Constantin et le concile de Nicée
8 juin 2021

L’empereur Constantin est une des figures les plus blâmées et maudites de l’histoire chrétienne, une de celles que l’on adore détester. On lui prête d’avoir joué au calife Uthman avec la Bible, d’avoir choisi le christianisme pour des raisons purement politiques, d’avoir corrompu l’Église, d’être un faux chrétien, etc. Dans cette série d’articles, je vais synthétiser différents chapitres du livre Peter J. Leithart Defending Constantine qui dissipe la plupart de ces malentendus et s’efforce de rétablir une juste image de notre frère Flavius Valerius Aurelius Constantinus, fils de Constance Chlore et notre sœur Hélène. Pour cet article, nous allons préciser quel est le degré d’intervention de l’empereur lors du concile de Nicée.

Vous pouvez aussi lire les articles précédents : La conversion sincère de Constantin et La politique religieuse de Constantin.


La grande persécution de Dioclétien a eu des effets catastrophiques sur l’unité et la concorde de l’Église. Prenons un exemple : alors que l’évêque Pierre d’Alexandrie était en train de se cacher de la persécution, son collègue Mélitius de Lycopolis prit sa place et administra l’Église en son absence, ordonnant des prêtres, etc. Au retour de Pierre d’Alexandrie, il y eut un schisme entre lui et les mélétiens plus puristes. Des situations de division amères comme celles-ci, il y en avait dans tout l’Empire, et notamment en Afrique du Nord où les donatistes menaient le camp de ceux qui étaient contre la réintégration des lapsis (chrétiens qui avaient cédé sous la persécution).

Au départ du règne de Constantin, la situation est déjà inextricable, croissant dans un terreau amer suite aux persécutions et schismes qui ont suivi. Le prêtre alexandrin Arius s’est fait excommunier lors d’un concile à Alexandrie. Puis il s’est fait réintégrer par un concile à Nicomédie présidé par Eusèbe de Nicomédie, arien, et un grand ami de Constantia, la soeur de Constantin. Arius est confirmé par un autre concile à Césarée (probablement présidé par Eusèbe de Césarée) en vain car un synode alexandrin rejette cette réintégration. Pire même, l’Église d’Antioche a convoqué un synode pour excommunier Eusèbe de Césarée. Bref, tout va bien, tout va très bien et c’est la joie. Pour éviter que la division et la querelle ne montent trop, Constantin convoque donc tout les évêques disponibles à Nicée.

L’empereur en concile

Constantin a appris la leçon des donatistes : il évitera les persécutions de tous les ariens : il se contentera plutôt de déposer et exiler les évêques trop excités, quelque soit leur bord (même s’il s’appelle Athanase). Sa tâche d’assurer la paix sera singulièrement compliqué par les forts caractères présents au concile : Athanase le grand (plus tard), Arius lui-même, ou le prestige d’Eusèbe de Césarée.


Constantin ne dirige pas le concile : c’est Osius de Cordoue, un proche, qui le préside. C’est aussi Osius et Alexandre, évêque d’Alexandrie, qui proposeront le homoousios que Constantin validera. L’apport de Constantin est simplement de réussir par son charisme et ses compétences politiques à obtenir la quasi unanimité de presque 300 évêques (moins deux lybiens).

Pour en finir avec le mythe : le canon biblique ne fait pas partie des canons de Nicée. Il n’a tout simplement pas été discuté et encore moins fixé par le calife Constantin. Vous confondez avec le Coran.

Pour en finir avec l’autre mythe : si avant Nicée Constantin n’a pas de convictions fortes, après Nicée il confesse le homoousios:

Vous dites que « la Parole de son essence est la Parole sans commencement ni fin ? » Je suis d’accord et je le crois. Si vous ajoutez quoi que ce soit de plus, je l’abroge. Si vous joignez quoi que ce soit à une séparation impie, je confesse que je ne vois ni ne reçoit ceci…. Si vous dites que « l’esprit d’éternité est né dans la Parole pré-éminente », je le reçois. Qui a connu le Père, sinon celui qui vient du Père ? Et qui a connu le Père, sinon celui qui est engendré de lui-même éternellement et sans début ? Vous pensez que vous devez substituer « une hypostase étrangère », et vous croyez mal ; Je sais que la plénitude de la puissance prééminente, et partout présente du Père et du Fils, est une seule substance.

