes naturels se reproduisent toujours de la même façon. Par exemple, l’eau réagira demain de la même manière avec la température qu’aujourd’hui. Si je porte à ébullition de l’eau liquide, il y aura toujours un gaz qui s’élèvera. C’est grâce à cette stabilité des lois que l’on est capable de faire de la science. La science étudie des phénomènes censés être réguliers.

Mais concrètement, qu’est-ce qui justifie que demain, les lois seront identiques à celles d’aujourd’hui ? D’après Bertrand Russel et David Hume, rien du tout. C’est là que l’existence de Dieu devient intéressante, s’il existe, alors il peut effectivement garantir la stabilité des lois naturelles. Ainsi nous pouvons avoir un fondement pour le principe d’induction (de généralisation) et donc pour la science.

4. L’argument de la beauté (l’indice de la beauté)

On observe sans cesse la beauté dans la nature : de jolies fleurs, de beaux paysages, de beaux animaux, etc. Or sans Dieu la beauté ne serait qu’une illusion, un flux et un amas de particules complexes.

Une fois de plus, laissons la parole à Keller :

Si nous sommes le produit de forces naturelles accidentelles, ce que nous appelons « beauté » n’est rien qu’une réaction neurologique inscrite dans nos gènes qui se manifeste face à ces données particulières. Vous trouvez que ce paysage est beau uniquement parce que vous avez des ancêtres qui savaient que vous trouveriez de la nourriture à cet endroit. Ils ont survécu grâce à cette caractéristique neurologique et c’est votre tout à présent. De la même manière, l’importance que semble avoir la musique n’est qu’une illusion. L’amour doit, lui aussi, être vu sous cet éclairage. Si nous sommes le résultat de forces naturelles aveugles, ce que nous appelons « amour » n’est qu’une réaction biochimique héritée de nos ancêtres qui ont survécu grâce à cette caractéristique.

La raison est pour Dieu, p.162.

De plus ce désir de beauté semble nous conduire à l’existence de quelque chose capable de satisfaire nos désirs. Nous avons faim, nous satisfaisons notre faim en mangeant de la nourriture. Nous avons soif, nous la satisfaisons en buvant des breuvages. Nous satisfaisons nos désirs sexuels avec la sexualité. Nous désirons le bonheur mais rien ne peut nous le donner de manière durable dans ce monde, il existe donc un objet de ce désir qui peut nous satisfaire : Dieu. Keller reprend Augustin (Confessions) et C. S. Lewis (Les fondements du christianisme, chapitre sur l’espérance). Voici le résumé en vidéo.

5. L’argument moral

La morale et les droits de l’homme : il faut un fondement à la morale qui ne peut être que Dieu (une source d’autorité suprême objective). Cela parce que la théorie de l’évolution n’explique pas l’altruisme (en quoi l’altruisme rend plus apte à la survie ? il a plutôt l’air inutile) et donc non plus la morale. De plus, à supposer que l’explication naturaliste soit vraie, elle ne ferait qu’expliquer d’où vient notre connaissance du bien et du mal, elle ne donnerait pas un fondement objectif nécessaire à la morale.

Si Dieu n’existe pas, qui peut dire ce qu’est le bien et le mal ? Il n’y a plus rien qui nous permette de dire qui a raison. On n’a aucune raison de dire qui d’Adolf Hitler, de Martin Luther King ou de Nelson Mandela est mieux que l’autre.

Les avis des hommes sur la morale ne sont plus que des goûts personnels. C’est comme quelqu’un qui préfère la glace au chocolat et un autre la glace à la vanille. Chacun a sa préférence, et c’est tout. Toutes les opinions se valent et personne n’a raison.

Si c’est la société qui définit le bien et le mal, ça ne résout pas le problème. Si la majorité décide de tuer une minorité, est-ce que ça sera bien juste parce que c’est la majorité qui l’a décidé ? Quand les nazis ont voulu exterminer les Juifs, est-ce que c’était bien ? Non. Mais comment le savoir si Dieu n’existe pas ? On revient à la case départ. Pour plus un traitement plus détaillé, vous pouvez consulter la première partie dans Les fondements du christianisme de C. S. Lewis. Sinon, voici le résumé en vidéo.

6. L’argument de la raison

A. L’argument évolutionniste contre la religion

Les évolutionnistes prétendent pouvoir tout (ou au moins beaucoup de choses) expliquer avec la sélection naturelle. En particulier, la croyance en Dieu peut aussi être expliquée de cette manière. Comme beaucoup de nos habitudes, elle n’est qu’une pratique qui nous a aidés à survivre. Si beaucoup de gens croient en Dieu, c’est simplement parce que la foi a aidé les hommes à survivre, non pas parce que c’est une vérité. Cette croyance a été “sélectionnée” par la nature comme une pratique favorable à notre survie et a donc été transmise génétiquement au fil des générations jusqu’à nous aujourd’hui.

