La politique religieuse de Constantin
2 juin 2021

L’empereur Constantin est une des figures les plus blâmées et maudites de l’histoire chrétienne, une de celles que l’on adore détester. On lui prête d’avoir joué au calife Uthman avec la Bible, d’avoir choisi le christianisme pour des raisons purement politiques, d’avoir corrompu l’Église, d’être un faux chrétien, etc. Dans cette série d’articles, je vais synthétiser différents chapitres du livre de Peter J. Leithart Defending Constantine qui dissipe la plupart de ces malentendus et s’efforce de rétablir une juste image de notre frère Flavius Valerius Aurelius Constantinus, fils de Constance Chlore et notre sœur Hélène. Pour cet article, commençons par la question la plus courante : celle de la sincérité de la conversion de Constantin.

Vous pouvez déjà consulter le premier article de cette série : La conversion sincère de Constantin.


En quoi consiste exactement la politique religieuse de Constantin à l’égard des païens ? Tout d’abord, commençons par préciser : Constantin n’a pas fait du christianisme une religion d’État. Il a simplement accordé au christianisme un statut légal et a accordé des privilèges à l’Église qui étaient comparables, voire supérieurs, à ce que les empereurs précédents accordaient aux temples païens.

Il y avait une grande diversité d’opinions des chrétiens de l’époque sur le sujet, depuis des quiétistes jusqu’aux revanchards. Lactance, ami de Constantin et précepteur de ses enfants, défendra une forme de tolérance religieuse, sur la base de la nature volontaire de la religion (De Ira Dei). C’est ce que va suivre Constantin : il tolère tout à fait le paganisme dans les lois, mais l’attaque dans ses écrits. Cela satisfait les païens, qui certes sont humiliés, mais au moins gardent l’essentiel, et satisfait aussi les chrétiens revanchards, voyant que même si l’empereur ne cherche pas à exterminer les païens, il prend au moins la chose à cœur. Constantin défend donc une réelle liberté religieuse, mais non une neutralité religieuse. Constantin applique la liberté sans la laïcité. Constantin affiche son christianisme, il construit des basiliques de partout.

Qu’est-ce que le christianisme de Constantin a changé dans sa législation ?

Eusèbe raconte (De la vie de Constantin 2.45) qu’en 324 Constantin a interdit les statues et l’art divinatoire. En réalité, c’est un peu plus compliqué que ça : il y a bien un édit impérial interdisant ces choses-là. Mais on aurait tort d’imaginer que c’est un document purement légal. Le fait que les codes romains ultérieurs ont extrait les passages purement légaux des édits, en rejetant les 95 % restants, faussent notre vision sur ce point d’ailleurs. En réalité, un édit est surtout une exhortation morale adressée aux gouverneurs : 95 % de morale et 5 % de lois. Cependant, les arguments et la rhétorique de cette exhortation sont très ouvertement anti-païens, et créent une atmosphère anti-païenne dans tout l’empire, aidant fortement les conversions au christianisme.

Tolérance des hérétiques

Il en va de même pour les hérétiques : la rhétorique est dure et féroce, mais la réalité plus légère. Il crée surtout une atmosphère hostile aux hérétiques. Il n’y a que pour les donatistes où Constantin va aller jusqu’à la persécution, avec regrets.

Les donatistes sont un groupe dissident de l’Église, qui défendent l’exclusion définitive des pasteurs et chrétiens ayant cédé sous la persécution et livré (tradere) les Écritures des Églises entre les mains des magistrats lorsqu’ils l’exigeaient. Ils les traitaient du nom de traditores, ce qui a donné le mot « traître » en français, et affirmaient qu’il n’y avait pas de pardon pour les pasteurs et fidèles ayant cédé à la persécution. C’est un débat très vicieux et violent qui a duré une bonne partie du IVe siècle.

Constantin est sollicité par les donatistes dès le pont Milvius en 312 et il intervient dans la querelle des donatistes lors du concile d’Arles en 314. Il n’intervient pas directement dans le concile, se contentant de le convoquer. Il n’applique pas non plus les sanctions prises à ce concile. En conséquence, les donatistes repartent à la charge, augmentant d’un cran les tensions au passage. À cause de l’inaction de Constantin, la situation a dégénéré en émeute à Carthage en 317, amenant toute une Église donatiste à être brûlée vive. Il décide donc de prendre en main lui-même l’application des sanctions plutôt que laisser les tensions monter, mais il en vient à ressembler à Dioclétien en persécutant des chrétiens. Des schismatiques, certes, mais des chrétiens quand même. Il y renonce deux ans plus tard, en disant que c’est à Dieu de le faire. Lors de la querelle arienne, il préférera déposer et exiler les évêques trop excités des deux camps, plutôt que de risquer encore de tuer des chrétiens.

