La science postmoderne de Didier Raoult
27 octobre 2021

Dans un précédent article, j’ai présenté le postdarwinisme, tel que Didier Raoult (qu’on n’a plus besoin de présenter) le présentait. J’ai aussi dit les chances que cela représentait pour les créationnistes. Dans cet article, je vais rester davantage sur la philosophie des sciences, un peu présentée dans son livre Dépasser Darwin (2010) mais surtout De l’ignorance et l’aveuglement (2015). Dans cet article nous allons découvrir la philosophie des sciences postmoderne de Didier Raoult, à la fois pour la curiosité, mais aussi pour la critique et voir ce qu’elle a de positif pour le christianisme orthodoxe (qui n’est pas du tout postmoderne).

Avertissement avant de commencer: si vous voyez un ordre dans cet article, il vient de moi et non de Raoult: ce dernier assume dès l’introduction que les chapitres ne seront pas écrits avec une rigueur très systématique. Ce n’est pas une erreur, mais quelque chose de délibéré. Aussi, pour les besoins de cet article, je vais tâcher de faire un compte-rendu serré, mais ce n’est pas ainsi que cette philosophie se présente dans l’original.

Une philosophie des sciences postmoderne

Didier Raoult l’expose dans son livre Dépasser Darwin, 2010. Il veut déconstruire les éléments darwiniens à l’œuvre en microbiologie afin d’adopter une méthode plus anti-systématique et basée sur l’observation sans théorie que ce qui se fait actuellement. Il s’agit de jeter les idées d’espèces fixes, de catégories et définitions pour mieux se concentrer sur les virus et bactéries que l’on voit et laisser émerger un nouveau paradigme. C’est l’homme le plus anti-dogmatique que j’ai jamais lu, mais ca me fait plaisir parce que c’est dirigé contre la Science.

Par conséquent, il est pour jeter ces systématisations appelées « arbre du vivant » et se concentrer sur l’observation : Plutôt qu’une méthode baconienne de formulation et vérification d’hypothèse, Raoult préfère « jeter son filet et ne rien rejeter ». Une démarche anti-systématique, mais pas anti-théorique : il estime simplement qu’on est encore dans une phase de découverte en génomique, et qu’il est trop tôt pour encore essayer de systématiser une théorie à partir de là. Aujourd’hui il faut observer. On verra la théorisation plus tard, si nécessaire.

Il affirme que nous sommes dans une période de grandes découvertes comparable aux voyages du même nom au XVe et XVIe siècle. Il cite Kuhn et pense que nous vivons un changement de paradigme ou « grande image » scientifique si vous préférez. Il cite Héraclite et son changement permanent auquel il adhère. Raoult soutient que la science actuelle a besoin d’une déconstruction postmoderne, pour accélérer le changement de paradigme nécessaire. Il faut jeter les mots de « virus » « procaryotes » « archaea » « probiotique » et le concept même d’espèces, parce qu’ils orientent la pensée vers une certaine caractéristique (ex virus = petit ; probiotique = bon pour le corps) qu’ils n’ont pas forcément. (il existe des gros virus, les probiotiques sont juste des bactéries en plus, qui génère de l’obésité chez les animaux et il le soupçonne, aussi chez les humains).

Ce postmodernisme est carrément revendiqué dans De l’ignorance et l’aveuglement:

Koonin est avec Forterre et Bapteste une des personnes avec qui j’aime discuter de l’évolution, car ils ont un esprit ouvert et qu’ils sont passionnés par les théories remettant en cause la stabilité de la connaissance. C’est un grand sujet de fierté pour moi que d’avoir initié Eugène Koonin à la philosophie française postmoderne à travers le rhizome auquel il était d’abord hostile. Je lui ai envoyé le texte du rhizome de G. Deleuze et Felix Guattari qui l’a conquis et depuis il s’est plongé avec son énergie habituelle dans la lecture des postmodernes, dont Lyotard. Il vient de sortir un livre totalement dédicacé à une vision postmoderne de l’évolution où nous nous rejoignons vraiment.

