Lettre ouverte à mon député en défense de l’école à la maison
5 juin 2021

Nous avons déjà par le passé défendu l’école à la maison (ou IEF, Instruction en famille). Or le retrait de ce droit, pudiquement remaquillé en “passage à un régime d’autorisation” a été validé par l’Assemblée nationale en février. Le Sénat l’avait rejeté en Mai, mais la comission mixte paritaire a échoué dans son arbitrage. Il est donc prévu que le texte soit examiné en seconde lecture à l’Assemblée nationale, qui seule votera et décidera de chaque article. C’est dans ce contexte que j’ai écrit un courrier à mon député, que je partage ici librement pour que vous puissiez faire de même avec le vôtre. Songez seulement à supprimer la mention inutile entre madame ou monsieur, et accorder les participes passés en conséquence.



Madame la Députée, Monsieur le Député,

Je me permets de vous écrire tout d’abord pour vous encourager dans votre tâche difficile de député, au regard de la période exigeante que nous traversons. Je ne saurais même imaginer la charge de travail que cela représente, et je vous suis reconnaissant de ce sacrifice que vous faites pour permettre à des citoyens ordinaires de faire vivre la société dont vous votez les lois. C’est en toute sincérité que je vous remercie pour votre action.

C’est parce que je vous sais préoccupé du bien commun et du service que je me permets de vous écrire, étant assuré que vous aurez la patience de me lire. J’aimerais vous parler de la loi sur le séparatisme qui sera relue à l’Assemblée nationale en juin prochain. Je souhaite tout d’abord saluer l’intention de ce texte : assurément, si le séparatisme prospère, il n’y a plus de société, et s’il n’y a plus de société, il ne reste alors qu’à vivre “face à face”, et la concorde disparaît. Sans concorde, plus de paix, plus de France. Je salue donc le courage qui vous anime alors que vous devez gérer les multiples complexités et la diversité des sujets abordés par cette loi. Je suis cependant inquiet des développements sur un sujet en particulier : l’article 21 parlant du passage d’un régime de permission à un régime d’autorisation de l’instruction en famille. En effet, je crains que le remède ne soit pire que le mal. Je crains qu’en cherchant à sauver la république, nous en tuions la substance.

Ainsi que l’a fait remarquer Tocqueville sur l’expérience démocratique américaine, la démocratie n’a de sens et ne peut survivre que si au niveau individuel et basique, on exerce le propre-gouvernement : comment des individus pourraient-ils participer à la vie politique du pays si déjà dans leurs familles, leurs périmètres, ils ne se gouvernent pas eux-mêmes ? Sans ce propre-gouvernement, la démocratie devient un pur concept, et la république un fardeau étranger. C’est cette dynamique que vous avez pu constater par vous-même, avec la progression de l’abstention. La montée des extrêmes est le symptôme qui montre que de plus en plus, on déconnecte le destin national du destin individuel, comme si l’on pouvait voter des incendiaires et s’en tirer bien ensuite, comme si le gouvernement national n’était plus notre gouvernement. La montée des séparatismes est une perversion de ce désir de propre-gouvernement, d’exercer notre action dans un cadre qui permet l’expression de notre contribution à la société : faute de trouver leur place dans la société française, certains construisent des communautés alternatives, dans lesquelles leurs actions ont un sens, et leur liberté un but. Un but répugnant et destructeur, certes, mais c’est *leur* but. Le propre-gouvernement permet d’engager les individus et les familles non pas dans des projets factieux, mais dans notre société française, dont l’État – Assemblée nationale comprise – est le garant et le protecteur.

Or, le régime d’autorisation revient à priver les familles de ce propre-gouvernement. Dans une démocratie, le propre-gouvernement n’est pas un cadeau de l’État : il est un fait basique et naturel, à partir duquel émerge le gouvernement démocratique que vous avez à cœur de faire vivre. Il ne s’accorde pas : il se vit. Un régime d’autorisation serait désastreux de ce point de vue : il revient à dire, non pas à certaines, mais à toutes les familles françaises qu’elles sont trop irresponsables pour les laisser prendre cette décision de l’instruction en famille. C’est frapper à la base du concept même de démocratie : le gouvernement du peuple par un peuple reconnu incapable de se gouverner.

En réalité, si l’intention est bien de lutter contre le séparatisme, c’est bien le régime actuel du contrôle qui devrait être maintenu : la France est une démocratie, et le peuple se gouverne lui-même, dans sa famille tout d’abord. Mais comme l’on craint des abus, on contrôle et s’assure *en aval* que l’éducation qui est donnée permet bien de préparer l’insertion de l’enfant dans notre république. Voilà la vraie lutte contre le séparatisme. Le contrôle présuppose que les familles sont responsables de leurs enfants. L’autorisation assume que les familles sont par définition irresponsables, et factieuses par nature. Si l’État même nous considère comme prompte à la séparation, que doit-on comprendre ? Que le séparatisme est naturel ?

C’est d’autant plus tragique que c’est non nécessaire : tous les terroristes qui ont attaqué notre pays ne sortaient pas de l’instruction en famille, mais du système d’éducation public. Si l’objectif est de juguler le séparatisme à la source, pourquoi ne pas traiter la source ? Si les séparatismes ont lieu *au sein même de l’espace public géré par l’État*, pourquoi légiférer sur l’espace privé géré par les familles ? Le gouvernement national serait-il en guerre contre les familles françaises ? Le peuple français est-il donc un problème à gérer ? La France est-elle une menace pour la république ? Si non, alors pourquoi cet article agressif ?

C’est pourquoi, madame, monsieur, en tout respect je souhaite vous demander de reconsidérer votre opinion quant au passage de l’IEF en régime d’autorisation. Il est plus qu’inutile : il va contre tout ce pour quoi vous vous battez, et vous vous sacrifiez. Par égard pour vous-même et pour tout ce que vous défendez, renoncez à cet article 21.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mon plus sincère respect.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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