Tolérance des juifs

On a beaucoup accusé Constantin d’antisémitisme, voire d’avoir inventé l’antisémitisme chrétien. Mais cela ne tient pas car :

  • L’opposition théologique entre juifs et chrétiens remonte au Nouveau Testament.
  • L’opposition politique, et légale, romaine était pire avant Constantin. La plupart des lois opprimant les juifs datent d’avant Constantin.
  • La théorie du remplacement d’Eusèbe précède l’avènement de Constantin.

En vrai, il défend certaines coutumes juives et il est le premier empereur romain à autoriser des pélerinages juifs à Jérusalem depuis sa destruction en 70. Cela ne fait pas de lui un « ami d’Israël », loin de là, mais il n’est pas particulièrement antisémite, contrairement à ce qu’on lui reproche.

Tolérance ou concorde ?

Elizabeth Digeser utilise une distinction mise en lumière par Mario Turchetti 1 : la distinction entre laisser-faire, tolérance, et concorde.

  1. Le laisser faire est une simple attitude pragmatique, qui consiste à laisser un groupe religieux tranquille sans s’y intéresser, sauf quand on décide d’appliquer les textes de lois. C’est la politique romaine jusqu’à Constantin. Cette forme de tolérance peut se changer en persécution à tout moment.
  2. Dans un régime de tolérance, on s’interdit volontairement de persécuter, tout en désapprouvant la minorité religieuse. « La tolérance est “la désapprobation ou le désaccord couplé avec un refus d’agir contre ceux qui tiennent ces positions rejetées, à cause d’un principe morale ou politique. » – Leithart Peter J, Defending Constantine: The Twilight of an Empire and the Dawn of Christendom., Westmont : InterVarsity Press, 2010. p.139
  3. Dans un régime de concorde, on s’interdit de persécuter, en vue d’obtenir l’unité religieuse de la communauté. Il y a donc des efforts légaux qui sont fait pour faciliter les conversions, sans attaquer directement la liberté religieuse du groupe.

Au début de son règne, Constantin pratique la tolérance, mais à la fin il va vers la recherche de la concorde.

Liberté chrétienNE, Tyrannie lockéenne

Peter Leithart considère cette attitude comme meilleure que notre modèle actuelle de tolérance religieuse, qui vient de Locke :

  1. La tolérance lockéenne requiert une séparation entre vie publique et vie privée qui n’existe pas en réalité.
  2. Locke défend un christianisme dé-judaïsé, débarassé de ses éléments trop collectifs et politiques.
  3. Il donne tout pouvoir religieux au magistrat, sans frein particulier : Locke présuppose sans doute que les valeurs chrétiennes resteront, même dans un monde séculier.
  4. La principale tâche du magistrat devient non pas la défense de l’Église ou de l’orthodoxie, mais de supprimer tous les zélés. Il doit en fin de compte empêcher les religions de grossir, voire les supprimer si elles prennent trop de place. C’est incompatible avec l’Évangile.

Contre cette tyrannie lockéenne, Constantin a le mérite d’avoir une politique plus honnête et ouverte, surtout quand on considère que la neutralité religieuse est un mythe.

Conclusion

Cependant, cette politique a connu trois faiblesses :

  1. Elle n’a pas duré dans le temps. Quelques générations plus tard, il y avait des pogroms de chrétiens contre les païens et les juifs.
  2. L’afflux de convertis a singulièrement compliqué la tâche pastorale des évêques et a créé des troubles de corruption liée au nouveau pouvoir des chrétiens.
  3. L’unité chrétienne était un grand défi à surmonter.

Tout compte fait, la politique religieuse de Constantin peut inspirer la doctrine chrétienne actuelle sur la tolérance religieuse. Il y a d’autres choix que la laïcité ou l’intolérance médiévale. Si demain un dirigeant chrétien devait diriger une France constituée à 90 % de non-chrétiens, il a un modèle intéressant à méditer.


Image d’illustration : La bataille du Pont Milvius, Gulio Romano

  1. Mario Turchettti, “Religious Concord and Political Toleration in Sixteenth- and Seventeenth-Century France,” Sixteenth Century Journal 22, no. 1 (1991).[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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