Raoult Didier, De l’ignorance et l’aveuglement, chap. 3

Il y dresse aussi une sorte de portrait du scientifique postmoderne dans le chapitre 4 du dit ouvrage:

  • Il y met au pinacle le jugement individuel, appellant à douter de tout ce qu’il ne produit pas lui-même.
  • Il considère la science normale et cumulative comme une métamorphose, à l’image du roman de Kafka où le personnage se métamorphose en cafard.
  • Il critique fort la « dépendance au sentier » qui amène à suivre bêtement les résultats des autres, au lieu de tracer soi-même sa propre voie.
  • Une ouverture au chaos créateur qui consiste à être ouvert aux opportunités qui peuvent venir par chance, plutôt que de suivre des vérifications potentiellement stériles. Mieux vaut « jeter son filet » et voir après ce qui en sort, plutôt que faire une belle architecture et chercher à la vérifier.
  • Raoult loue les aspects le plus postmodernes de Nietzche, qu’il admire fort par ailleurs.: Je ne pourrais jamais atteindre ce niveau de clarté dans l’expression, cette volonté délibérée de tout exprimer sans tentative de rationalisation entre les différents aspects de la pensée, et que je n’aurai pas un maniement du verbe d’une telle beauté.
  • Il appelle à être beaucoup plus humble dans la démarche scientifique, et reconnaître les limites de l’ignorance. Par conséquent, il faut s’éloigner de tout dogmatisme (ce qui est moderne), même scientiste (ce qui est post-moderne). Mieux vaut une science basée sur l’ignorance que sur le dogme.
  • Au sujet des théories scientifiques, elles n’ont pas besoin d’être « vraies » ni d’être durables. Elles ont besoin d’être utiles àun moment donné pour organiser la pensée face à des données nouvelles. Il se sent donc très libre de changer de théorie à loisir, selon les besoins du moment, et ne ressent pas le besoin de systématiser tout. Encore un postmodernisme.

Pour faire simple la postmodernité fait deux choses:

  1. Elle intensifie certains aspects de la modernité, les plus destructeurs: le jugement individuel et les attaques contre toute tradition reçue.
  2. Elle casse tout aspect constructif de la modernité: l’idée de connaissance objective, et l’idée de pouvoir connaître la vraie organisation et structure des choses.

Outre une revendication directe, nous avons vu que Didier Raoult coche toute ces cases. C’est un scientifique postmoderne.

Une critique

Sans ordre particulier:

