Je remercie Olivier Bonnassies (un des deux auteurs du livre) d’avoir répondu favorablement à ma demande en m’envoyant son livre pour cette recension.
Résumé
Dieu, la science, les preuves est un livre d’apologétique qui argumente principalement en faveur de l’existence de Dieu à partir des découvertes récentes de la science moderne1, à savoir la mort thermique de l’univers, le Big Bang, le principe anthropique ou réglage fin de l’univers et la complexité du passage de la matière inerte à la vie. Il aborde aussi un grand nombre d’autres sujets :
- le matérialisme (et ses failles) ;
- l’identité de Jésus-Christ (un fou, un sage, Dieu, etc ?) ;
- les erreurs de la Bible ;
- d’autres arguments pour l’existence de Dieu (l’argument de l’applicabilité des lois mathématiques dans le monde, l’argument de la contingence et l’argument cosmologique du kalam) ;
- les principales objections contre le christianisme ;
- le miracle de Fatima (donc un argument pour la vérité du catholicisme).
Par conséquent, le titre peut induire en erreur, le lecteur risque de croire qu’il aura à faire à un livre sur Dieu2, sans entrer dans une religion particulière3. Mais en réalité, les auteurs défendent clairement la religion chrétienne (catholique).
Il est accessible sans sacrifier la qualité du contenu. La partie la plus importante est celle sur les arguments pour l’existence de Dieu liés à la science. Passons maintenant à une revue plus détaillée du présent ouvrage.
Rien de nouveau dans le fond
Je suis conscient de tout le bruit qu’a fait ce livre avec des slogans aussi osés que « la science prouve Dieu » dans notre société. Société française où beaucoup pensent encore que Dieu et science s’excluent mutuellement ou au moins forment deux domaines de savoir qui n’ont strictement rien à voir. Personnellement, un ami en seconde au lycée me disait : « Pas besoin de Dieu puisqu’il y a eu le Big Bang« .
Pourtant, le contenu en lui-même n’a rien d’extraordinaire : les arguments n’ont rien de nouveau. Ce sont 1) l’argument cosmologique du kalam (défendus récemment avec les données de la cosmologie moderne4), 2) l’argument téléologique du réglage fin de l’univers et 3) l’argument téléologique de la complexité irréductible des êtres-vivants. Ils ont au moins environ quarante ans. Par exemple, le kalam a été dépoussiéré et défendu avec rigueur par William Lane Craig dans The Kalam Cosmological Argument en 1979. Je n’étais même pas encore né !
Mieux encore, des livres en français5 sur le sujet sont déjà sortis pour la plupart il y a déjà environ dix ans. Par exemple Plaidoyer pour un Dieu créateur (Lee Strobel) en 2007, Foi raisonnable (William Lane Craig) en 2012 et Dieu existe (Frédéric Guillaud) en 2013. Ou encore La science est pour Dieu (ed. Lydia Jaeger) en 2017. On peut dire en quelque sorte que le livre dont je parle aujourd’hui est la même chose que les précédents mais avec une meilleure communication. Par exemple le livre a le droit à une tribune et même à une critique6 d’un philosophe aussi célèbre que Luc Ferry dans Le Figaro. Je tiens toutefois à nuancer mon propos dans la prochaine partie.
En ce qui concerne le traitement des autres sujets (Jésus, erreurs de la Bible), ils restent assez classiques. Classiques dans le sens où les arguments restent dans l’ensemble les mêmes que des livres déjà parus, par exemple La raison est pour Dieu (Tim Keller) ou Les fondements du christianisme (C. S. Lewis). Je ne développerai donc pas ces autres parties.
QU’EST-CE QUE CE LIVRE APPORTE DE NOUVEAU ?
Un des seuls livres récents et détaillés en français sur l’existence de Dieu
Premièrement, rien que le fait qu’un livre aussi volumineux (des centaines de pages) sur les preuves de l’existence de Dieu7 soit écrit et publié en français est déjà en soi une contribution gigantesque. C’est l’un des seuls de ce genre avec Dieu existe de Frédéric Guillaud.