B. L’argument évolutionniste contre le naturalisme

Imaginons que c’est bien le cas, que les évolutionnistes ont raison. Mais réfléchissons un peu. Si leur principe est vrai (que tout est le fruit de la sélection naturelle), il devrait s’appliquer non seulement à nos croyances religieuses mais aussi à toute croyance. Y compris les croyances scientifiques, et en particulier la croyance en l’évolution.

Les évolutionnistes ne devraient donc pas faire plus confiance à leur sens et à leurs croyances scientifiques, pas plus qu’ils ne peuvent faire confiance en leurs croyances religieuses. Comme la croyance en la religion, leur croyance en l’évolution n’est plus qu’une habitude transmise génétiquement qui les a aidés à survivre. Ils savent que cette croyance est utile mais ils ne peuvent pas savoir si elle est vraie. En bref, l’argument qu’ils utilisent contre la religion se retourne contre eux et leur croyance en l’évolution. L’argument évolutionniste contre la religion devient donc aussi l’argument évolutionniste contre le naturalisme.

Plantinga affirme que si Dieu n’existe pas, et que l’évolution est vraie, alors nos facultés cognitives sont le résultat de mutations génétiques aléatoires et de la sélection naturelle, dans le but non pas de découvrir la vérité, mais de survivre et de se reproduire. Si c’est le cas, Plantinga affirme alors que nos facultés cognitives ne sont pas fiables pour accéder à la vérité, puisque ce n’est pas leur fonction. Mais alors si on ne peut pas faire confiance à nos facultés cognitives, on ne peut pas faire confiance à toutes les croyances qu’elles nous procurent: cela inclut le naturalisme et l’évolution. Un argument fascinant.

Guillaume Bignon, Alvin Plantinga : par où commencer ?

À l’inverse, si nous ne sommes pas seulement des êtres vivants conditionnés par un environnement sans but, mais créés par Dieu, il est tout à fait possible de nous fier à nos sens. Dieu peut tout à fait arranger l’environnement et nos sens pour qu’ils soient compatibles et que ces derniers soient fiables. Vous trouverez plus de détails dans les travaux de Plantinga (par exemple Where the Conflict Really Lies: Science, Religion, and Naturalism) et de C. S. Lewis dans son livre Miracles. Voici le résumé en vidéo.

Conclusion

Je ne détaille pas plus ces preuves comme Keller ne les approfondit pas plus. Pour aller plus loin, vous pouvez lire les chapitres pertinents dans Foi raisonnable de William Lane Craig, Plaidoyer pour un Dieu créateur de Lee Strobel, un ancien journaliste athée et la partie “existence de Dieu” de ma bibliographie d’apologétique (plus de huit-cent ressources gratuites en français – vidéos, podcasts, articles, débats).

Concernant la valeur des arguments de l’existence de Dieu, je ne suis pas d’accord avec Keller. Il y a effectivement certains arguments qui ne sont que probables (comme les arguments qui cherchent la meilleure explication à quelque chose, comme l’argument du réglage fin), bien qu’ils le soient énormément. Cela ne pose pas trop de problèmes comme dans la vie de tous les jours, nous choisissons largement de croire en ce qui est le plus probable. Par contre, il existe bien des arguments purement déductifs et qui sont donc certains, comme l’argument du kalâm (si toutes ses prémisses sont vraies) ou l’argument du premier moteur de Thomas d’Aquin par exemple.

En tant que thomistes sur ce blog, nous sommes déçus que Keller n’ait donné que des arguments modernes (à part le kalâm) et aucun des arguments classiques pourtant très importants comme les cinq voies de Thomas d’Aquin (aussi en vidéo ici) ou l’argument des idées abstraites d’Augustin. Mais je comprends le fait qu’il ait voulu donner des arguments qui parlent plus aux gens (sur la morale, le bonheur et la science).

De plus, il est vrai que présenter des arguments plus anciens prend énormément de temps, compte tenu des nombreux concepts philosophiques sous-jacents à expliquer. On peut quand même voir l’argument moral et l’argument de la beauté comme des arguments communs avec le thomisme. Je publierai bientôt des articles sur ces preuves plus anciennes. Vous pouvez déjà trouver quelques ressources dans cette bibliographie, dans la partie “théologie naturelle / philosophie de la religion”.

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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