Athanase le grand, Defense 40. Traduit par P. R. Coleman-Norton, Roman State and Christian Church (London: SPCK, 1966). cité dans Leithart, Defending Constantine, p.172

La querelle cependant continuera, et Constantin tâchera simplement d’exclure les extrémistes des deux bords, dont Athanase d’Alexandrie, qui a un mélange particulier de piété et de férocité :

Si les relations de Constantin avec Alexandre étaient tendues, ses échanges avec Athanase faisaient des étincelles. Les deux étaient des personnalités dominantes, et Athanase, malgré toute sa réputation pour sa piété et son acuité théologique, était un ennemi solide et habile, un agitateur et un démagogue, prêt à utiliser l’intimidation et autres outils pour atteindre ses buts. Par-dessus tout, ce choc était entre un empereur dont le principal espoir pour l’Église était la concorde, et un évêque qui ne voulait pas d’un consensus qui ne soit pas basé sur la vérité.

Leithart Peter J, Defending Constantine: The Twilight of an Empire and the Dawn of Christendom., Westmont : InterVarsity Press, 2010. p. 172-3

Pour résumer les relations entre évêques et Constantin pendant le Concile : l’empereur a été clément et changeant, plutôt qu’un dictateur.

Cette histoire confuse et entortillée n’est pas l’histoire d’un Constantin qui a un contrôle absolu de l’Église. A tout prendre, il était trop facilement persuadé par n’importe quel évêque puissant qui lui parlait, trop prêt à changer sa politique dès qu’il voyait une chance d’obtenir une réconciliation. Athanase d’abord, puis Arius, et maintenant c’était Eusèbe qui avait son oreille, et la politique impériale changeait en conséquence. On pourrait croire que c’est cynique et calculé. Il est plus probable que ce soit une politique anti-cynique : Constantin était prêt à collaborer avec ceux qui avaient l’esprit d’équipe, mais à marginaliser les zélotes diviseurs. Quels que soient la politique et les calculs impliqués, nous ne devons pas oublier le rôle d’une clémence sincère mais mal avisée.

Ibid, p.175

Les toutous de Constantin ?

Les évêques se sont-ils laissés dominer par Constantin ? Non. Tout d’abord, Constantin n’a pas utilisé l’expression “évêque des évêques”, c’est son fils Constance II qui le fera et qui se fera condamner par les évêques d’ailleurs.

Certains critiquent Eusèbe de Césarée et ses associations plutôt délirantes entre Constantin et le début du millénium. Contre cela, Leithart fait remarquer que l’on ne retrouve ces excès que dans les écrits historiques et panégyriques (éloges) d’Eusèbe. Or, dans la majorité de son œuvre – faite de théologie et d’exégèse – il ne fait pas cette association. Quand Eusèbe commente sérieusement l’Apocalypse, il ne parle pas de Constantin. De plus, l’enthousiasme d’Eusèbe n’a pas eu de successeurs : l’Église a très vite récupéré son sang-froid et la Cité de Dieu (LE manuel de théologie politique médiéval) a été écrite pour renverser la théologie politique d’Eusèbe.

On accuse Constantin d’avoir récupéré la doctrine orthodoxe de manière utilitaire. Or, en réalité :

  • C’est la doctrine arienne qui était plus compatible avec la tradition romaine que la doctrine orthodoxe. Ainsi que le faisait remarquer le Cardinal Newman, vu que Jésus n’était qu’une créature, il était possible de dire que le dominus (empereur romain) était le nouveau messie présentement désigné par Dieu pour continuer l’œuvre du Messie. Constantin a pourtant défendu l’intérêt de l’orthodoxie.
  • Par ailleurs, il était plus que naturel pour les romains que l’empereur s’occupe des affaires religieuses, tout comme la laïcité nous est naturelle aujourd’hui. Il n’a pas particulièrement franchi de limite à ce sujet.
  • Enfin, l’intégration de l’Église dans la société romaine était une nouveauté pour tout le monde. Il ne faut donc pas surinterpréter les piétinements de limites de la première génération : l’Église a très vite récupéré son assiette.