En effet, il suffit d’observer que des dizaines de livres et d’articles académiques sur l’existence de Dieu8 sortent chaque année dans le monde anglo-saxon et que chaque semaine il y a au moins plusieurs débats sur des chaînes Youtube de philosophes amateurs. On ne peut alors que regretter l’ignorance et l’énorme retard (au moins quarante ans) que nous avons en France sur ce sujet. C’est pour cela que je salue avec admiration le travail pionnier des auteurs de ce livre.
Je rajoute qu’il est aussi agréable d’avoir un livre écrit par des auteurs français. Cela permet d’avoir un style et une lecture fluide et plus naturelle que s’il avait été traduit.
Une livre accessible, pédagogue et passionnant
Deuxièmement, le livre est accessible. Vous vous douterez bien qu’il n’est pas évident d’expliquer facilement à quelqu’un le Big Bang, la relativité générale, l’entropie et le réglage fin des constantes universelles. Surtout à ceux qui n’ont pas étudié la science ou les disciplines abordées (cosmologie, thermodynamique, biologie). Et pourtant, les auteur ont réussi leur objectif. Les explications sont claires avec des exemples concrets, il n’y a pas de gros pavés et on trouve de nombreuses citations (de savants), illustrations, schémas et tableaux. Le glossaire à la fin avec la définition de chaque mot technique est également très utile et une excellente idée.
Je pense aussi que c’est l’approche historique des théories scientifiques (présenter la science comme une grande histoire) qui leur a permis d’être aussi pédagogues. Par exemple, en découvrant avec eux l’histoire du Big Bang et le « Roman noir du Big Bang9 », on a une vue d’ensemble et on comprend beaucoup mieux les choses. C’est cela qui en fait même un ouvrage passionnant. On a l’impression de suivre un récit entraînant et de revivre les événements de l’époque. C’est pour cette raison que tout le monde (même les non-croyants) peut profiter de ce livre : pour améliorer sa culture historique et scientifique.
C’est très différent de la méthode que les professeurs de collège lycée utilisent : ils nous donnent directement des formules10. Mais comme on ne voit pas d’où elles viennent, comment ni pourquoi elles ont été découvertes, on a du mal à saisir le fond des choses.
Un livre écrit par des scientifiques
Ce point est important comme les arguments pour l’existence de Dieu de ce livre reposent sur les données de la science. Par conséquent, il est normal que ce soit aux scientifiques en priorité de les étudier et de les présenter en détails.
Justement, c’est le cas ici. Les auteurs, un grand nombre de contributeurs scientifiques et la relecture par un prix Nobel de physique (Robert Wilson) nous assurent que les faits et théories scientifiques sont décrits de manière exacte et rigoureuse. Quand on regroupe tous ces points positifs, on obtient alors un livre unique dans le paysage français.
Un livre avec beaucoup de sources
Quatrièmement, on y trouve également beaucoup d’informations et de citations de de scientifiques connus. Cela nous permet ainsi d’avoir un aperçu du véritable rapport entre la science et la religion. On trouve donc un chapitre entier avec presque centaine de citations. Ainsi que deux réservés à Einstein et à Gödel. Cependant, comme tout livre, ce dernier a des points perfectibles.
Les points perfectibles
Premièrement, il aurait été souhaitable de trouver au moins une brève bibliographie à la fin pour ceux qui auraient envie d’aller plus loin. Par exemple une liste de ressources pour chaque argument (ce n’est pas ça qui manque en anglais).
Deuxièmement il manque quelques arguments explicites. :
- Tout d’abord pour justifier que la cause derrière le Big Bang est personnelle et un Dieu unique11.
- Ensuite pour montrer en quoi l’intelligence derrière le réglage fin de l’univers et la complexité irréductible du vivant ressemble un tant soit peu au Dieu de la Bible (ou au moins au Dieu monothéiste traditionnel). Autrement des arguments pour l’identification de la cause de la finalité de l’univers à Dieu. C’est important vu que c’est sur ce point que de nombreux sceptiques (entre autres les philosophiques sceptiques les plus compétents comme Graham Oppy et Joe Schmid) bloquent. Cela dit, dans tous les cas, on a déjà fait un grand pas quand on a réalisé que l’univers a une fin. Mais il faut essayer d’aller plus loin dans les arguments si on ne veut pas rester bloqué à une cause purement naturelle comme dans le cas de Spinoza.