  • Comment sait on que le monde est chaotique? Ce n’est pas parce qu’on ne réussit pas à connaître/percevoir cet ordre qu’il n’y a pas d’ordre ni d’harmonie stable. Tout au plus peut-on dire que ce n’est pas porté par la science actuelle, mais il dit lui-même qu’elle est entre deux paradigmes.
  • On remarquera d’ailleurs qu’il parle tout au long de son livre d’espèces visiblements fixes (Escheria Colii est souvent mentionnée) d’une façon ou d’une autre. Parler en universels stables est inévitable. Après tout, comment peut on être microbiologiste si les microbes sont indéfinissables et inconnaissables?
  • Héraclite n’est pas la seule façon d’expliquer les mouvements de chimérisation: Aristote proposait qu’il y avait en tout objet une partie mouvante (la matière) et une partie stable (la forme). Dans notre cas, on peut admettre que le génome soit mouvant, sans que cela ne remette en cause la stabilité de l’espèce. Un simple changement ne nous oblige pas à tout bazarder. D’ailleurs, la plupart -mais pas tous- des chimérisations qu’il donne comme exemple sont des changements accidentels, qui ne modifient pas l’essence des hôtes: lorsque la bactérie Wolbachia donne 80% de son génome à l’organisme hôte, le ver qui l’abrite est toujours un ver: ce n’est qu’un changement accidentel qui ne modifie pas la nature essentielle du ver, mais peut la corrompre.
  • De même, notre difficulté à cerner exactement les universels ne doit pas être une raison de les jeter tous ensemble. Lui-même n’a pas jeté le concept de virus lorsqu’il s’est aperçu que le critère de taille n’était pas bon. Il attend simplement qu’émerge une meilleure définition par l’abstraction d’un plus grand nombre d’observations. Ce qui est remis en cause n’est pas le fait qu’il existe une forme au virus, mais la définition que nous lui atribuions. Il existe dans les virus une forme universelle, nous devons simplement mettre à jour notre définition.
  • Reste à expliquer des virus synthétiques comme ceux de Craig Venter, réellement fabriqués par l’homme. Loin d’être une création ex nihilo, il s’agit plutôt de l’oeuvre d’une ingénierie génomique, qui fait venir à l’existence des espèces qui n’étaient possibles qu’en puissance jusque là à partir d’autres. En physique, on a aussi crée des éléments qui n’existent pas dans la nature, mais cela n’est pas tout à fait une création à partir de rien, car ce nouveau virus préexistait virtuellement dans les gènes assemblés par Venter.
  • Sur le changement de paradigme, ainsi que le montre Duhem et Kuhn, une fois qu’un paradigme est établi, on ne se retrouve plus jamais vierge de toute théorie. La déconstruction ne pourra donc pas aller plus loin que de faire remarquer l’aspect inadapté des définitions actuelles et la recherche d’un nouveau paradigme, mais on peut pas totalement rejeter l’ancien avant qu’un nouveau ne soit proposé.

Point de vue chrétien

D’un point de vue théologique, la combinaison de deux virus en un troisième et la chimérisation du vivant n’attaque pas la doctrine chrétienne avec la même force que l’arbre de la vie darwiniste. En effet, la création initiale a pour caractéristique d’être ex nihilo et d’être une oeuvre d’établissement/institution. Après le 7e jour, Dieu continue de maintenir le monde qu’il a crée en existence, et certains ont appelé la création continue. Il peut donc y avoir de nouvelles espèces, tout comme l’apparition des chiens comme espèce distincte des loups etc… sans renverser le créationnisme, qui admet la micro-évolution. La seule condition est de s’éloigner de la doctrine du mouvement d’Héraclite et d’en rester à celle d’Aristote, qui a intégré le tronc doctrinal chrétien occidental depuis le XIIe siècle.

Ces maniaqueries métaphysiques mises à part, je salue l’avènement du scientifique postmoderne, que je préfère au scientifique scientiste.

  1. Parce que le scientifique postmoderne déteste tellement la métaphysique qu’il la laisse toute entière entre les mains de la religion, ce que je suis trop content de récupérer: les découvertes scientifiques ne peuvent avoir de sens que dans une matrice métaphysique; abandonner la métaphysique, c’est la défaite à long terme.
  2. Parce que le scientifique postmoderne attaque le scientisme avec autant de férocité que les religions, ce qui garantit que nous n’aurons pas d’émules de Dawkins et le néo-athéisme avant quatre cent ans.
  3. Que par son rejet de la théorie, il s’assure qu’il ne pourra y avoir d’objections scientifiques d’ampleur contre la religion. En effet, aucun objet particulier ne peut renverser le christianisme: même les os de dinosaures nous sont complètement indifférents. Ce sont les théories articulées à partir de là qui peuvent faire du dégât. Or le scientifique post-moderne est en train de saboter ce système. Je l’y encourage donc.

Je souhaite donc à Didier Raoult tout le succès possible dans la mutation du monde scientifique vers une science postmoderne. Elle est la meilleure chance du christianisme orthodoxe et créationniste.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

1 Commentaire

  1. Maxime Georgel

    Est-ce que ton article ne dit pas en somme : fais donc tes bêtises en science, puisque ça nous profitera ? ^^

    Réponse

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