Edward Gibbon a bien décrit le problème : l’Église était déjà un État dans l’État avant Constantin, et avec la conversion de Constantin, l’Église et l’Empire étaient tous les deux mis au défi de savoir comment la politique chrétienne et la politique romaine étaient censées marcher ensemble. Pour bien des chrétiens, tels qu’Eusèbe de Césarée, la tâche du jour n’était pas d’intégrer l’Église dans l’Empire. L’Empire avait perdu sa bataille avec l’Église, et c’était l’Empire qui devait reculer. L’Église n’était pas incorporée, mais victorieuse : la foi des martyrs avait été vengée, et la tâche était d’intégrer l’empereur dans l’Église.

Ibid, p.183

Les critiques de l’Empereur

Qu’en était-il de la capacité de critiquer, surtout après Constantin ? La relative soumission des évêques du temps de Constantin s’explique par l’habileté politique de Constantin et la déplétion d’évêques courageux sous la persécution de Dioclétien. Mais même dans ces conditions “idéales”, il y a eu de la résistance de la part des évêques.

Athanase d’Alexandrie, dit le Grand.

Le meilleur exemple est la confrontation entre Constantin et Athanase d’Alexandrie. Une confrontation qui montera encore en intensité sous Constance II :

Alors qu’Athanase parut sans crier gare à Constantinople pour plaider sa cause directement à l’empereur, il rencontra d’abord le succès. Puis quelque chose partit de travers, et peu après, il y eut un « échange électrique ». Ainsi que le raconta plus tard Epiphane : « Alors que l’empereur était en colère, le pape Athanase lui dit des paroles blessantes : « Le Seigneur jugera entre moi et vous, puisque vous êtes d’accord avec ceux qui calomnient votre humble serviteur. » Constantin ne le prit pas bien et l’envoya sommairement en exil à Trièves, son première exil. Athanase n’était pas homme à être fonctionnaire, et il ne l’était pas. Il désirait et recherchait le soutien de Constantin pour l’orthodoxie nicéenne, et voulait que l’empereur juge en sa faveur contre ses ennemis ariens et mélétiens. Mais si Constantin rendait un mauvais verdict, Athanase avait la conscience nette quant à défier l’empereur, tout comme il défiait les conciles alignés contre lui. Ses relations avec le successeur de Constantin, Constance, étaient plus tranchantes encore. Dans un reproche remarquable, il demandait à savoir « quel était le problème de l’empereur » avec un jugement « passé par les évêques. Depuis quand un jugement de l’Église reçoit-il sa validité de l’empereur, ou plutôt depuis quand son décret est-il même reconnu par l’Église ? »

Ibid, p.184

Athanase attaque d’ailleurs la théologie politique de Constantin en publiant La Vie d’Antoine, un des premiers moines.

Athanase n’a écrit aucun traité de théologie politique, mais sa Vie d’Antoine était probablement une réfutation ancienne du constantinisme. Non seulement il enregistre l’insistance d’Antoine sur le fait que Constantin n’était rien de plus qu’un homme et que « Christ seul et le vrai et éternel empereur », mais il a aussi présenté un art de vivre alternatif pour les chrétiens au sein du système constantinien. Plutôt que de se conformer aux standards du monde politique, Athanase encourageait implicitement les chrétiens à suivre l’exemple ascétique d’humilité présent dans Antoine. L’argument d’Athanase ne fut manqué par les empereurs à venir, qui, sans quitter leur palais, ont conformé leurs vies personnelles sur l’exemple d’Antoine.