- Enfin, des réponses aux autres interprétations du réglage fin qui évitent d’en conclure une intelligence derrière auraient été bienvenues.
Troisièmement, il est peut-être confus de parler de preuves scientifiques de l’existence de Dieu comme Dieu par définition n’est détectable à aucun de nos sens12. Pour être plus précis, il aurait plutôt fallu parler de preuves philosophiques de l’existence de Dieu qui utilisent des données de la science moderne (Big Bang, etc.). En gros, c’est la philosophie et non la science qui prouve Dieu, mais dans notre cas présent, la philosophie se sert de la science comme d’un instrument pour accomplir son but. Je laisse Guillaud nous éclairer sur ce point en prenant le cas du Big Bang et de l’argument du kalam :
Nous nous en tiendrons pour notre part à la position suivante : tout ce que peut faire un scientifique, c’est conclure que l’univers a une limite dans le passé. Le scientifique s’en tient là, et la science n’en conclut rien, ce qui est normal puisqu’en l’absence de toute donnée physique elle n’a plus rien à étudier. Mais le philosophe (et aussi bien le scientifique en tant que philosophe, s’il pratique cette discipline) a tout a fait le droit, voire le devoir, de poursuivre l’enquête rationnelle.
Frédéric Guillaud, Dieu existe. Arguments philosophiques, Paris : Les Editions du Cerf, 2013, pp. 241-242.
Que la science doive s’arrêter lorsque les limites de son domaine d’application sont atteintes n’implique en aucune manière que la raison humaine doive s’arrêter au même endroit. L’au-delà du physique n’est certes pas expérimentable en lui-même par la science, qui exclut a priori par décision méthodologique de son champ de vision tout ce qui ne relève pas de la quantité mesurable, mais il peut être induit par les démarches rationnelles de l’esprit humain, armé du principe de causalité. Ce faisant, nous ne mélangeons pas la science et la philosophie. Nous nous servons simplement d’une donnée scientifique comme prémisse dans un raisonnement philosophique. Ce n’est pas la science qui « prouve l’existence de Dieu », comme on le dit abusivement, mais la métaphysique qui s’en sert, comme d’un point de départ, d’un constat opéré par la science. Le métaphysicien s’appuie sur un fait empirique, et tire une conclusion qui n’appartient pas à la science mais à la philosophie.
Frédéric Guillaud, op. cit., pp. 261-262.
- La première moitié du livre y est consacrée.[↩]
- Nous prenons le mot « Dieu » dans son sens courant : le Dieu unique, monothéiste qui peut être celui d’un des trois grands monothéismes (judaïsme, christianisme ou islam), ou seulement celui d’un monothéisme générique ou déiste.[↩]
- Comme c’est le cas par exemple dans Dieu existe. Arguments philosophiques de Frédéric Guillaud.[↩]
- Je précise étant donné qu’il était déjà défendu depuis environ mille cinq ans avec des arguments a priori reposant par exemple sur l’impossibilité d’un infini actuel. On compte parmi ses défenseurs d’autrefois Jean de Philopon, Al-Ghazali, Bonaventure, etc.[↩]
- Même si, comme d’habitude en apologétique et philosophie chrétienne, la plupart sont des traductions.[↩]
- Bien qu’elle ne consiste qu’en des arguments fallacieux, faibles, des attaques à des hommes de paille et que Ferry ne réponde pas vraiment aux arguments en eux-mêmes.[↩]
- Ou même sur l’apologétique chrétienne tout court[↩]
- Je pourrais même préciser que c’est le cas même si on se limite aux trois preuves « scientifiques » que j’ai mentionnées.[↩]
- L’histoire de la persécution des pionniers et défenseurs du Big Bang par les régimes totalitaires soviétiques et nazis.[↩]
- Je reconnais cependant qu’il y a eu durant mes études deux exceptions : 1) la théorie de l’évolution qu’on nous présente avec Darwin en seconde et 2) la théorie de la dérive des continents avec Alfred Wegener en première.[↩]
- Les autres attributs par contre sont faciles à déduire comme la cause du Big Bang est hors du temps et de l’espace[↩]
- Parce que Dieu est immatériel, éternel/intemporel[↩]
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