Ibid, p.185

Après Constantin, aucun empereur ne s’assiéra dans un concile, et les évêques sauront fort bien leur résister. Voici les conseils que donnera Osius de Cordoue au fils de Constantin, Constance II :

Cesse la coercition, et souviens toi que tu n’es qu’un homme mortel : crains le jour du jugement et garde-toi pur pour celui-ci. Ne t’introduis pas dans les affaires de l’Église, mais au contraire reçois tes instructions sur elle de nous. Dieu t’a confié la garde, mais c’est à nous qu’il a été confié ce qui appartient à l’Église. Tout comme l’homme qui essaie d’usurper ta position s’oppose au Dieu qui t’a placé là, ainsi sois conscient que tu te rendras coupable d’une grande offense en mettant les affaires de l’Église sous ton contrôle. Il est écrit: « Rendez à César les choses qui sont à César et à Dieu celles qui sont à Dieu. »… Ainsi tout comme nous les évêques n’avons pas le droit de diriger le monde, tu n’as pas le droit d’officier sur l’Église.

Ibid, p.186

Et la réprimande d’Hilaire de Poitiers à ce même Constance :

À présent nous [les évêques] avons à nous battre avec un persécuteur trompeur, contre un ennemi flatteur, contre l’antichrist Constance, qui ne fouette pas le dos, mais stimule les appétits ; qui ne publie pas de proscriptions menant à la vie immortelle, mais à de riches dons qui font tomber dans la mort sans fin ; ne nous envoie pas en prison vers la liberté, mais nous enferme dans les palais avec des honneurs qui nous corrompent en esclavage ; il ne torture pas le corps, mais il se fait maître du coeur ; il ne décolle pas des têtes avec son épée, mais il massacre des âmes avec son or ; il ne menace pas publiquement du bûcher, mais en secret il attise les flammes de l’enfer. A toi, ô Constance, je te dis ce que j’aurais dis à Néron, ce que Dèce et Maximin Daïa auraient entendus de moi. Tu fais la guerre à Dieu, tu t’opposes à l’Église, persécutant les saints. Tu hais ceux qui prêchent le Christ, tu renverses la religion, tyran que tu es, non seulement dans les choses humaines, mais aussi dans les choses divines.

Ibid, p. 186-7

Comment peut-on encore croire que les évêques étaient les toutous de l’empereur ?


En illustration : Le premier concile de Nicée par Vassili Surikov (1876)

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

2 Commentaires

  1. Tribonien Bracton

    « La grande persécution de Dioclétien a eu des effets catastrophiques sur l’unité et la concorde de l’Église. […] il y eut un schisme […]. Des situations de division amères comme celles-ci, il y en avait dans tout l’Empire, et notamment en Afrique du Nord où les donatistes menaient le camp de ceux qui étaient contre la réintégration des lapsis (chrétiens qui avaient cédé sous la persécution). […] Au départ du règne de Constantin, la situation est déjà inextricable, croissant dans un terreau amer suite aux persécutions et schismes qui ont suivi. »

    Ceci ↑ est une démonstration historique parmi tant d’autres que la persécution anti-chrétienne n’est pas forcément bénéfique pour l’Église, contrairement à ce que prétends un certain piétisme défaitiste qui voit à tord la persécution christianophobe comme un moyen sûr de sanctifier l’Église.

    « On accuse Constantin d’avoir récupéré la doctrine orthodoxe de manière utilitaire. Or, en réalité : C’est la doctrine arienne qui était plus compatible avec la tradition romaine que la doctrine orthodoxe. [V]u que Jésus n’était qu’une créature, il était possible de dire que le dominus (empereur romain) était le nouveau messie présentement désigné par Dieu pour continuer l’œuvre du Messie. Constantin a pourtant défendu l’intérêt de l’orthodoxie. »

    La réduction du christianisme à un rôle utilitaire est certainement un phénomène ayant ponctué l’histoire politico-religieuse occidentale, de Thomas Hobbes à Otto von Bismark en passant par George Washington. Ce qui est étonnant, c’est que c’est l’un de ceux qui sont le moins coupables de cette dérive – Constantin le Grand – qui soit blâmé d’en être l’instigateur.

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    • Etienne Omnès

      Exact! D’ailleurs je pense conclure cette série sur une parole très intriguante de ce grand frère, qui va dans le sens de ce que tu dis.^^

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